Présentation
RÉSUMÉ
Cet article a pour objet d’expliquer comment est tarifé l’usage des réseaux de transport et de distribution de l’électricité pour les producteurs, fournisseurs et consommateurs en Europe comme aux États-Unis. Ces réseaux sont des infrastructures dites essentielles, dont l’accès doit être ouvert à tous, car ils sont au cœur des échanges d’électricité sur le marché. La position de monopole naturel de ces réseaux implique que les conditions d’utilisation et notamment les tarifs d’acheminement soient régulés donc fixés par des commissions de régulation indépendantes. Ces tarifs d’accès prennent en compte à la fois la capacité réservée et la quantité transitée.
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The purpose of this article is to explain how the use of electricity transmission and distribution networks is priced for producers, suppliers and consumers in Europe and the United States. These networks are so-called essential infrastructures, and access to them must be open to all, since they are at the heart of electricity exchanges on the market. The natural monopoly position of these networks means that conditions of use, and in particular transmission tariffs, are regulated by independent regulatory commissions. These access tariffs take into account both the capacity reserved and the quantity transited.
Auteur(s)
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Jacques PERCEBOIS : Professeur émérite - Doyen honoraire de la faculté d’Économie - UMR CNRS ART-Dev 5281, Fondateur du CREDEN - Université de Montpellier, Montpellier, France
INTRODUCTION
L’industrie de l’électricité regroupe la production, le transport et la distribution de l’électricité c’est-à-dire de kilowattheures (kWh). L’électricité est tantôt un bien de consommation intermédiaire (les kWh utilisés dans les processus industriels par exemple), tantôt un bien de consommation finale (électricité utilisée pour l’éclairage ou le chauffage domestique). Elle satisfait tout à la fois des usages captifs lorsqu’elle n’a pas de substituts (cas de l’éclairage par exemple) et des usages non captifs (cas du chauffage où l’électricité est en concurrence avec le gaz naturel, le charbon, le fuel, voire les bois…). L’électricité, comme le gaz naturel, est une énergie qui a la particularité d’être distribuée à travers un réseau : une infrastructure physique de lignes à haute, moyenne et basse tension assure le transport et la distribution du courant entre le lieu de production (barrage, centrale nucléaire ou centrale thermique classique au gaz, au fioul ou au charbon) et les appareils utilisateurs chez le consommateur final, qu’il soit industriel ou domestique. Certes il existe des cas particuliers, telle l’autoconsommation qui permet une utilisation sur place de l’électricité produite, mais celle-ci ne représente aujourd’hui qu’une part modeste, bien que croissante, de la consommation d’électricité. L’accès à l’électricité est aujourd’hui un droit dans la législation française et l’électricité est donc à la fois une marchandise et un service public. Tous les résidents français sont raccordés au réseau depuis que l’électrification rurale a été achevée (début des années 1960).
À l’origine l’électricité était destinée essentiellement à satisfaire un usage d’éclairage. Elle supplante alors le gaz manufacturé obtenu à partir de la distillation de la houille. Très vite d’autres usages vont se développer dans la chimie, la métallurgie, les transports. L’électricité est une énergie dont les perspectives sont prometteuses dans le cadre de la transition énergétique bas carbone. L’électricité représente aujourd’hui 25 % environ de la consommation finale d’énergie en France et sa part devrait atteindre 55 % en 2050 avec la décarbonation totale du mix énergétique de la France (selon les scénarios « Futurs énergétiques » publiés par RTE). Cette électricité devrait se substituer de plus en plus aux énergies carbonées (pétrole, charbon et gaz) dans les divers usages, y compris dans la mobilité. L’électricité nucléaire, hydraulique, éolienne, et solaire sont des énergies décarbonées. L’électricité produite avec du charbon, du gaz naturel ou du fioul est émettrice de carbone, ce qui justifie son abandon progressif pour lutter contre le réchauffement climatique.
L’électricité est une énergie nationale dans la quasi-totalité des pays, ce qui n’exclut pas des échanges transnationaux. La France est traditionnellement exportatrice nette d’électricité, sauf en 2022 où elle a été importatrice nette. Un pays ne peut pas dépendre intégralement des importations pour son alimentation en électricité, vu le caractère stratégique de cette énergie. Cela explique que la structure de la production d’électricité soit très différente d’un pays à l’autre, et de ce fait que le coût d’accès à l’électricité puisse également varier selon les situations locales. Notons encore que l’électricité ne se stocke pas à grande échelle dans des conditions économiques, même si on recourt de plus en plus à du stockage de court terme dans des batteries. Les perspectives de stockage sous forme d’hydrogène par électrolyse de l’eau sont également prometteuses. À défaut de stocker l’électricité, on stocke l’eau dans des barrages (barrages de lac, au fil de l’eau ou stations de pompage) ce qui permet un stockage inter-saisonnier indirect. L’origine du réseau tient aussi pour l’électricité à la localisation de la production près des mines de charbon ou près des barrages et à la nécessité d’amener cette électricité dans les villes à proximité du consommateur. Cela a d’ailleurs obligé les gestionnaires de réseaux à harmoniser les standards techniques (fréquence, tension) pour interconnecter les réseaux. Cette harmonisation s’est d’abord faite au niveau national et a été parfois étendue au niveau international, comme c’est le cas en Europe. La mise en place de « codes de réseaux » au niveau de l’Union européenne (via l’ENTSO-E) permet de rapprocher les normes utilisées dans les pays membres et de faciliter ainsi les échanges d’électricité.
Le réseau d’électricité est constitué par des lignes connectées les unes aux autres dans des postes électriques qui répartissent les flux en fonction des besoins. Des transformateurs permettent d’élever ou d’abaisser la tension aux divers points du réseau. Le réseau de transport de l’électricité est en France géré par RTE (Réseau de transport d’électricité), filiale à 50 % d’EDF. Ce réseau est unique sur le territoire métropolitain, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays européens où existent parfois plusieurs réseaux sur des espaces géographiques différents (comme en Allemagne, où il en existe quatre). Pour pouvoir acheminer l’électricité sur longue distance, sans perte de puissance, l’électricité est portée à haute tension (HTB), de 63 à 400 kV selon les cas. Ce réseau est dit maillé afin de pouvoir assurer la continuité du service public : si une ligne est défaillante, les flux sont reportés sur les autres lignes. Cet ensemble d’ouvrages à haute tension est souvent décomposé en deux classes : la très haute tension (400 kV et 225 kV) et le réseau de répartition ou haute tension (63, 90, 150 kV).
Le réseau à moyenne tension, dite HTA (15 ou 20 kV), est connecté au réseau de transport ou de répartition via des postes sources dans lesquels la tension est abaissée au niveau souhaité. Ce réseau alimente à son tour le réseau de distribution à basse tension (jusqu’à 230 V) via des postes sources HTA/BT. Ce réseau de distribution est largement arborescent, surtout en zone rurale. Le réseau basse tension s’interrompt au niveau du disjoncteur de l’abonné, qui marque la séparation entre le domaine public et le domaine privé. La distribution est assurée par Enedis, filiale à 100 % d’EDF, concessionnaire « obligé » des collectivités locales (ce que dit la loi), en charge de 95 % de cette distribution, hormis quelques localités où existent des entreprises locales de distribution (ELD), telles les régies municipales qui fonctionnent sous le régime de la gestion directe. Il existe encore un peu plus d’une centaine d’ELD en France métropolitaine. Le réseau de transport est la propriété de RTE, le réseau de distribution est la propriété des collectivités locales (communes, agglomérations, métropoles, syndicats de communes), sauf pour les postes sources qui sont la propriété du distributeur ; Enedis n’est que le concessionnaire de ces autorités concédantes.
L’organisation des réseaux d’électricité est différente d’un pays européen à l’autre.
C’est en rappelant l’histoire de la constitution de ces réseaux d’électricité que l’on peut comprendre les particularités juridiques et économiques de la situation présente. L’histoire est d’ailleurs différente en Europe de ce que l’on a pu observer dans d’autres régions du monde, les États-Unis notamment. Nous verrons ensuite que l’accès aux réseaux de transport et de distribution est aujourd’hui un accès libre dans les pays occidentaux qui ont opté pour l’ouverture à la concurrence, dans la mesure où ces réseaux sont considérés comme des infrastructures essentielles (essential facilities) ; mais l’utilisateur du réseau doit acquitter un péage qui est fixé par une commission indépendante et ce péage représente une part non négligeable de la facture d’électricité.
KEYWORDS
regulation | tolls | natural monopoly | Third Party Access (TPA)
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3. Le coût de l’acheminement : une composante importante du coût de l’électricité
Au premier semestre 2023 la production d’électricité de l’Union européenne des 27 était pour 32,5 % faite avec des énergies fossiles (17,3 % pour le gaz, 12,9 % pour le charbon et 2,3 % pour le pétrole) ; le nucléaire pesait 23,3 % et les énergies renouvelables 44,2 % (dont 18,1 % pour l’éolien, 12,1 % pour l’hydraulique, 9,0 % pour le solaire et 5 % pour la biomasse). Ce mix était donc à 67,5 % décarboné. La situation était toutefois très contrastée d’un pays à l’autre de l’Union. Ainsi, en 2023 le mix électrique de la France était sensiblement plus décarboné (93 %) puisque le nucléaire a représenté 65 % (loin des 75 % atteints quelques années auparavant), l’hydraulique, l’éolien, le solaire et la biomasse 29 % à eux quatre. Les énergies fossiles atteignaient 7 % de la production, 6 % pour le gaz naturel et 1 % pour le charbon. Le coût de la fourniture représentait encore plus de 40 % du prix total du tarif payé par le consommateur domestique. Notons que les prix spot du marché de l’électricité ont atteint une moyenne de 276 euros/MWh en 2022, contre 41,97 euros/MWh sur la période 2015-2019 et 67,29 euros/MWh depuis le début de l’année 2024.
La structure du TRVE (tarif réglementé de vente d’électricité) réservé aux petits consommateurs, présentée dans la figure 4, est sensible au coût des réseaux (source CRE) ; on constate que le TURPE représente en moyenne sur une longue période environ un tiers du prix TTC. Cette part a chuté en 2022 en raison de l’envolée du prix de gros de l’électricité. C’est le coût de la fourniture qui constitue alors la majeure part du tarif (ce TRV était de l’ordre de 22,2 centimes d’euros par kWh soit 222 euros par MWh). La TICFE (taxe intérieure sur la consommation finale d’énergie, ex CSPE) a été quasiment supprimée en 2022 pour faire face à l’envolée des prix de gros mais elle a été réintroduite en 2024, en partie du moins. Elle le sera totalement en février 2025. Le poids des taxes était donc en 2022 plus faible qu’il ne l’était avant 2022. La CSPE était, au départ, destinée à financer le surcoût des renouvelables. Les producteurs d’électricité éolienne et photovoltaïque...
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BIBLIOGRAPHIE
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(1) - CAMPAGNOLA (F.) - Précis de droit de l’énergie, - Préface de J. PERCEBOIS, Éd. L’Harmattan (2023).
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(2) - CHEVALIER (J.M.) - Les grandes batailles de l’énergie, - Préface de C. MANDIL, Éd. Folio (2004).
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(3) - HANSEN (J.P.), PERCEBOIS (J.) - Énergie : économie et politiques, - Préface de M. BOITEUX et avant-propos de J. TIROLE, 3e édition, Éd. de Boeck (2019).
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(4) - MÉRITET (S.), VAUJOUR (J.B.) - Économie de l’énergie. - Dunod (2015).
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(5) - BOUNEAU (C.), DERDEVET (M.), -PERCEBOIS (J.) - Les réseaux électriques au cœur de la civilisation industrielle. - Timée-Éditions (2007).
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(6) - BOUTTES (J.P.) - Énergie. - PUF...
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