La crise sanitaire de Covid-19 fait planer l’incertitude sur l’avenir de beaucoup de secteurs industriels, tout en remettant en question les modèles économiques en vigueur. Pour être plus résilient, il faudra « se confronter aux scénarios possibles les plus radicaux ». C’est ce que maintient Mathieu Griffoul, futurologue. Auparavant consultant en organisation, stratégie et révolution digitale au sein de l’entreprise, il pratique la futurologie depuis dix ans : « La futurologie, c’est penser différents scénarios possibles, probables et radicaux, dans une discipline et imaginer ses implications pour une entreprise ».
Plusieurs termes-clés définissent son métier, nous explique le futurologue, tels que « design fiction« ou encore « design spéculation » : « Notre travail consiste à chercher des signaux faibles, des micro-changements dans la société ou en marge de la société, tout en faisant appel aux travaux et à la vision de chercheurs qui interrogent les usages de demain, et nous y associons des imaginaires de la science-fiction ». Pour y parvenir, il travaille dans un collectif, épaulé par une anthropologue, Fanny Parise, et un designer de fiction, Julien Tauvel, et entouré d’un réseau de chercheurs appartenant entre autres au MIT Media Lab, au Berlin Art Institute et au Royal College. Concrètement, voici à quoi ressemblent les résultats d’investigations en futurologie, telles que menées par Mathieu Griffoul et son équipe :
La pétrochimie en 2035
Imaginer les enjeux de la pétrochimie en 2035 a été l’objectif d’un grand groupe de pétrochimie (souhaitant rester anonyme) qui lance un segment de R&D pouvant s’étendre sur une quinzaine d’années. Mathieu Griffoul et ses coéquipiers ont procédé de la façon suivante : « Nous avons interviewé beaucoup de visionnaires et responsables business dans l’entreprise pour comprendre leur perception du futur, mais aussi des experts à l’international afin de connaître leur impression de l’état de maturité des technologies dans le secteur. Nous avons par exemple interviewé des fabricants d’ordinateurs quantiques, ou encore des spécialistes de biomimétisme, pour savoir où ils en seraient en 2040. » En partant de là, des mondes possibles pour 2035 ont été conçus : des environnements où il n’y a plus de pétrole ni de plastique ! Pour l’entreprise, mise au défi, il fallait trouver une solution : quels avantages tirer dans des conditions aussi troubles ? Confrontée à ces scénarios, la réflexion au sein de la société a aboutit à une alternative innovante : « Ils sont favorables à l’idée de se réinventer autour de la photosynthèse artificielle, indique Mathieu Griffoul. Et plus généralement la captation, le stockage et la conversion du CO2, qui peut devenir une nouvelle industrie à part entière ! »
Des huiles spéciales pour les voyageurs de l’espace
L’avenir du cosmétique se discute aussi. La beauté sera-t-elle algorithmique ? Reposera-t-elle sur une hyperpersonnalisation des produits ? Sera-t-elle non genrée ? « Pour essayer de trouver des réponses, nous avons amené nos clients à réfléchir à des parfums du futur, détaille Mathieu Griffoul. Ils ont ainsi imaginé un parfum qui pourrait évoluer tout au long de la journée, ou encore un autre qui serait développé sur mesure par une appli de rencontre en fonction des préférences de la personne qu’on va rencontrer. » En se basant sur ces idées, le collectif a construit un site web fictif qui passerait facilement pour un e-shop légitime. Sauf qu’il est destiné aux contemporains de l’an 2035 ! « Ce genre de maquette est ce qu’on appelle “artefact” en design fiction, poursuit le futurologue. Il faut qu’elle soit le plus crédible possible. Sinon, ça n’a aucun impact. C’est très troublant et c’est le but derrière tous les artefacts : on se demande si ça existe ou pas ! » Le site en question propose de découvrir Space Oddity : « imaginé avec Virgin Atlantic », c’est « le pack parfait pour votre reboot terrestre » puisque « après 5 jours dans l’espace, votre corps va avoir besoin de se ressourcer ». Un produit à l’évidence inexistant (pour l’heure).
La pharmacie sans le pharmacien
« Nous n’avons pas travaillé sur le futur de la médecine, mais sur celui du parcours de soins, en nous mettant dans la peau d’un patient », précise Mathieu Griffoul. Dans cette pharmacie imaginaire, tout passait par la téléassistance et la téléprescription. « Et comme dans le réel, raconte le futurologue, il y a énormément de ratés, des frictions, des bugs, et on se demande alors si c’est vers ce futur là qu’il faut aller ». Autres exemples : « Médecine adaptogène, révolution génomique, médecine holistique, médecine régénérative… sont autant de scénarios 2030 qui ont été concrétisés. En nous mettant dans la peau du patient, nous avons questionné les futures problématiques liées à la télémédecine mais aussi à la confidentialité de données, l’éthique, les inégalités économiques et sociales et le rôle des officines », complète le futurologue.
De l’eau en « smart grid »
Une entreprise agroalimentaire s’est quant à elle représenté l’avenir de l’eau ainsi : l’alimentation en eau se ferait au travers de « smart grids ». Des infrastructures locales ou microlocales gérées par cette entreprise et dont on peut se connecter ou se déconnecter quand on veut. Mais comment se passe l’environnement ? Est-ce que ce sera par captation du brouillard ? Et qu’en est-il de la filtration ? Ce sont des questions qui se posent aujourd’hui, nous informe Mathieu Griffoul, qui enchaîne : « Pour demain, parmi les choses envisagées sont la capacité à quantifier sa soif, obtenir des prescriptions personnalisées concernant la quantité d’eau qu’il faut boire et quelles types d’eaux fonctionnelles – eaux contre l’anxiété, eaux pour augmenter la concentration – à l’échelle du quartier et à l’échelle de la ville ». Selon lui, ces prévisions s’appuient d’abord sur des études anthropologiques sur la perception de l’eau, mais également sur l’observation de micro-changements, et le travail de laboratoires et de centres de recherche sur de nouveaux polymères. « C’est ensuite qu’entre en jeu la capacité à imaginer des mondes radicaux », conclut-il.
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