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Interview

Vérification, optimisation du Time To Market et écoconception : trois ingrédients essentiels pour intégrer le marché ultra-compétitif de la microélectronique

Posté le par Arnaud Moign dans Entreprises et marchés

Le marché mondial de la microélectronique est dominé par des géants américains, chinois et taiwanais. C’est un fait : exister sur un tel marché n’est pas chose aisée pour les entreprises européennes ! Néanmoins, sur la partie conception des produits, les entreprises disposent d’atouts pour se démarquer de la concurrence.

François Cerisier, CEO d’Aedvices, nous a expliqué pourquoi la vérification des systèmes était une stratégie payante.

François Cerisier, CEO d’Aedvices
François Cerisier, CEO d’Aedvices. Crédit : Charlotte Pasinetti

Aedvices[1] est une société de consulting en vérification et design de produits microélectroniques, créée en 2012.

Aedvices intervient exclusivement sur la partie Frontend, avec la vérification des systèmes comme fil conducteur.

Son dirigeant, François Cerisier, est formateur et expert en vérification reconnu par ses pairs.

Il est également membre du comité technique de la conférence DVCon-Europe organisée par Accellera et qui regroupe chaque année, à Munich, la communauté technique européenne sur la vérification.

 

Techniques de l’Ingénieur : Sur votre site, vous présentez la vérification comme le fil conducteur de votre activité. Pourquoi ?

François Cerisier : Aedvices est l’acronyme de Application Engineering, Design and Verification in ICs And Embedded Systems et c’est aussi un jeu de mots qui rappelle notre activité de conseil et services. L’une de nos missions est d’aider les entreprises à concevoir, mais aussi à vérifier leurs circuits intégrés.

La vérification est l’un des points clés de la conception, puisque cette étape peut représenter jusqu’à 50 % des efforts de développement dans un projet et permet de réduire les bugs, donc de s’assurer que le produit fonctionne correctement. Pour cela, elle s’appuie sur des méthodologies avancées et des développements (orientée objet, SystemVerilog, UVM, voire C/C++) dont le but est d’automatiser les tests.

Ce métier apporte aussi un regard différent sur le développement de produits électroniques, puisqu’il donne une grande importance aux aspects qualité. En effet, on pense souvent que, pour être compétitif, il faut faire moins cher. En réalité, penser uniquement en termes de coûts n’est pas une bonne stratégie, car on peut toujours trouver moins cher ailleurs. Chez Aedvices, notre philosophie est plutôt « comment faire mieux avec le même budget ? »

La vérification diminue-t-elle le Time To Market ?

La vérification est là pour garantir que le produit, qui est en phase de conception, va fonctionner par rapport aux attentes du cahier des charges. Or, ces attentes varient énormément selon les secteurs. Dans l’aéronautique, par exemple, il est primordial de chercher à minimiser ces erreurs, car des vies sont en jeu et les process de vérification sont là pour réduire ces risques.

Par ailleurs, tous les secteurs n’ont pas les mêmes exigences et le Time To Market est également un aspect crucial quand on développe un produit.

Prenons l’exemple d’une entreprise qui veut sortir un nouveau jouet pour Noël. Bien qu’elle soit contrainte par le temps, le jouet devra respecter un certain nombre de normes en matière de consommation et de sécurité, tout en étant fonctionnel. Son développement ne pourra donc pas être bâclé non plus.

C’est là que la vérification intervient, car il faut garder à l’esprit que sortir un produit qui ne marche pas est bien pire que de sortir un produit en retard, compte tenu du coût de mise en production, qui est souvent énorme.

Néanmoins, concevoir un jouet ne demande pas la même rigueur qu’un équipement destiné à l’industrie nucléaire. Il ne faut donc pas tomber dans la recherche de perfection pour des produits qui ne sont pas critiques, puisqu’il faut tenir compte des impératifs de compétitivité.

Savoir faire les bons compromis entre qualité, rapidité de développement et prix est donc capital.

On entend beaucoup parler d’automatisation par l’IA. Utilisez-vous l’IA pour la vérification ?

Nous utilisons l’IA avec parcimonie, car, dans nos domaines, les IA sont beaucoup moins performantes que dans l’industrie logicielle. La raison est simple : les IA se nourrissent en grande majorité d’informations disponibles sur internet et il y a peu de données ouvertes disponibles concernant le hardware.

Par conséquent, bien que les IA arrivent parfois à donner des résultats satisfaisants, les biais sont souvent trop importants pour permettre de travailler en toute confiance.

Voici une anecdote. Lors d’une formation, j’ai demandé à une IA d’analyser un document afin d’en extraire des informations techniques. L’IA m’a donné une réponse à l’opposé du fonctionnement que j’attendais, car elle n’a pas interprété une phrase clé du texte. Et ça, c’est très dangereux si on n’a pas de recul !

Les IA génératives sont néanmoins utiles pour accélérer le développement, mais pas pour développer au sens strict, surtout dans des domaines critiques avec des enjeux de sûreté de fonctionnement et de sécurité des données.

Le facteur humain reste donc crucial pour apporter de la valeur ajoutée !

En vérification, c’est clairement le cas, car le regard critique humain est essentiel pour éviter les biais.

Malheureusement, comme la vérification reste un marché de niche, il y a peu d’ingénieurs qui sortent des écoles avec l’expertise nécessaire à ces métiers.

Pour pallier le problème, nous avons donc développé un volet formation et nous formons chaque année une centaine d’ingénieurs, qu’ils soient débutants ou en reconversion.

J’interviens également à l’école Phelma de Grenoble, sur la vérification en microélectronique, ainsi qu’à l’ESISAR, à Valence, sur la co-conception hardware-software au niveau système.

Or, je constate que la vérification est souvent une découverte pour les étudiants. Car cette discipline ne consiste pas seulement à démontrer qu’un circuit ou une puce fonctionne. L’idée est de pousser au-delà des limites du domaine de fonctionnement classique, jusqu’au moment où le produit ne marche plus.

Ceci demande une vraie réflexion, un regard critique dont l’IA est incapable. Il y a quelques années, les étudiants utilisaient Google pour les aider dans la résolution de problèmes. Maintenant ils ne jurent que par les IA. Mais, comme je dis souvent, si l’IA est capable de résoudre le problème, c’est qu’il n’y a pas de problème. La vérification demande autre chose : de la créativité humaine.

Il reste un point que nous n’avons pas abordé : « l’électronique verte ». Est-ce aussi une voie à explorer, pour les entreprises ?

Derrière la notion d’électronique verte, il y a deux aspects : l’écoconception des produits électroniques et la fabrication des puces. Si la fabrication de puces consomme de l’eau, du sable, de l’énergie et rejette des polluants, les PME n’ont malheureusement pas la main sur l’aspect purement fabrication et seule une volonté politique pourra contraindre les fabricants à changer leurs modes de fabrication.

Néanmoins, les entreprises peuvent jouer sur la manière dont les produits sont conçus, notamment produire des puces qui consomment moins d’énergie. Nous les aidons aussi à allonger la durée de vie des produits électroniques, en réduisant les pannes et en limitant le risque d’obsolescence qui est lié à la recherche de performance en termes de puissance de calcul.

Nous travaillons par ailleurs avec des industriels et des universités européennes au sein du consortium GreenChip-EDU, dans le but de créer des formations intégrant l’écoconception.

Il y a aussi la question de la 2e vie, voire de la 3e vie, car les composants programmables en fin de vie peuvent être utilisés dans d’autres types de systèmes avec des applications moins spécialisées, ce qui ouvre la voie à de nombreuses opportunités.


[1] Aedvices

Pour aller plus loin

Posté le par Arnaud Moign


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