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RÉSUMÉ
Traçabilité et libertés individuelles sont souvent considérées comme antagonistes sur un plan juridique. La trace, surtout en environnement informatique, est jugée comme attentatoire aux libertés individuelles, voire liberticide. Pourtant, la traçabilité est plus souvent au service de la protection de l'individu que l'inverse, comme c'est le cas avec la traçabilité des médicaments, des aliments ou encore avec la vidéoprotection. Cependant, traçabilité et libertés individuelles ne s'accordant pas toujours, il importe de bien savoir gérer ce conflit de légitimité existant entre l'obligation de satisfaire à une exigence de traçabilité d'une part, et celle de garantir les libertés individuelles d'autre part.
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Éric BARBRY : Avocat au barreau de Paris - Directeur du pôle « Droit du numérique » - Alain Bensoussan-Avocats Lexing®
INTRODUCTION
En quelques années, la traçabilité est devenue une question juridique de premier plan.
Qu'il s'agisse de la traçabilité dans le domaine alimentaire, dans celui de la finance, dans celui de la santé, dans le secteur de la sécurité ou dans celui de l'électronique, la question est toujours la même : de quelle trace disposons-nous ? et pour en faire quoi ?
Qu'est-ce que la traçabilité et qu'est-ce qu'une trace ? Il faut ici pouvoir distinguer la traçabilité d'un point de vue technique et la traçabilité dans sa sphère juridique et, in fine, de vérifier si l'une et l'autres sont placées sur le même plan.
La traçabilité est un néologisme dérivé de l'anglais traceability, pouvant être traduit par « capacité à tracer » .
La traçabilité rejoint les notions de « tracer », « trace » et « traçage », qui impliquent l'utilisation d'éléments de marquage et d'identification d'un objet ou d'un acteur.
La norme ISO 9000 la définit comme étant « l'aptitude à retrouver l'historique, la mise en œuvre ou l'emplacement de ce qui est examiné ».
La définition ISO de la traçabilité prévoit qu'il est possible de retrouver à tout moment la trace des événements de la vie d'un produit au moyen d'informations enregistrées.
Il s'agit d'identifier un bien, un service, une personne et de lui associer des événements qui, au fil du temps, l'ont transformé, ces évènements pouvant eux-mêmes être identifiés et donc tracés.
La traçabilité est « plurielle », alliant les aspects suivants :
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identification ; la traçabilité permet de différencier un bien, une personne, ou un groupe parmi d'autres et de le reconnaître dans un ensemble ;
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authentification ; cette approche permet de s'assurer qu'un bien ou une personne précédemment « certifiée » présente bien une signature authentique ; l'authentification fait appel à un tiers de confiance qui gère les secrets permettant la certification ;
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localisation ; la traçabilité place un bien ou une personne dans l'espace et dans le temps (tel le suivi GPS) ;
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sécurisation ; la fiabilité et la sécurité de l'information sont des éléments incontournables d'une solution de traçabilité ; l'altération de l'information peut déstabiliser un processus de production avec pour conséquence une perte de confiance dans la solution de traçabilité.
Ces aspects de la traçabilité, ou ce que certains appellent la « traçabilitique », doivent permettre une approche globale qui associe l'utilisation des technologies de support et de capture de l'information, faisant ainsi le lien entre la traçabilité et les technologies.
Sur le plan juridique, le terme de traçabilité est identifiable dans plus de dix-huit codes aussi variés que le Code de commerce, le Code pénal, le Code général des impôts ou encore le Code de l'environnement.
On dénombre par ailleurs plus de vingt-six lois, décrets ou arrêtés qui comportent dans leur titre le mot même de traçabilité, sur des thèmes aussi variés que la chasse au gibier d'eau, les produits vinicoles ou les explosifs à usage civil...
Quant au nombre de textes de toutes natures qui comporte le terme de traçabilité, ils sont suffisamment nombreux pour ne pas les citer tous.
À côté du mot même de traçabilité il existe un très grand nombre d'obligations ou de dispositions qui, sans utiliser la même terminologie, ont pour objet ou pour effet de traiter de la trace.
Au sens technique on parlera alors de log de connexion, de données techniques, de données de trafic, de données d'identification ou encore de données de connexion ; au sens juridique on leur donnera à peu près tous un seul et même synonyme : la preuve !
Sur le plan juridique, en effet, la trace devient une preuve : preuve d'un fait, d'un acte, d'une intervention, d'une présence, du respect de la loi ou de son manquement... mais aussi parfois absence d'action ou de réaction.
Ce que l'on cherche en effet à faire avec la trace, c'est prouver... prouver que X a fait ceci, prouver que Y était bien là le jour J, prouver que Madame Michu a bien acheté ceci sur internet ou encore que Monsieur Michu est bien passé trop vite devant le radar automatique...
Issue primairement du secteur industriel, la traçabilité y est entendue comme le processus qui assure qu'en cours de transformation, par un ou plusieurs procédés quelconques (découpage, laminage, extraction, mélange, chauffage, électrolyse, etc.), un produit ou l'ingrédient est toujours affecté de l'information qui lui a été initialement attribuée, et ce jusqu'à sa destination finale.
Dans le secteur agroalimentaire, la traçabilité est l'un des moyens essentiels pour assurer la sécurité alimentaire. Dans ce domaine, la traçabilité est devenue une obligation légale prévue par le règlement européen (CE) 178/2002 du 28 janvier 2002, notamment par son article 18 intitulé « Traçabilité », imposant aux entreprises du secteur agroalimentaire une obligation de traçabilité des denrées alimentaires à tous les stades de la chaîne de production et de commercialisation :
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denrées et substances entrant dans la composition des produits ;
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identification des fournisseurs et des clients ;
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mise à disposition des autorités compétentes de tous les éléments de contrôle nécessaires sur demande.
Les entreprises agroalimentaires sont tenues en particulier d'assurer un archivage des flux pendant cinq ans et de restituer l'information grâce à la mise en place d'un système structuré. Ceci est particulièrement important dans le cadre d'un retrait de produit du marché que l'article 19 du même règlement européen rend obligatoire en cas de risque. Les entreprises du secteur agroalimentaire ont donc une obligation de résultats et non de moyens.
Cette traçabilité est supposée nous éviter de consommer de la viande de cheval à la place de la viande de bœuf ou d'éviter que des animaux impropres à la consommation humaine finissent dans nos assiettes. Toute ressemblance avec des situations existantes ou ayant existé n'a rien de fortuite ! Et l'on comprend ainsi que la traçabilité peut aussi être détournée ou contournée.
Dans la pratique, la traçabilité est donc la capacité à retrouver un produit (alimentaire au besoin) lorsqu'il parcourt une suite de transformations ou lorsqu'il est ensuite distribué au consommateur.
Si un produit présente un danger pour le consommateur, la traçabilité est la capacité de l'identifier, de le localiser et de le retirer des points de vente (plan de retrait-rappel).
Dans d'autres secteurs (industrie nucléaire, pharmaceutique, etc.), des contraintes réglementaires d'application de la traçabilité sont également prévues.
Enfin, dans la construction mécanique et électrique, la traçabilité s'occupe également, à partir d'un produit ou d'un service livré, de remonter la chaîne d'informations et d'indiquer l'origine du produit, ou du service, et de tous les sous-traitants ou fournisseurs qui ont participé à sa fabrication.
La traçabilité des objets permet ainsi de déterminer la responsabilité d'un acteur dans la chaîne de production ou de distribution.
Dans le domaine alimentaire, on parlera essentiellement de la traçabilité des animaux, singulièrement lorsqu'ils sont à destination comestible ; dans le domaine de la santé, on pensera immédiatement à la traçabilité des lots de médicaments ; dans le domaine de la banque et de la finance, la traçabilité portera sur les opérations mises en œuvre et leur caractère plus ou moins exceptionnel. Dans le secteur de la sécurité, la traçabilité pourra rimer avec vidéosurveillance ou biométrie, et dans celui de l'électronique avec logs, données de trafic ou données de connexion.
Dans la plupart de ces situations, traçabilité rime avec identité.
La question en effet est moins de savoir d'où vient la vache, mais de savoir, si elle est folle et qui a pu en consommer... tout comme en matière pharmacologique, la question sera d'identifier la personne qui a pu avoir accès à un lot critique.
En matière de banque, on s'intéressera surtout à identifier celui ou celle des traders qui a pu engager une démarche hors norme. En matière de sécurité, la problématique posée est celle de l'identification d'un délinquant et en matière électronique savoir qui de Pierre ou de Paul s'est connecté, à quoi, et pendant combien de temps.
Dans tous les cas et même lorsque la trace ne porte pas sur la personne elle-même, elle la touche directement : la traçabilité des médicaments ou des aliments rejaillit sur ceux qui les consomment ; la traçabilité des armes sur ceux qui les manipulent, et ainsi de suite.
Il existe donc une corrélation, pour ne pas dire une immixtion, entre la trace et l'individu.
Il existe donc un lien étroit pour ne pas dire systématique entre traçabilité et les données personnelles et il existe donc naturellement ou nécessairement une problématique entre la légitimité de la trace et une potentielle atteinte aux libertés individuelles ou collectives.
Cette immixtion est telle qu'une même trace peut être appréhendée du côté malin ou du côté malsain. Personne ou presque n'aime l'idée d'être vidéo-surveillé ; mais tout le monde applaudit lorsqu'il s'agit d'identifier en un temps record un délinquant ou un terroriste via un système de vidéoprotection.
Or, entre vidéosurveillance et vidéoprotection, rien ne change mais tout est différent : rien ne change sur un plan technique car il s'agit toujours de filmer des personnes et de conserver pendant un certain laps de temps les images ; mais tout est différent car la vidéosurveillance sera considérée comme une atteinte aux libertés individuelles ; alors que la vidéoprotection sera admise comme un bon moyen de protéger les libertés collectives.
Il importe d'ailleurs à ce stade d'en revenir au sujet lui-même et à la notion même de liberté. On évoque ici la liberté individuelle mais à vrai dire, la traçabilité peut tout aussi bien toucher ou affecter les libertés collectives.
Cependant, c'est bien les libertés individuelles au premier rang desquelles figure le droit à la protection de la vie privée et des données personnelles qui posent question lorsqu'il s'agit de traiter de la traçabilité.
On parle de conflit de légitimité dès lors qu'il faut respecter deux obligations en apparence contradictoires.
En matière de traçabilité, le conflit de légitimité est indéniable dès lors qu'existe une obligation de traçabilité d'une part et qu'existe en même temps un droit à la protection des libertés individuelles et des données personnelles... autrement dit le droit à l'anonymat.
Ce conflit est d'autant plus prégnant que les conséquences d'une violation de l'une ou l'autre des obligations (traçabilité versus droit des données personnelles) sont sanctionnées pénalement.
Ce conflit, même s'il existe, peut facilement être maîtrisé pour autant qu'un certain nombre de règles du jeu soient respectées.
MOTS-CLÉS
Réglementation Vie privée Conflit de légitimité industrie Traçabilité Informatique Traces Logs
VERSIONS
- Version courante de nov. 2022 par Eric BARBRY
DOI (Digital Object Identifier)
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4. Gestion juridique de la trace
À la vérité, il n'y a rien de complexe à s'accommoder de la trace et du droit. Il faut là encore s'assurer qu'un certain nombre de règles sont respectées.
Il n'est pas ici possible d'identifier avec exhaustivité chacune des précautions à prendre ou étape à respecter mais les principales sont exposées ci-après.
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Règle 1 – Définir si besoin un socle juridique approprié
La mise en œuvre de systèmes d'information, qu'ils soient publics ou privés, est libre par nature. De fait, il ne nécessite pas d'être créé et mis en œuvre par un texte de loi. Ceci est vrai pour tous les systèmes d'information à l'exception des services de l'administration électronique.
L'article 5 de l'ordonnance 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives précise que « Les autorités administratives peuvent créer, dans le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 susvisée et des règles de sécurité et d'interopérabilité prévues aux chapitres IV et V de la présente ordonnance, des téléservices. Lorsqu'elles mettent en place un tel service, les autorités administratives rendent accessibles depuis ce dernier la décision le créant ainsi que ses modalités d'utilisation, notamment les modes de communication possibles. Ces modalités s'imposent aux usagers ».
Les téléservices s'entendent pour leur part de « Tout système d'information permettant aux usagers de procéder par voie électronique à des démarches ou formalités administratives » (article 1 de l'ordonnance).
Mais l'ordonnance n'est pas la seule source de droit. Il faut également tenir compte de l'article 27-2-4 de la loi informatique et libertés qui précise pour sa part que doivent faire l'objet d'un texte de création présenté pour avis à la CNIL : « Les traitements mis en œuvre par l'État ou les personnes morales mentionnées au I aux fins de mettre à la disposition des usagers de l'administration un ou plusieurs téléservices de l'administration électronique, si ces traitements portent sur des données parmi lesquelles figurent le numéro d'inscription des personnes au répertoire national d'identification ou tout autre identifiant des personnes physiques ».
De fait, la première démarche à entreprendre avant de mettre...
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BIBLIOGRAPHIE
DANS NOS BASES DOCUMENTAIRES
-
« La traçabilité des aliments à l'épreuve de la « commentosphère » : opportunité ou menace ? »
-
« Traçabilité et système d'information : quelles interactions ? »
-
« Traçabilité et norme ISO 9001 : 2000. Objectifs, moyens et méthodes »
NORMES
-
AFNOR, Systèmes de management de la qualité – Principes essentiels et vocabulaire. - ISO 9000 - 2005
ANNEXES
Code de la consommation – notamment les articles L 214-1 et R 214-4.
Code de l'environnement – notamment l'article L 523-1.
Code du travail – notamment l'article L 4622-2.
Code de la propriété intellectuelle – notamment l'article L 623-24-4.
Code pénal – notamment les articles 226-17, 226-21, 226-22, 323-1, 323-2, 323-3, R 431-3.
Code de procédure pénale – notamment A53-6.
Code des postes et des communications électroniques – notamment L 34-1, R 10-12, R 10-13.
Code civil, notamment les articles 9, 1316 à 1316-4.
Ordonnance n 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives.
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