La défaite du parti chaviste aux élections du 6 décembre dernier au Venezuela est historique. Pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de Hugo Chavez en 1998, son parti, le PSUV, perd une élection et, dans la foulée, la majorité à l’Assemblée nationale.
Elections transparentes
Alors que l’opposition avait mis en garde, avant les élections, contre un risque de trucage, le scrutin s’est une nouvelle fois déroulé dans le calme et de manière transparente. Le Président Maduro n’a pu que reconnaître sa défaite face à l’ampleur du vote. La Table de l’unité démocratique (MUD, en initiales espagnoles), qui réunit l’ensemble des forces d’opposition au mouvement chaviste, a remporté 112 des 165 sièges que compte la chambre basse du Parlement. Cela donne à la MUD une majorité des deux tiers, un détail décisif dans la Constitution vénézuélienne. En effet, l’opposition disposera des moyens de faire voter des lois jugées prioritaires par ces derniers comme la libération des prisonniers politiques, au premier rang desquels Leopoldo Lopez. D’autres symboles du Chavisme pourraient être mis en cause par la nouvelle Assemblée à l’instar de la « Loi sur les prix juste », un marché alimentaire d’Etat parallèle et subventionné, le contrôle des changes et le système de santé. Le champ d’action de l’opposition couvre l’économie de manière générale, les medias, les services publics ou encore la sécurité. La MUD a mis en ligne ces principales réformes au lendemain de sa victoire (Propositions).
Le moyen de pression le plus important sera à n’en pas douter le referendum révocatoire de mi-mandat, instauré par Hugo Chavez. La Constitution permet à l’opposition d’appeler dès 2016 les électeurs aux urnes pour se prononcer sur le cas Maduro. Ce dernier garde néanmoins le contrôle du gouvernement, donc de l’Exécutif, et dispose d’un pouvoir de veto dont il a d’ores et déjà annoncé être prêt à user. Pour autant, cette défaite marque un coup d’arrêt à la Révolution bolivarienne débutée en 1998.
Fin du chavisme ?
La déroute électorale du 6 décembre n’est pas vraiment une surprise, même si l’ampleur de la défaite a surpris les observateurs. Le mouvement chaviste subit l’usure du pouvoir et la désaffection grandissante d’une partie de l’électorat populaire qu’il avait pourtant si bien su fédérer. La dégradation sensible du pouvoir d’achat et la multiplication des scandales de corruption sont en grande partie responsable de ce rejet. L’inflation s’est accélérée en 2015 pour atteindre des niveaux élevés mais si aucune donnée fiable ne peut être donnée (entre 60 et 200% selon les sources). Cela pousse les Vénézuéliens à recourir massivement au marché clandestin de devises. Certains hauts cadres du Parti auraient également profité du fossé avec les cours officiels et ledit marché noir pour amasser de petites fortunes. Des pénuries sur des produits de première nécessité se sont multipliées ces derniers mois sans que le gouvernement ne parvienne à enrayer le glissement vers l’économie souterraine.
Last but not least, la mort du Colonel Hugo Chavez en 2013, a porté un coup fatal à un mouvement qui pratiquait à l’envi le culte de la personnalité. L’aura de Chavez reste encore très grande. Les mesures qu’il a prises ont permis d’augmenter sensiblement le niveau sanitaire et d’éducation de la population. Il n’a par ailleurs jamais été mis en cause dans des affaires d’enrichissement personnel. Mais la relève assurée par Nicolas Maduro, dauphin désigné, ne convainc pas. En sur-jouant la carte du successeur, il n’a jamais su emballer l’électorat. Pour autant, Hugo Chavez laisse derrière lui un bilan en demi-teinte. Le colonel s’est certes avéré être un véritable démocrate, améliorant la Constitution à cet égard (Maduro risque d’en être la première victime), sa formation militaire transparaissait tout de même dans l’exercice du pouvoir. Ses quinze années à la tête du pays ont apporté de nombreuses avancées sociales (éradication l’illettrisme) et réduit la pauvreté, mais l’économie reste encore totalement dépendante des hydrocarbures. Loin de s’en être affranchit, Chavez a distribué massivement les revenus du pétrole lorsque les cours étaient hauts, sans se préparer à un retournement de situation.
Manne pétrolière
C’est la malédiction du pétrole. Un concept bien connu des experts des énergies fossiles. Source d’importants revenus, l’or noir fait autant de mal que de bien. Au Venezuela, il représente 80% des exportations et la moitié des recettes fiscales. Historiquement, les pays pétroliers ont une fâcheuse tendance à se concentrer sur l’extraction de leur ressource. Ces Etats rentiers ne prennent souvent pas conscience du caractère épuisable de leur richesse et du danger de consacrer l’ensemble des forces productives à son exploitation. Par ailleurs, la majorité des bénéfices du pétrole est directement réinjecter dans l’économie mondiale à cause des importations. Elles sont dues essentiellement au caractère mono-productif des Etats rentiers qui délaissent des secteurs entiers de l’économie et sont donc contraints d’importer en masse des produits qui n’ont aucun substitut national. Le manque de diversité des activités posent le problème de l’emploi et favorise l’expansion de l’économie souterraine. Au Venezuela, le pourcentage de la population active travaillant dans le secteur informel est évalué à 60% ! Cela se répercute socialement par l’expansion des pratiques mafieuses et de l’insécurité.
A Caracas, la manne pétrolière passe par PDVSA, la compagnie nationale. Sorte d’Etat dans l’Etat, celui qui la contrôle dirige le pays. Elle reste pour l’instant sous l’autorité du ministère de l’Energie et des Mines — à Caracas le siège de l’entreprise et le ministère ne forment qu’un bâtiment – donc du Président. Le parti chaviste charge PDVSA de missions d’infrastructures à caractère social et éducatif depuis des années, ce qui l’a affaiblit financièrement. La production de pétrole a baissé de près de 900 000 barils jour en 15 ans. La lutte pour le contrôle de PDVSA sera un élément clé de l’affrontement entre le mouvement chaviste et l’opposition.
Petrocaraïbes
« Nous ne pouvons pas permettre que de l’argent du Venezuela alimente les caisses de la nomenclature cubaine, la bureaucratie sandiniste au Nicaragua ou le gouvernement d’Evo Morales en Bolivie », a lancé Jesús Torrealba, secrétaire exécutif de la MUD. Un appel clair a abattre le symbole de la politique étrangère bolivarienne : Petrocaraïbe. Cette organisation, créée en 2000, comprend le Venezuela, Cuba et 16 autres nations centro-américaines et caribéennes. Elle a pour vocation de promouvoir des échanges justes et une meilleure complémentarité et coopération entre les membres. L’un des accords phare de ce programme est l’échange de pétrole vénézuélien contre les services de 30 000 docteurs et professeurs cubains, détachés sur le continent. Cela a notamment permis d’apporter des soins de santé gratuits dans des quartiers défavorisés qui n’y avaient pas accès. Caracas fournit en échange à La Havane entre 55 000 et 70 000 barils par jour, soit au moins la moitié de ses besoins, à « prix d’ami ». Au total, le Venezuela fournirait quelque 100 000 barils jours à ses alliés politiques.
Un arrêt des livraisons de bruts impacterait sans aucun doute les économies de la région Caraïbes et notamment Cuba, très dépendante. Certains économistes anticipent même une récession sur l’île. Un scenario possible mais pas obligatoire. En effet, le marché pétrolier est en excédant et les cours du baril sont bas. De plus, le régime castriste semble avoir anticipé un potentiel défaut de son partenaire stratégique et entamé une sortie de son isolement, notamment avec le voisin américain. Le calendrier est propice pour un dégel des relations avec les Etats-Unis. Raul Castro, frère de Fidel, sait que Barack Obama est en fin de mandat, et aimerait ajouter Cuba à son bilan de politique étrangère. La restauration officielle des relations diplomatiques entre les deux pays le 20 juillet 2015 et la réouverture de leurs ambassades respectives après 54 ans est, en ce sens, historique.
Le continent penche à droite
La défaite du parti chaviste s’inscrit dans une dynamique continentale qui voit les forces conservatrices et libérales s’imposer dans des pays politiquement proches de la gauche bolivarienne. Ainsi, les Argentins ont voté en décembre pour Mauricio Macri, candidat libéral d’opposition, mettant fin à 12 années de règne des Kirchner (Nestor puis sa femme Cristina). Au Brésil, Dilma Roussef (centre-gauche) est menacée de destitution et fait face à une défiance importante de la population. Le cas vénézuélien est symbolique car Chavez voulait faire de son pays le leader d’un mouvement latino-américain instaurant une communauté d’Etat décidés à instaurer le « socialisme du XXIème siècle ». Force est de constater que l’initiative, lancée il y a 15 ans, n’a pas beaucoup avancé. D’autres projets de coopération régionale plus modeste et à tendance plus libérale ont pris le relais. L’Union des nations latino-américaines reste encore un doux rêve.
Par Romain Chicheportiche
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