Présentation
En anglaisRÉSUMÉ
L'agronomie a connu de profondes mutations au cours de son histoire. Corpus de connaissances et de pratiques appliquées à l'agriculture, elle s'est toujours trouvée sous de fortes influences sociales et économiques. À partir des outils industriels développés lors des deux conflits mondiaux, elle connaît une inflexion majeure avec la généralisation de la chimie et des machines. Le modèle de production industriel - spécialisation, standardisation - est appliqué aussi bien à l'agriculture qu'à la recherche agronomique. Mais ce modèle est désormais remis en question pour ses effets sociaux et environnementaux. La recherche de solutions non standards appropriées aux contextes divers et aux acteurs conduit à refonder l'agronomie sur une base participative.
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Agronomy has changed tremendously in the course of its history. This corpus of knowledge and practices applied to agriculture has always been influenced by both the social and the economic context. In the aftermath of the two world wars, the widespread use of chemicals and mechanization deeply modified its evolution. The industrial model of production – specialization, standardization – is also applied to agriculture and agronomic research. But today the model is highly controversial because of its environmental and social impacts. The search for non-conventional responses adapted to different contexts and actors is reshaping agronomy towards a more participatory model.
Auteur(s)
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Matthieu CALAME : Directeur Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l'homme, Suisse et France
INTRODUCTION
Le monde des ingénieurs agronomes, de la recherche agronomique et de manière générale des acteurs du secteur agroalimentaire, tant au niveau national qu'au niveau international, fait régulièrement face depuis une vingtaine d'années à des « crises » – sanitaires, environnementales, économiques – qui, l'une après l'autre, fissurent le consensus apparu à l'issue de la seconde guerre mondiale autour d'un modèle d'agriculture généralement qualifié de « révolution verte ». Le projet de la révolution verte a été inspiré et rendu possible par la révolution industrielle du XIX e siècle et le triomphe dans la première moitié du XX e siècle de la rationalisation tayloriste du travail : fragmentation et spécialisation du travail, organisation de la fabrique comme espace clos et contrôlé de production, mécanisation du travail, normalisation des produits et des outils, allongement des chaînes de production et de commercialisation. L'application de ce modèle de production à l'agriculture a été rendue possible par l'essor de la chimie et de la génétique modernes.
Confrontée à la diversité des terroirs et notamment des sols, l'agriculture avait historiquement composé avec les contraintes du milieu. Quand elle ne l'avait pas fait, cela avait été à ses dépens et à celui des sociétés dont elle était le support : dégradations de l'environnement et famines ont ponctué l'histoire de l'agriculture. Le paquet technique de la révolution verte va permettre de s'affranchir partiellement de ces contraintes : association d'outils puissants, capables de remodeler l'espace et de contrôler l'eau (drainage, irrigation, etc.), des engrais chimiques de synthèse capables de se substituer à la fertilité biologique des sols, des pesticides (insecticides, puis herbicides, puis fongicides) capables de réprimer tous les concurrents des plantes cultivées, la génétique, la sélection et les biotechniques enfin qui produisent semences et races d'élevage homogènes, allant parfois jusqu'au clonage afin d'obtenir un peuplement parfaitement homogène au comportement supposé prévisible. Ce mode de pensée visant à la maîtrise totale de toutes les composantes du système trouve son aboutissement ultime dans l'agriculture hors-sol sous serre dans laquelle tous les facteurs – nutrition, température, atmosphère enrichie en dioxyde de carbone, éclairage, etc. – sont contrôlés. Le processus d'industrialisation de l'agriculture par artificialisation de l'environnement et réification du vivant achève son paradigme. En termes de productivité par actif et de massification de la production à court et à moyen termes, ce modèle agricole a parfaitement atteint ses objectifs, comme son modèle industriel d'ailleurs. L'abondance de nourriture, au moins dans les pays riches, fait écho à l'abondance de produits manufacturés.
Cependant, par le fait même de sa réussite et de sa généralisation, l'industrialisation de l'agriculture a également révélé le revers de la médaille. Outre les problèmes inhérents au modèle industriel de production et de consommation (dépendance à l'énergie, augmentation des pollutions, crises de surproduction entraînant des crises de chômage de masse...), il a produit des problèmes spécifiques à l"agriculture portant notamment sur la durabilité de certaines ressources (eau, sol) ou sur la participation à la dégradation de cycles biogéochimiques (biodiversité, cycle du carbone, de l'azote, du phosphore) potentiellement garants de l'homéostasie du système terrestre qui a constitué le cadre favorable à l'épanouissement des civilisations humaines (Planetary Boundaries, Rokström et al. 2009). Dans le domaine de la santé, il a soulevé deux problèmes liés aux pesticides. Le premier est celui de leur rôle potentiel de perturbateurs endocriniens (rappelons que de nombreux pesticides s'inspirent d'hormones) susceptibles d'affecter non seulement la santé des consommateurs (cancer, allergies...) mais leur capacité reproductive (baisse de fertilité), voire leur descendance (anomalies lors du développement embryonnaire, teratogénie...). Le second, c'est qu'en négligeant la capacité adaptative du vivant (tant les bactéries que les champignons ou les végétaux), il a exercé une pression de sélection favorisant l'apparition de souches résistantes aux molécules chimiques avec deux effets : le premier, un effet invasif – l'organisme résistant se trouvant seul se diffuse rapidement et dans des proportions massives – et le second, une perte d'efficacité des antibiotiques, utilisés massivement en élevage, également pour l'usage humain.
La reconnaissance croissante de ces situations à risque, voire de ces impasses techniques, a donc conduit à une remise en question du modèle dans son ensemble, d'abord timide dans les années 1970 et progressivement de plus en plus reconnue dans le monde agronomique au sens large. Les nouveaux « concepts » vont proliférer peut-être de manière inversement proportionnelle aux changements réels qui restent timides. Au mouvement ancien de l'agriculture biologique vont venir s'agréger l'agriculture intégrée (integrated pest management), l'agriculture raisonnée, l'agriculture durable, l'agroécologie, l'agriculture à haute valeur environnementale, l'agriculture écologiquement intensive. Ces différents concepts divergent sur des questions techniques, sociales ou économiques, selon qu'ils acceptent ou non les plantes génétiquement modifiées (PGM), les pesticides, qu'ils sont coercitifs ou simplement incitatifs, qu'ils constituent un label pour le consommateur ou désignent un horizon de recherche et d'innovation. Dans tous les cas cependant, cette « nouvelle agronomie », qui à bien des égards est un renouveau de l"agronomie, va mobiliser d'autres champs de connaissance disciplinaires : la géographie, l'écologie, l'ingénierie paysagère qui vont s'ajouter d'une part au vieux socle agronomique (pédologie, travail du sol, sélection traditionnelle) et d'autre part aux techniques de la révolution verte (machinisme, chimie, biologie cellulaire et génétique). Pour apprécier cette évolution en cours et ses issues possibles, il est utile de replacer l'agronomie dans sa trajectoire historique et de comprendre comment ce champ technique a évolué en intégrant des évolutions souvent venues d'ailleurs. Nous analyserons ensuite la recombinaison en cours des connaissances et des pratiques au sein de la nouvelle agronomie et enfin nous étudierons le régime d'innovation qui se met en place, système décentralisé et participatif.
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3. Tendances agronomiques répondant aux demandes sociales émergentes
Toute nouvelle organisation de l'agriculture a généré une organisation – un régime pour reprendre le terme des sociologues – de la recherche et de l'innovation. Quelles caractéristiques prendrait une innovation reprenant les trois enjeux de l'environnement, du local et de la plurifonctionnalité du territoire ?
On a vu que le modèle industriel a correspondu à une organisation linéaire de la recherche, privilégiant une démarche analytico-expérimentale dont les grandes caractéristiques sont :
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la réduction de l'objet de recherche pour le rendre « traitable » selon les canons épistémologiques en vigueur ;
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la segmentation du système d'innovation : recherche fondamentale, puis appliquée, puis diffusion auprès des acteurs ;
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la priorité donnée à l'identification de lois universelles dont découlent des réponses quasi universelles ;
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au service d'une pratique agricole tournée vers l'émancipation des contraintes environnementales, démarche assez similaire à la recherche de laboratoire qui vise à contrôler l'ensemble des facteurs, l'agriculture hors-sol constituant une sorte d'archétype.
Dans les faits, cela a privilégié comme produits de l'innovation technique le développement et l'adoption dans le processus de production agricole de techniques et de ressources exogènes au territoire et non reproductibles par les producteurs.
Dans cette optique, il est d'ailleurs devenu trompeur de présenter l'agriculture comme faisant partie du secteur primaire de l'économie, classification qui en fait, au même titre que la mine et la pêche, l'exploitation d'une ressource naturelle. L'agriculture est bien plus devenue une activité du secteur secondaire qui s'inscrit, non pas en amont de la chaîne de valeur agroalimentaire, mais bien au centre. Certes, la pêche et la mine sont aussi gourmandes en pétrole et en outils, mais si vous leur supprimez le pétrole, les poissons se multiplieront quand même et les minerais seront toujours là. Supprimez le pétrole à l'agriculture industrielle, la production s'effondrera.
Le nouveau modèle émergent repose, quels que soient les courants, sur la capacité à maintenir un haut niveau de production en utilisant non pas des ressources exogènes (pétrole, eau d'irrigation parfois lointaine, engrais minéraux...) mais en combinant mieux les facteurs internes de production (plantes cultivées, animaux, travail, biodiversité commensale) au sein d'agrosystèmes...
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BIBLIOGRAPHIE
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(1) - ARENDT (A.) - L'impérialisme. - Points (2010).
-
(2) - BACON (F.) - La nouvelle Atlantide. - GF. Flammarion (1997).
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(3) - BONNEUIL (C.), THOMAS (F.) - Gènes, Pouvoirs et profits. - Éditions Quae (2009).
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(4) - CARSON (R.) - Le printemps silencieux. - Poche.
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(5) - * - CATON, COLUMELLE, VARON, PALADIUS http://www.gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2820632.langFR
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(6) - HERVIEU (B.) - Du droit des peuples à se nourrir eux-mêmes. - http://www.persee.fr/web/revues/home/ prescript/article/ecoru_0013-0559_1997_num_238_1_4859_t1_0049_0000_1
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(7)...
ANNEXES
Rokström et al., nine planetary boundaries, https://www.stockholmresilience.org/research/planetary-boundaries.html (page consultée le 17 novembre 2014)
http://www.agrocampus-ouest.fr
http://www.civam-bretagne.org/civam.php?pj=132&ref_rub=21&ref=59/
http://www.iledefrance.fr/competence/picri
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