La recette semble simple, en apparence : mélanger du ciment, de l’eau et du noir de carbone sous forme nanométrique permet de créer un supercondensateur carbone-ciment dont la capacité de stockage théorique est plutôt impressionnante. L’équipe de chercheurs a en effet calculé qu’un cube de béton de 3,5 m de côté (45 m³) dopé aux nanoparticules de noir de carbone pouvait stocker environ 10 kWh d’énergie électrique !
Quel est le secret de ce supercondensateur ?
Pour comprendre son fonctionnement, il faut revenir à la définition d’un condensateur. D’un point de vue physique, le principe est simple : deux plaques conductrices d’électricité sont immergées dans un électrolyte et séparées par une membrane.
Lorsqu’une tension est appliquée, les ions de l’électrolyte chargés positivement s’accumulent autour de la plaque chargée négativement.
Sur la partie opposée, c’est l’inverse qui se produit : les ions négatifs sont attirés par la plaque chargée positivement.
En jouant le rôle d’élément de séparation entre les charges, la membrane empêche les ions de migrer de part et d’autre, ce qui crée un champ électrique et provoque la charge du condensateur.
Le matériau dont il est question ici fonctionne sur le même principe, à la différence près que les plaques conductrices sont remplacées par un réseau dense et interconnecté de matériaux conducteurs (noir de carbone) emprisonnés au sein d’un matériau à base de ciment.
Pourquoi parle-t-on alors de supercondensateur ? Parce que la quantité d’énergie qu’un condensateur est capable de stocker dépend directement de la surface totale des conducteurs. Or, le matériau dont il est question ici a la particularité de présenter une surface interne extrêmement élevée, ce qui lui confère une extraordinaire capacité de stockage !
Une structure et une méthode de fabrication particulières
Le papier publié dans le journal PNAS et disponible en open source explique l’approche mise en place par l’équipe du MIT pour concevoir ce matériau.
Contrairement aux batteries « classiques » qui font appel à la conversion d’énergie chimique, ce supercondensateur stocke directement l’énergie sous forme de charges électriques. L’utilisation d’un électrolyte est néanmoins toujours nécessaire pour que le transport des charges électriques puisse avoir lieu. Heureusement, ce matériau est poreux, ce qui permet l’absorption d’électrolyte après immersion dans un bain contenant un sel comme le chlorure de potassium.
Voici les principales étapes de fabrication d’un tel supercondensateur :
- mélange de ciment Portland avec une proportion de noir de carbone nanostructuré (à peine quelques % en volume) ;
- ajout d’eau et d’un superplastifiant ;
- processus d’hydratation du ciment, conduisant notamment à la création d’un réseau ramifié d’ouvertures ;
- migration du carbone dans ces espaces, ce qui forme des structures filaires dans le ciment après la prise ;
- immersion du matériau dans un électrolyte.
Si la méthode de fabrication est à la fois simple et innovante, elle permet en tout cas de créer un matériau à la structure étonnante. Les « fils de carbone » forment en effet un réseau de fractales, dont chaque branche plus grande possède de nombreuses ramifications vers des branches plus petites, dont la surface est extrêmement grande, pour un volume restreint.
De premiers résultats concluants et des applications potentiellement nombreuses
Après une série d’essais visant à mettre au point les ratios ciment/noir de carbone/eau les plus efficaces, l’équipe du MIT a ensuite testé la fabrication de petits supercondensateurs similaires à des piles boutons.
Ils ont réussi à obtenir de petits dispositifs de 1 cm de diamètre par 1 mm d’épaisseur. Trois de ces « piles » ont été nécessaires pour allumer une LED de 3 V. Le principe de fonctionnement est donc prouvé et les chercheurs prévoient maintenant la construction de batteries de voiture fonctionnant en 12 V.
Mais l’équipe du MIT à bien d’autres ambitions ! Comme nous le disions en introduction, le fait que les matériaux constitutifs soient abondants et peu coûteux permet d’imaginer toutes sortes d’applications peu envisageables avec des batteries Li-Ion classiques :
- routes en béton capables de stocker l’énergie produite par des panneaux solaires situés à proximité, afin de recharger les véhicules électriques par induction ;
- alimentation en énergie électrique de bâtiments physiquement éloignés du réseau électrique ;
- stockage à proximité de sources ENR (solaire, éolien, etc.).
Bien entendu, comme le matériau est constitué de ciment, cela laisse entrevoir beaucoup de possibilités dans le domaine de la construction. Les chercheurs ont cependant constaté qu’un compromis devait être trouvé entre capacité de stockage et résistance structurelle. C’est tout à fait logique, car plus on ajoute de noir de carbone, plus la structure est fragilisée.
Dans le communiqué de presse du MIT, les chercheurs affirment avoir calculé que pour des applications structurelles telles que les fondations en béton d’une éolienne, il ne faut pas dépasser 10% de noir de carbone dans le mélange.
Pour le professeur Franz-Josef Ulm du MIT, ce matériau multifonctionnel constitue « une nouvelle façon d’envisager l’avenir du béton dans le cadre de la transition énergétique ».
Cet article se trouve dans le dossier :
Matériaux : l'innovation au service de la construction décarbonée
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