La transition énergétique dans laquelle sont engagés l’ensemble des pays de la planète doit nous conduire, à l’horizon 2050, à une économie décarbonée. Pour cela, il faut développer des moyens de production et de stockage d’énergie décarbonées. Des chercheurs cherchent, partout dans le monde, à développer des technologies innovantes pour produire de l’énergie la plus décarbonée possible.
Parmi les solutions existantes, l’hydrogène, qui n’existe pas tel quel sur Terre, fait l’objet de nombreuses recherches. Pour en produire, on utilise aujourd’hui très massivement le vaporeformage, qui consomme du méthane, pour produire de l’hydrogène et du dioxyde de carbone : un procédé économiquement intéressant mais écologiquement inefficace pour réduire la concentration atmosphérique de gaz à effet de serre.
Une équipe du CNRS, dirigée par Charles Cornet, professeur des Universités à l’Institut fonctions optiques pour les technologies de l’information (Institut FOTON, CNRS/INSA Rennes/Université Rennes 1), développe une photo-électrode pour produire, à partir d’énergie solaire, de l’hydrogène par électrolyse. Ces travaux sont menés en étroite collaboration avec des chercheurs de l’Institut des Sciences Chimiques de Rennes (ISCR-CNRS). A l’heure où l’Etat et les acteurs privés investissent beaucoup pour développer des méthodes de production massive d’hydrogène décarboné, il s’agit pour Charles Cornet et son équipe de montrer que leur procédé peut produire de l’hydrogène, de manière décarbonée, et à un prix compétitif pour être économiquement viable.
Charles Cornet a répondu aux questions des Techniques de l’Ingénieur.
Techniques de l’Ingénieur : Quelles sont les solutions permettant aujourd’hui de produire de l’hydrogène ?
Charles Cornet : L’hydrogène n’est pas disponible sur Terre, il faut le produire. Deux voies principales existent pour cela. D’abord l’électrolyse de l’eau, que tous les collégiens connaissent. Le principe consiste à plonger deux électrodes dans un bac d’eau : on fait passer dans ce bac un courant électrique qui va venir casser les molécules d’eau et séparer l’hydrogène et l’oxygène. La problématique aujourd’hui par rapport à l’électrolyse est l’origine de l’énergie nécessaire à la réaction chimique : selon que cette énergie est carbonée ou décarbonée, le processus de production de l’hydrogène est plus ou moins pertinent, écologiquement parlant.
L’autre technologie est le vaporeformage. On va utiliser du méthane et le combiner à de la vapeur d’eau très chaude, pour former de l’hydrogène. Cette réaction produit également du CO2. On part donc avec du méthane, et on produit de l’hydrogène et du CO2, puissant gaz à effet de serre. D’un point de vue environnemental, le vaporeformage n’a donc pas d’intérêt. Ceci dit, il s’agit aujourd’hui du procédé le plus économique, et 95% de l’hydrogène produit aujourd’hui à travers le monde l’est par reformage.
Quelles sont les solutions existantes pour produire de l’hydrogène décarboné ?
L’enjeu aujourd’hui autour de l’hydrogène est de coupler sa production avec l’utilisation d’énergies renouvelables, en développant des technologies viables économiquement, pour qu’elles puissent être mises en place à grande échelle.
L’utilisation d’énergies renouvelables pour produire de l’hydrogène pousse à se concentrer sur l’électrolyse, pas sur le reformage. L’idéal serait de pouvoir produire de l’hydrogène et de l’oxygène sans avoir à passer par les énergies fossiles. Cela peut se faire par exemple en connectant des panneaux solaires à un électrolyseur. Plusieurs démonstrateurs de ce type existent déjà. On peut aussi connecter l’électrolyseur à une éolienne, cela a été testé également et fonctionne très bien. Le problème avec ces couplages est la complexité des installations, et leur coût important.
Comment avez-vous orienté vos recherches pour produire « écologiquement » de l’hydrogène ?
Nous avons choisi une approche qui permet d’utiliser l ‘énergie solaire, sans passer par un ensemble “panneau solaire / électrolyseur”. Notamment parce que les électrodes sont souvent produites à base de matériaux extrêmement chers, comme le platine.
Nous développons actuellement des photo-électrodes, sortes de panneaux solaires, qui trempent directement dans l’eau. Les rayons du soleil vont être absorbés pour produire des charges électriques, qui vont être directement rejetées dans l’eau pour « casser » les molécules d’eau et produire de l’hydrogène et de l’oxygène.
Ce mécanisme a plusieurs avantages. Déjà, le panneau solaire produit directement l’hydrogène dans l’eau, ce qui simplifie beaucoup le processus. Nous avons combiné une fine couche d’un matériau, appelé semi-conducteur III-V, qui absorbe très bien la lumière, avec une couche épaisse de silicium. Or, le silicium est un élément chimique extrêmement abondant sur Terre et peu cher. Nous avons donc réussi à montrer que l’utilisation de photo-électrodes à base de silicium permettait d’obtenir d’excellents résultats. C’est un élément déterminant pour évaluer le potentiel de notre procédé à être utilisé à grande échelle.
A quel stade de recherche vous trouvez-vous actuellement ?
Pour le moment, nous observons des photo-électrodes individuelles : soit des photos-anodes, soit des photo-cathodes. Les performances sont très intéressantes, si on les met en rapport avec le faible coût des matériaux utilisés.
Il nous faut passer désormais au démonstrateur. Nous avons à ce propos été lauréats récemment d’un appel à projet (projet NAUTILUS), lié aux investissements France 2030 sur le volet des Programmes et Équipements Prioritaires de Recherche (PEPR) dédiés à l’hydrogène décarboné. Nous allons donc pouvoir commencer à développer, à partir du mois de janvier 2023, un démonstrateur dans lequel nous allons associer les photos-anodes et les photo-cathodes. Ce démonstrateur sera donc constitué d’une cellule entière, que l’on pourra exposer au soleil et qui produira de l’hydrogène. L’étude du rendement de ce démonstrateur permettra de déterminer si notre approche a le potentiel suffisant pour que le procédé soit industrialisé.
Les investissements publics et privés pour développer une production « verte » d’hydrogène permettent de mener de nombreux projets de recherche. Où vous situez-vous par rapport à cette effervescence ?
En effet nous sommes très loin d’être les seuls à développer des solutions pour la production d’hydrogène décarboné. Beaucoup d’équipes de recherches travaillent sur tout un tas de solutions et de technologies, et beaucoup d’argent est investi pour créer une filière hydrogène compétitive et décarbonée, en France, en Europe, et même au niveau mondial. Il est très difficile de prévoir aujourd’hui quel procédé sera le plus compétitif sur le moyen terme. Chaque technologie a ses contraintes. Par exemple, nos cellules ont besoin de soleil pour fonctionner, ce qui rend potentiellement leur utilisation contrainte sur le plan géographique. Chaque technologie a ses avantages et ses inconvénients.
Qu’est-ce qui va faire pencher la balance pour telle ou telle technologie ?
Il faut à la fois de la performance, un prix bas, et une durée de vie du produit la plus longue possible. Nos cellules solaires photo-électro-chimiques baignent dans l’eau et cela ajoute des risques, en termes de corrosion par exemple. Ces risques doivent être déterminés et pris en compte, ce que nous faisons dans nos recherches. En ce qui concerne la durée de vie de nos cellules, nous pouvons ajouter une fine couche protectrice pour préserver les cellules de la corrosion. Cela entraîne forcément une baisse de rendement, il faut donc optimiser l’ensemble pour obtenir un matériel performant et résistant dans le temps. C’est ce sur quoi nous travaillons actuellement. Un fois que cela sera fait, le rendement déterminera le prix de revient de l’hydrogène produit, et donc l’intérêt industriel de nos photos-électrodes.
Peut-on imaginer d’autres applications pour ce matériau, en plus du procédé que vous développez ?
Je travaille actuellement sur un projet (projet ANR PIANIST) destiné à mieux comprendre l’ensemble des propriétés de ces matériaux qui se révèlent assez originales, notamment en ce qui concerne leur manière de conduire le courant ou de récupérer l’énergie solaire. Ces propriétés laissent imaginer que ces matériaux pourraient être performants et permettre le développement de nouvelles cellules photovoltaïques, mais aussi de nouveaux transistors… ces matériaux pourraient même intervenir dans le développement des technologies quantiques.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
Réagissez à cet article
Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous et retrouvez plus tard tous vos commentaires dans votre espace personnel.
Inscrivez-vous !
Vous n'avez pas encore de compte ?
CRÉER UN COMPTE