Présentation
En anglaisRÉSUMÉ
Cet article trace les contours d'un champ de réflexion académique et pratique émergent, l'éthique de l'ingénierie. Celle-ci, moins connue et plus récente que l'éthique médicale ou des affaires, porte sur l'activité dont les ingénieurs constituent une figure à la fois centrale et singulière. Après une première partie proposant de revenir sur quelques concepts utiles à la thématique, l'article présente des accidents et incidents ayant conduit la profession à mettre des mots sur leur éthique. Dans un second temps, il rend compte du développement des discours produits par et pour des ingénieurs depuis plus d'un siècle et qui ont parfois pris la forme de règles déontologiques explicites. L'article se termine avec une réflexion tournée spécifiquement vers les ingénieurs et futurs ingénieurs aujourd'hui.
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This article describes the emerging domain of applied ethics (engineering ethics), which concerns engineering, with a focus on the engineers' role. The introduction gives a definition of a few necessary concepts. The article goes on to describe accidents and incidents that have marked the profession and led some engineers' associations to formulate their ethics. It then describes the development of an ethical discourse by and for engineers over the last century, and looks at some countries where engineers chose long ago to publish codes of ethics. The conclusion invites today’s engineers and engineers-to-be to address some central ethical questions raised by engineering.
Auteur(s)
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Christelle DIDIER : Sociologue - Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation - Centre interuniversitaire de recherche en éducation de Lille (CIREL) – Équipe Proféor, EA 2261, Université de Lille - Collectif des Études Pluridisciplinaires Sur l’Ingénierie (EPSI)
INTRODUCTION
Il semble bien difficile de parler du développement de l’éthique de l’ingénierie en France, contrairement à d’autres pays, à commencer par les États-Unis, où ce domaine de l’éthique appliquée est établi depuis les années 1980 sous l’appellation « engineering ethics ». L’expression même « éthique de l’ingénierie » continue de susciter de l’étonnement pour un public français qu’il soit composé de non-spécialistes, d’ingénieurs voire de philosophes. Elle est pourtant utilisée depuis de longues années dans d’autres régions de la francophonie, comme le Québec. L’existence de codes de déontologie, écrits par des ingénieurs pour des ingénieurs, est par ailleurs attestée depuis le début du XXe siècle avec le plus ancien code publié au Royaume-Uni par la prestigieuse Association of Civil Engineers en 1910. C’est cependant surtout aux États-Unis que ce genre d’écrit a trouvé un contexte culturel et social particulièrement favorable pour se déployer depuis le début du XXe siècle jusqu’à ce jour.
Pourtant, les Français ne sont pas moins concernés que leurs homologues nord-américains par le dilemme entre leur devoir d’obéissance organisationnelle et leur responsabilité sociale, thématique abondamment discutée outre-Atlantique dans le milieu des ingénieurs à travers des cas de whistleblowing depuis les années 1970. La traduction en France au début des années 2000 de ce mot par « alerte éthique » ou « alerte professionnelle » n’a pas touché en premier lieu les milieux d’ingénieurs. Elle n’a pas non plus concerné d’abord le type de dilemme tant discuté par les ingénieurs états-uniens. C’est plutôt au sujet d’exactions financières que ces notions se sont diffusées, à partir des entreprises françaises travaillant avec les États-Unis, obligées de mettre en place des procédures de signalement en application de la loi Sarbanne-Oxley (2002) votée après les scandales financiers d’Enron et WorldCom.
Dans un autre contexte culturel, en Allemagne, on a vu des outils spécifiques d’évaluation des techniques être intégrés depuis les années 1980 à la réflexion des ingénieurs, témoignant d’un souci pour des questions éthiques. Or, on peut penser que celles-ci concernent autant les ingénieurs français que leurs homologues d’outre-Rhin. Ailleurs encore, on a vu se développer de nouvelles collaborations entre ingénieurs en R&D et chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales sous des appellations aussi diverses que Value Sensitive Design, Constructive Technology Assessment, Political Technology Assessment, Socio-Technical Integration Research, Network Approach for Moral Evaluation. Si de tels outils que l’on trouve par exemple aux États-Unis et aux Pays-Bas ont des équivalents dans les centres de recherche français, leur diffusion reste discrète.
La façon dont sont soulevées les questions éthiques dépend certainement des contextes juridiques et culturels de chaque pays, ainsi que de l’existence d’un débat public à leur sujet. L’absence de controverse sur les organismes génétiquement modifiés aux États-Unis place les ingénieurs qui travaillent dans les biotechnologies dans un tout autre contexte qu’en Europe où l’évidence de la controverse est incontournable. En revanche, le soutien important fait en France par les gouvernements successifs à la filière nucléaire n’est pas sans incidence sur la perception qu’ont les ingénieurs de cette technologie et de ses enjeux éthiques et sociaux, indépendamment de la qualité intrinsèque des arguments avancés de part et d’autre du débat. On pourrait dire de même au sujet de la résistance du Québec à qualifier l’amiante de matière dangereuse… Ainsi, les thèmes des discussions considérées comme relevant de l’éthique de l’ingénierie diffèrent selon les lieux et les époques : certains sujets sont plus débattus que d’autres pour diverses raisons. Les scandales de collusion et corruption qui ont frappé dans les années 2000 les milieux des ingénieurs au Québec ont fait l’effet d’un électrochoc et poussé la profession à se remettre en question.
Ce qui étonne parfois en France, c’est la visibilité encore très faible des discours portés par les ingénieurs en tant que groupe socio-professionnel sur ces questions qu’on peut qualifier d’« éthiques » parce qu’elles engagent des valeurs et une certaine vision du monde. Cet article vise ainsi à mieux faire connaître l’état des réflexions développées depuis près d’un siècle dans le milieu des ingénieurs et depuis une quarantaine d’années dans le cadre de collaborations avec des philosophes, sociologues, psychologues, économistes… en éthique de l’ingénierie.
KEYWORDS
ethics | Code of Ethics | engineering ethics | social responsibility
VERSIONS
- Version archivée 1 de janv. 2015 par Christelle DIDIER
DOI (Digital Object Identifier)
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5. Glossaire – Définitions
Alerte éthique ; Whistleblowing
Acte d’un homme ou d’une femme qui, pensant que l’intérêt public surpasse les intérêts de l’organisation qu’il sert, tire la sonnette d’alarme pour signaler que l’organisation est impliquée dans une activité corrompue, frauduleuse, illégale ou dangereuse.
Déontologie ; Professional ethics
Ensemble des devoirs qu’impose à des professionnels l’exercice de leur métier.
Sens juridique strict : Document inscrit dans l’ordre de la loi lié à une instance de régulation identifiée, tel qu’un ordre.
Sens élargi : Ensemble de règles reconnues par un groupe professionnel et inscrites dans un texte faisant référence pour l’ensemble de ses membres.
Droit souple (ou mou) ; Soft law
Genre de droit auquel il manque des caractéristiques traditionnellement attachées à la règle de droit : l’obligatoriété, la contrainte ou encore la précision de la règle.
Éthique de l'ingénierie ; Engineering ethics
Champ d’étude qui consiste à interroger les enjeux éthiques que soulève l’ingénierie, définie comme l’ensemble des processus et méthodes d’invention de solutions et de coordination technique qui sont le propre de l’activité des ingénieurs.
Ordre professionnel ; Professionnel order
Organisme émanant de la loi regroupant l’ensemble des membres d’une même profession pour en assurer la régulation.
Ethique professionnelle ; Professional ethics
Langage commun (sens 1) : Ensemble de valeurs qui sous-tendent les pratiques professionnelles et leur donne un sens.
Langage académique anglo-saxon : Champ d’études qui porte sur les enjeux éthiques d’une profession, c’est-à-dire un type de métiers dotés d’une organisation (non syndicale), d’une déontologie formalisée et d’exigence d’un niveau d’étude élevé.
Langage académique dans des pays où la distinction occupation/profession n’a pas de sens : Champ d’étude qui consiste à interroger les enjeux éthiques que soulève une activité professionnelle.
Ingénierie ; Engineering
Langage professionnel (industriel) : Travaux d’étude, de conception, de contrôle de tout ou partie...
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Glossaire – Définitions
BIBLIOGRAPHIE
-
(1) - SCHAUB (J.H.), PAVLOVIC (K.) - Engineering professionalism and ethics. - Wiley (1983).
-
(2) - ZHU (Q.), MARTIN (M.), SCHINZINGER (R.) - Engineering ethics. - Edition originale 1983, 5e édition, McGraw-Hill (2021).
-
(3) - HARRIS (C.E.), PRITCHARD (M.S.), RAY (J.), ENGELHARDT (E.), RABINS (M.J.) - Engineering ethics: concepts and cases. - Edition originale 1995, 6e édition, Wadsworth (2019).
-
(4) - FLEDDERMANN (C.B.) - Engineering ethics. - Edition originale 1999, 4e edition (2012).
-
(5) - DIDIER (C.) - Les ingénieurs et l’éthique professionnelle : pour une approche comparative de la déontologie. In Sociologie des groupes professionnels. Acquis récents et nouveaux défis, - DEMAZIÈRE (D.) et GADÉA (C.) (dir.), La Découverte, p. 208-218 (2010).
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DANS NOS BASES DOCUMENTAIRES
ANNEXES
Observatoire français de l’ISO 26000
https://www.iso.org/fr/iso-26000-social-responsibility.html
Objectifs du développement durable ONU (2017)
https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/
Guide des compétences DD&RS CPU-CGE (2016)
http://reunifedd.fr/wp-content/uploads/2021/01/Guide-de-comp%C3%A9tences-DDRS-2019.pdf
Référentiel DD&RS (2021)
https://franceuniversites.fr/wp-content/uploads/2022/02/referentiel-DDRS_2021_FR_numerique.pdf
HAUT DE PAGE
CNISF ((1996)), Code de déontologie des ingénieurs du Conseil national des ingénieurs et scientifiques de France
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