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EnglishRÉSUMÉ
Malgré les impacts sur l'environnement, la biodiversité et la santé, les pratiques viticoles changent peu. La vigne, son image, les acteurs, les normes, le public sont des obstacles au changement. Les disciplines scientifiques, quant à elles, isolées les unes des autres comme de la société, ne savent pas aborder la complexité en jeu. L’article décrit une recherche-action participative mobilisant viticulteurs, ONG, conseillers, élus, citoyens et chercheurs. Son cadre épistémologique valorise les désaccords et des raisonnements différents. Un consensus est élaboré. Connaissances scientifiques et mobilisation pour l’action dans les vignes sont produites en même temps. Une réflexion est proposée sur les relations des ingénieurs avec les acteurs, pour une co-conception de projets.
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Jean-Eugène MASSON : Directeur de recherche, UMR SVQV INRAE, Centre Grand Est - Colmar
INTRODUCTION
Les enjeux du développement durable font consensus, pourtant l’agenda en est sans cesse reporté. Parmi les activités humaines impactant l’environnement, l’agriculture intensive, ayant recours à des pesticides, est de plus en plus critiquée . Ainsi la viticulture, avec 7,5 millions d’hectares de vignes cultivés dans le monde, jouit d’une réputation qui repose sur la qualité de ses vins, sur les paysages qu’elle façonne pour le tourisme ; hédonisme et réussite économique y sont associés. Cela étant, cette même viticulture est l’une des filières agricoles faisant le plus appel à des pesticides à fort impact environnemental, comme des herbicides épandus sur les sols ou des pesticides de synthèse pour lutter contre les maladies de la vigne et les insectes, et ce sur 89 % des surfaces cultivées au niveau mondial, pour les pratiques conventionnelles. Les pratiques viticoles biologiques et biodynamiques (respectivement, 10 % et 1 % des surfaces) ont quant à elles une réputation de plus faible impact environnemental, car elles n’utilisent pas d’herbicides mais des produits naturels pour assurer la santé des vignes. Face à cette situation, la société est de plus en plus mobilisée contre les pratiques de viticulture conventionnelles en allant jusqu’aux procès. Pourtant, les proportions de surfaces changent très peu, quel que soit les pays, et ce depuis des années. Alors que de tous les leviers d’action pour le développement durable – voire pour réduire les émissions de CO2 et même fixer du CO2 dans les plantes et dans les sols – l’agriculture est sans doute un des plus forts, pourquoi la situation n’évolue-t-elle que très lentement ? Quelles sont les contraintes au changement ?
Des contraintes sont liées aux vignes cultivées qui sont toutes sensibles aux maladies comme au fait qu’elles doivent rester plus de 15 ans en place pour donner des vins de qualité. D’autres sont liées aux dérèglements climatiques de plus en plus fréquents, aggravant la pression de maladies et diminuant la longévité des vignes ( https://www.plan-deperissement-vigne.fr/). Les réglementations de la filière viticole, les réalités économiques, le conseil viticole standard et les formations n’évoluent que trop peu et, par-là, sont aussi des contraintes au changement. Les viticulteurs sont pris dans un système de contraintes complexe qui verrouille le changement des pratiques. Et la représentation qu’a la société de la viticulture ne fait qu’aggraver la situation, en pensant que « laisser faire la nature » va tout résoudre. Comment faire évoluer les pratiques ? Où chercher des pratiques et savoirs mieux-disants ? Faut-il produire de nouvelles connaissances faisant défaut ?
De manière située, des pratiques mieux-disantes, relevant ou non de la viticulture biologique ou de la biodynamie, existent. Partant d’une idée de valorisation de tels savoirs d’expérience, en les considérant comme des faits transposables, on a pensé amener le plus grand nombre d’acteurs à adopter ces pratiques qualifiées « d’innovantes ». La mise en œuvre d’ateliers de démonstration et de modes de formation en régime « standard descendant » ont plutôt desservi les enjeux. Le bilan en est que, passé les visites de parcelles de vignes, ces pratiques n’ont pas été adoptées à l’échelle attendue . Avant que de prioriser le fait, à savoir la pratique qualifiée d’innovante, ne s’agissait-il pas de prendre en compte les acteurs et leurs façons de raisonner, leurs heuristiques, dans un cadre épistémologique adapté, dans un système de pensée ? En parallèle à ces actions de terrain, les communautés de la recherche et du développement ont traduit les besoins de changement de la viticulture par un besoin de « reconception de pratiques ». Ces reconceptions ont été principalement conduites sur des sites expérimentaux multi-instrumentalisés, standardisés et contrôlés. Se sont posées, en conséquence, des questions de valeur et de légitimité desdites pratiques « reconçues », mais aussi des questions quant à leur déclinaison possible dans le réel des parcelles viticoles. S’est également posée la question de la mobilisation pour le changement. En sus, et toujours parallèlement, des indicateurs ont été conçus afin d’évaluer les situations initiales ainsi que les évolutions des pratiques, pour aller vers plus de durabilité. Une analyse après des années de recul en a montré les limites . Ces indicateurs ont en réalité clivé davantage les communautés d’acteurs en jeu, tout comme les régimes de production de savoirs et de formation qui, déjà, les différenciaient. Ainsi, avec pour objectif le développement d’une viticulture durable et, plus largement, d’une agriculture durable, n’a-t-on pas conduit des démarches différentes, avec des communautés d’acteurs différentes, de légitimités différentes, produisant des savoirs de statuts épistémologiques différents ?
Face à cette situation suggérant de changer de méthodes de recherche, de modes de formation et de conseil, quels rôles les sciences peuvent-elles jouer dans le développement d’une viticulture/agriculture durable ? Comment prendre en compte des savoirs d’expériences de terrain, des raisonnements différents ainsi que des attentes de nombreuses parties prenantes et, en sus, produire des savoirs nouveaux et mobiliser pour l’action ? Ne faut-il pas, en priorité, aborder la problématique dans la complexité du global ? Mais pour ce faire, les formats de recherches traditionnels sont-ils à même de relever un tel défi ? S’agit-il d’associer des disciplines des sciences humaines et sociales et des sciences agronomiques et biologiques, et si oui, dans quelle temporalité ? N’est-ce pas un renouvellement de leurs interactions, mais aussi de leurs interactions avec les acteurs des filières, comme avec la société qui est attendu ? Parmi les pistes possibles, le format des sciences participatives pourrait-il contribuer à résoudre cette équation complexe ?
Les sciences participatives, associant chercheurs et société, sont un format de recherche qui pourrait contribuer à produire des connaissances et de l’agir, pour le développement durable. Mais ces formes de recherches sont encore questionnées, voire critiquées, en partie parce que la polysémie des « sciences participatives » s’étend de la collecte massive d’informations auprès de publics jusqu’à la recherche-action participative, considérée comme le mode le plus radical . Et, dans le fond, de telles recherches seraient destinées à coproduire quoi ? Auraient-elles un rôle social, dans leur mise en œuvre ? Répondraient-elles à la défiance qui s’est développée entre la science et la société ? Ne serait-ce pas un « cauchemar pour la communauté scientifique » ? Ces propos illustrent la posture de la communauté scientifique et ses questions quant à la légitimité des acteurs impliqués dans la formulation des questions, dans leur traitement, notamment avec quelles disciplines scientifiques et, enfin, dans la production et la validation des conclusions. Au niveau épistémologique, sciences et recherches sont distinctes , et des questions se posent effectivement quant au statut épistémologique des savoirs d’expérience assemblés, comme celui des nouvelles connaissances produites, tout particulièrement dans le cadre d’une recherche-action participative . De telles recherches participatives doivent-elles débuter par une entrée multidisciplinaire qui va rencontrer un groupe d’acteurs et développer avec lui un projet, ou est-ce le chemin inverse qu’il faut suivre ? Faut-il prioriser la représentativité dans le choix des acteurs, ou plutôt leur implication dans l’agir sur le terrain ? Comment mobiliser sur le moyen/long terme de la recherche ? Que de difficultés à surmonter, qui sont bien souvent des doubles contraintes ! Sur la problématique du développement durable, quelles questions prioriser, puisqu’effectivement « s’il n’y a pas de question, il ne peut y avoir de connaissance scientifique » selon Bachelard . Mais, en même temps, qui peut poser les questions ? T. Kuhn affirme qu’« il est impensable que d’autres acteurs que les chercheurs aient la légitimité de poser les bonnes questions » . Comme une forme de réponse, un viticulteur lors des ateliers de 2018 a déclaré : « Ce n’est pas décrété par le haut, et ça nous laisse la possibilité de poser les bonnes questions ». Il s’agit donc bien d’imaginer une sortie à ce système de contraintes, et en même temps d’offrir une expression à ceux qui désirent être acteurs des innovations de leurs pratiques .
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BIBLIOGRAPHIE
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