Présentation
En anglaisRÉSUMÉ
Dans le contexte actuel de recherche de solutions pérennes de lutte contre le réchauffement climatique induit par les gaz à effet de serre (GES), le milieu de la construction a un rôle à jouer. L’utilisation de matériaux bio-sourcés dans les bâtiments neufs et en rénovation apparaît comme une piste crédible de développement durable et de stockage temporaire de carbone.
Cet article propose une analyse des phénomènes et des enjeux, en prenant en compte la temporalité de ce stockage de carbone : pertinence dans le choix de la bioressource (plante annuelle ou bois d’arbre), prise en compte de la durée de vie du bâtiment et du produit, du taux de carbone dans la plante, des équilibres chimiques de la planète (cinétique de dissolution des gaz à effet de serre), du moment où ont lieu la captation et les émissions de GES et du scénario de fin de vie.
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Nowadays, in the research of long-term solutions to limit the earth global warming due to green-house gas (GHG), the construction and building sector can play an important role. The setting of bio-based materials in new buildings or for renovation seems a reliable way of sustainability and tempo-rary carbon storage.
This paper aims at analyzing the physical phenomena and issues, by taking into account the moment and duration of the GHG storage and emissions: which type of bio-based material: agro-ressource or wood ; which lifespan for the buildings and the materials ; amount of carbon uptake in each plant, dissolution kinetics of GHG; which end of life scenario.
Auteur(s)
-
Thibaut LECOMPTE : Maître de conférences – HDR - Université Bretagne Sud, UMR CNRS 6027, IRDL, Lorient, France
INTRODUCTION
Le réchauffement climatique est un phénomène devenu incontestable, grâce aux mesures précises de températures réalisées à la surface du globe et aux nombreuses études scientifiques, notamment rassemblées par les experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) depuis 1988. La prise de conscience de ce réchauffement climatique par les pouvoirs publics a mené à une première conférence internationale à Rio en 1992, suivie par des rendez-vous annuels, les COP (Conference Of the Parties) depuis 1995, afin de réfléchir et d’engager les pays vers une limitation de la température moyenne de la surface du globe. La COP3 à Kyoto (1997) a notamment mené au « Protocole de Kyoto », signé et ratifié par plus de 190 États, dont l’ensemble des pays d’Europe. La COP 21 à Paris en 2016 a mené à de nouveaux engagements sur la limitation du réchauffement global (les accords de Paris).
Le secteur du bâtiment en Europe représente une part non négligeable des émissions de gaz à effet de serre (GES) de source anthropique : de l’ordre de 37 % en 2022 selon l’ONU . Ces GES sont liés à la fois à la construction des bâtiments (extraction des matières premières, transport, transformations, mise en œuvre sur le chantier, maintenance, fin de vie) et à l’usage des bâtiments (chauffage, éclairage, refroidissement, ventilation, eau chaude sanitaire, électroménager). Sur le patrimoine bâti actuel à l’échelle du globe, l’usage représenterait environ trois quarts des émissions et la construction environ un quart . C’est pourquoi les pouvoirs publics, depuis les années 1990, ont principalement axé les réglementations sur la maîtrise de l’énergie d’usage, via les réglementations thermiques. L’objectif étant à terme de viser la construction de bâtiments à énergie positive, c’est-à-dire des bâtiments passifs, équipés de systèmes de production d’énergie. Atteindre cet objectif signifie augmenter la quantité ou l’efficacité des matériaux isolants dans l’enveloppe des bâtiments. La diminution de l’énergie d’usage accompagnée de l’augmentation de la quantité de matériaux dans les parois oriente logiquement de plus en plus l’attention sur les matériaux, leur contenu énergétique et leurs impacts environnementaux. En France, ceci a fait l’objet de l’expérimentation E+C– (bâtiments à énergie positive et réduction carbone) entre 2016 et 2020, qui a abouti aux préconisations de la RE2020, réglementation environnementale tenant compte de l’impact « réchauffement climatique » des matériaux choisis en phase de conception des ouvrages.
Les matériaux du bâtiment sont souvent vus comme des « émetteurs de GES », à l’image des matériaux cimentaires et des produits de la sidérurgie. Pour ces secteurs, l’effort écologique consiste à limiter la production de GES liée à leurs produits : optimisation des procédés, filières de combustibles alternatifs, utilisation d’énergies renouvelables, économie circulaire, filières de matières premières à faible impact environnemental.
Les matériaux bio-sourcés, au contraire, captent du CO2 au cours de leur croissance via la photosynthèse. L’usage de ces matériaux pour la construction pourrait compenser les émissions des autres matériaux à l’échelle d’un bâtiment, voire permettre de considérer les bâtiments comme des puits de carbone. La condition pour cela est que leur gisement soit géré de manière durable, notamment dans le cas du bois d’œuvre ou des matériaux d’isolation issus de bois d’arbre : en termes de bilan carbone, une forêt exploitée est dite durable si la biomasse extraite durant une année est compensée par la biomasse créée durant cette même année. Ceci nécessite de prendre en compte plusieurs facteurs tels que la cinétique de croissance d’un arbre et donc la période de révolution au sein d’une exploitation forestière qui dure entre quelques dizaines d’années (minimum 20 ans pour certains résineux) et quelques centaines d’années (jusqu’à 300 ans pour certains feuillus). Cependant, la période de croissance d’un arbre doit être mise en vis-à-vis de la durée de vie du bâtiment. Compte tenu de cette problématique, les matériaux agro-sourcés, qui sont des plantes annuelles, pourraient être considérés comme de meilleurs candidats pour répondre à la demande croissante de matériaux de construction tout en stockant temporairement du carbone. Les principaux matériaux issus de plantes annuelles actuellement utilisés en Europe comme matériaux d’isolation sont les fibres de chanvre et de lin, la chènevotte de chanvre et la paille de blé. Mais d’autres sont actuellement étudiés, parmi lesquels les anas de lin, la moelle et l’écorce de tournesol, le miscanthus, la balle de riz, la moelle et la rafle de maïs ou le roseau phragmite. Le bois d’arbre quant à lui se destine principalement à quatre types de produits : le bois de structure (poteaux, poutres et ossatures), les revêtements de sols et de parois (parquets, lambris, bardages), les panneaux de particules (sols, contreventements) et la laine de bois (isolation).
L’ensemble de ces produits bio-sourcés pourraient représenter à moyen terme un volume conséquent de stockage de carbone. Mais ce potentiel de stockage doit être calculé et validé scientifiquement, en réalisant une analyse de cycle de vie complète et en répondant à plusieurs questions importantes :
-
quels sont les principaux gaz à effet de serre liés aux matériaux bio-sourcés, quel est leur effet sur le réchauffement climatique et comment est-il calculé et pris en compte actuellement ?
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comment croissent les plantes, quelle est leur constitution, quel est l’ordre de grandeur de leur contenu carbone en fonction de l’espèce et quelles sont les émissions de GES liées à leur cycle de vie ?
-
la durée de vie des bâtiments et des produits va directement conditionner le temps de stockage du carbone : quelle durée de vie choisir et quelle est la durée de vie standard actuelle ?
-
comment prendre en compte le temps, la cinétique de dissolution des gaz à effet de serre à l’échelle de la planète et le stockage temporaire du carbone dans une analyse de cycle de vie (ACV) ?
-
quelle est la contribution potentielle des matériaux de construction bio-sourcés à la réduction des gaz à effet de serre dans l’atmosphère ?
MOTS-CLÉS
bois agroressources matériaux de construction ACV stockage temporaire de carbone matériaux biosourcés
KEYWORDS
wood | biobased compounds | building materials | LCA | temporary carbon storage | biobased materials
VERSIONS
- Version archivée 1 de nov. 2019 par Thibaut LECOMPTE
DOI (Digital Object Identifier)
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3. Principes de l’ACV dynamique
3.1 « Le CO2 n’a pas d’odeur » et l’importance du temps
D’un point de vue « équilibre de l’écosystème terrestre », nous comprenons bien que les GES émis par les matières végétales participent à un cycle (naturel) de décomposition (émission de GES) et de croissance (prélèvement de GES). Ce cycle est réalisé sur un temps de l’ordre de quelques années pour les plantes agro-sourcées et de plusieurs dizaines d’années pour le bois d’arbre. Les méthodes d’ACV conventionnelles, qui suivent les normes ISO1 4040 et ISO 14044, préconisent que l’impact « réchauffement climatique » lié au CO2 biogénique soit négligé, en suivant l’hypothèse que tout relargage de GES biogénique d’un produit est compensé par la croissance de la plante qui remplace la matière utilisée pour ce produit. Comparé aux émissions des matériaux d’origine fossile, qui ont nécessité plusieurs dizaines de millions d’années pour leur formation, le cycle des plantes est effectivement très court.
Deux points importants sont cependant à soulever :
-
que le GES soit d’origine fossile ou biogénique, son efficacité radiative est identique ; on peut donc directement additionner ou soustraire les forçages radiatifs, quelle que soit l’origine (biogénique ou non) du produit ;
-
il est important de savoir si le produit a prélevé ou non des GES dans l’atmosphère, en combien de temps et depuis quand ; de fait, pendant toute la vie d’un produit bio-sourcé, ce produit sort du cycle naturel, et le CO2 prélevé dans l’atmosphère lors de sa croissance n’est réémis (partiellement ou totalement) qu’en fin de vie du produit.
Le stockage temporaire du carbone par les matériaux bio-sourcés représente donc un bénéfice vis-à-vis du réchauffement climatique. Ce bénéfice a d’abord été théorisé par Lashof et ses coauteurs ...
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BIBLIOGRAPHIE
-
(1) - 2022 global Status Report for Buildings and Construction, - United Nations Environment Programme ISBN No : 978-92-807-3984-8 (2022).
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(2) - IPCC - 2023 : Sections. - In : Climate Change 2023 : Synthesis Report. Contribution of Working Groups I, II and III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Core Writing Team, H. Lee and J. Romero (eds.)]. IPCC, Geneva, Switzerland, pp. 35-115, doi : 10.59327/IPCC/AR6-9789291691647
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(3) - EASAC - policy report 35. – Negative emission technologies : What in meeting Paris Agreement targets ? - German National Academy of Sciences Leopoldina ISBN 978-3-8047-3841-6 (2018). http://www.aesac.eu
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(4) - IPCC - 2021 : Climate Change 2021 : The Physical Science Basis. - Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Masson-Delmotte, V. et al. (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, 2391 pp. doi : 10.1017/9781009157896.
-
(5) - BERGE (B.) - The...
DANS NOS BASES DOCUMENTAIRES
DYNCO2, version 2.0, mai 2016, téléchargeable gratuitement sur le site internet du CIRAIG (Montréal)
https://ciraig.org/index.php/fr/project/dynco2-calculateur-dempreinte-carbone-dynamique/
ECOINVENT – Base de données 3.2
HAUT DE PAGE
GIEC (IPCC)
http://www.ipcc.ch (page consultée le 9 avril 2024)
EASAC
https://easac.eu (page consultée le 22 janvier 2019)
AGRESTE, ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation
http://agreste.agriculture.gouv.fr/publications/chiffres-et-donnees/ (page consultée le 11 mars 2019)
IFN – Inventaire forestier
https://inventaire-forestier.ign.fr/ (page consultée...
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