Conclusion
Limites planétaires et évaluation environnementale des organisations

Les changements climatiques en cours sont aujourd’hui largement documentés et médiatisés, et leurs conséquences sur nos modes de vie se font de plus en plus ressentir. Le travail conjoint depuis plusieurs décennies des communautés scientifique, politique et citoyenne a abouti à institutionnaliser ces changements et leur gestion dans des organes de gouvernance internationaux et régionaux. Cette même trajectoire d’institutionnalisation caractérise les enjeux liés à l’érosion en cours de la biodiversité, souvent décrite comme la sixième extinction de masse. Ces deux enjeux dominants sont révélateurs d’une époque qualifiée d’Anthropocène, où l’humanité peut être vue comme une force géologique influençant l’équilibre climatique. Si elle est donc capable de le perturber, elle peut aussi se préoccuper de le préserver. Un équilibre climatique est néanmoins un objet complexe à appréhender qui ne saurait se réduire à une composante gaz à effet de serre/biodiversité. Qu’en est-il du cycle de l’eau ou de celui des nutriments comme l’azote et le phosphore ? Qu’en est-il des polluants que l’industrie rejette dans les milieux ? Et qu’en est-il de l’occupation des sols ? Prendre pleinement acte de l’Anthropocène, c’est reconnaître l’interconnexion entre les composantes du système Terre et celles des systèmes humains. Les limites planétaires constituent un cadre conceptuel d’évaluation de l’habitabilité de la Terre dont la notoriété médiatique ne cesse de croître à mesure que de nouvelles limites sont dépassées. À ces dépassements correspondent autant un accroissement des pressions anthropiques qu’un effort de la communauté scientifique pour définir avec toujours plus de robustesse les indicateurs constitutifs du cadre. Si les recherches fondatrices sur ce sujet ont abouti dès 2009 à une première publication du cadre, de nombreuses mises à jour ont ensuite été proposées, autant pour le cadre dans son ensemble que pour chaque limite prise individuellement. Cet article entend ainsi retracer ces évolutions successives afin de mieux comprendre ce qui se joue dans la tendance à la hausse du nombre de limites dépassées et, à partir de là, de comprendre ce que signifie vraiment « dépasser une limite ». Parallèlement à ces efforts de construction et de publicisation du cadre, un champ d’étude dédié à son opérationnalisation s’est constitué. En effet, le cadre des limites planétaires représente une source d’innovation pour concevoir des outils novateurs en matière d’évaluation environnementale des systèmes sous-globaux, en particulier les territoires et la production de biens et services. Depuis les années 2010, la communauté scientifique poursuit ainsi ces deux chantiers d’amélioration et d’application locale du cadre. Cet article se propose ainsi de rendre compte de ces deux chantiers en insistant sur le passage de l’un à l’autre, permis par un renouvellement paradigmatique profond de l’évaluation environnementale : l’évaluation absolue de la soutenabilité, que nous qualifierons, et dont nous donnerons des exemples de développement scientifique rigoureux et d’applications ou d’interprétations plus libres dans les entreprises et les collectivités territoriales. Cet article entend proposer une introduction au cadre des limites planétaires et à ses possibilités d’application en évaluation environnementale mais ne constitue pas un guide pratique de la « descente d’échelle », puisqu’un tel guide serait bien difficile à constituer du fait de la diversité des méthodes actuellement en cours de développement et de discussion dans la communauté scientifique.