La start-up Farwind Energy développe un concept de navire-énergie qui se déplace grâce au vent et produit de l'électricité grâce à des hydrogénérateurs installés sous la coque du bateau. Cette énergie est ensuite stockée à bord, avant d'être valorisée à terre. Entretien avec le directeur technique navire de cette entreprise.
Aujourd’hui, de plus en plus de voiliers de compétition, mais aussi de plaisance, sont équipés d’un hydrogénérateur pour produire de l’énergie. La rotation d’une hélice sous l’eau permet alors d’alimenter un alternateur et de produire l’électricité nécessaire aux besoins du bateau. En 2016, l’École Centrale de Nantes a commencé à s’intéresser à la conception d’un navire-énergie, dont l’unique fonction serait de produire de l’énergie en grande quantité, de la stocker à bord, pour ensuite la valoriser à terre. De ces travaux de recherche, est née en 2020 la start-up Farwind Energy qui poursuit le développement de ce concept. Antoine Caillaud, le directeur technique navire de Farwind Energy, nous parle de ce projet.
Techniques de l’Ingénieur : Décrivez-nous le concept développé par Farwind Energy ?
Antoine Caillaud : Il s’agit d’un voilier, c’est-à-dire d’un navire propulsé par le vent, à l’aide de rotors Flettner, qui se présentent sous la forme de cylindres verticaux en rotation autour de leur axe. Nous les avons choisis, car ils sont notamment mieux adaptés que les autres voiles au vent de travers. Sous la coque du bateau, sont placés des hydrogénérateurs dont le rôle est de produire de l’électricité au moyen d’une hélice qui tourne grâce au déplacement du bateau. Selon les besoins du marché, l’énergie produite est stockée de trois manières différentes : dans des batteries au lithium, sous la forme d’hydrogène, et enfin dans un futur plus éloigné, sous la forme d’e-fuel comme du méthanol, en embarquant du CO2 à bord.
Quelle est la quantité d’électricité produite sur le bateau ?
Le navire a une puissance utile comprise entre 2 et 2,5 MW et qui correspond à l’énergie restante pouvant être stockée puis valorisée. Pour l’atteindre, il faut produire par hydrogénération environ 3,5 MW, car environ 1 MW est consommé sur le bateau par les servitudes à bord, la conduite, ainsi que les rotors flettner. Ces rotors font partie de la catégorie des voiles actives et sont équipés de moteurs, qui consomment de l’énergie électrique, mais fournissent une puissance propulsive très largement supérieure à leur consommation. Tout l’enjeu de notre concept est d’optimiser la production d’électricité, c’est-à-dire de faire avancer le bateau à l’aide de ces rotors, puis de le freiner de manière optimale à l’aide des hélices des hydrogénérateurs. Si l’on freine trop, le bateau n’avance pas assez et l’énergie produite devient très faible ; inversement, si l’on ne freine pas du tout, elle devient égale à zéro. Entre ces deux extrêmes, il y a un optimal à trouver.
Quelles sont les innovations apportées pour concevoir ce navire-énergie ?
Nous développons des rotors Flettner plus grands que ceux actuellement disponibles sur le marché et qui mesurent 5 mètres de diamètre par 35 mètres de haut. Pour atteindre une puissance utile de plus de 2 MW, ils doivent mesurer 7 mètres de diamètre et 50 mètres de haut. Nous travaillons notamment sur de nouveaux roulements qui sont capables de supporter les efforts associés à ces rotors, qui tournent à plus de 100 tours/minute et dont le poids dépasse 100 tonnes.
Nous développons aussi de nouveaux profils de pales pour les hydrogénérateurs. Leur forme ne ressemble ni à des hélices de propulsion, ni aux hélices présentes sur des hydrogénérateurs déjà fixés dans le fond de l’océan et qui fonctionnent grâce aux courants marins. Nous cherchons à optimiser leur forme pour freiner tout en ayant un rendement optimal de production d’électricité.
La partie stockage de l’énergie comporte aussi de l’innovation, notamment lorsqu’elle est transformée en hydrogène. Des solutions de production par électrolyse de l’eau puis de stockage sous la forme comprimée ou liquéfiée existent déjà, mais la marinisation de ces systèmes nous oblige à lever plusieurs verrous technologiques. Il en est de même pour le déchargement, c’est-à-dire la manière dont on transfère cet hydrogène une fois stocké.
Enfin, un travail d’ingénierie est réalisé vis-à-vis de la conception globale de ce navire-énergie. La structure du bateau doit être suffisamment rigide et stable, tout en étant peu coûteuse, et être suffisamment efficiente d’un point de vue hydrodynamique, pour minimiser la traînée du navire et donc perdre le moins d’énergie.
Quels sont les avantages de votre concept ?
Lorsque l’on regarde les cartes du potentiel éolien en mer, on s’aperçoit que les vents les plus forts sont situés au large. L’intérêt du bateau est qu’il peut se déplacer dans des zones inaccessibles par l’éolien posé ou flottant. Étant donné que le bateau est loin des côtes, il y a peu de conflits d’usage, que ce soit avec les riverains, sur le plan visuel, ou alors avec les pêcheurs, qui veulent sauvegarder leurs zones de pêche. Le bateau étant mobile, sa trajectoire est potentiellement différente à chaque campagne de production d’énergie, en fonction des prévisions de vent. Par exemple, s’il part de Saint-Nazaire, il peut se diriger vers la mer du Nord, du côté de l’Irlande ou se diriger vers le golfe de Gascogne, si des vents plus forts sont annoncés dans cette zone. Notre concept est aussi une solution déployable rapidement, qui ne nécessite par d’étude de sol par exemple, ni de concevoir un navire spécialisé pour sa mise en place. Enfin, l’énergie est livrée au port, elle est donc proche des utilisateurs et on s’affranchit ainsi d’installations de raccordement à terre ou de distribution.
Quelle est la durée d’une campagne en mer pour faire un « plein d’énergie » ?
Pour un stockage par batterie, ce temps est court, car il est d’environ une journée. Il serait possible d’augmenter ce temps, mais plus on installe de la capacité à bord et plus le bateau devient lourd, et moins il devient efficient sur le plan de la production d’énergie. À l’inverse, s’il est moins lourd, on passe notre temps à faire des allers- retours. Nous avons travaillé sur plusieurs cas-types, notamment en Guadeloupe et avec les responsables qui élaborent la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie), un document qui définit la stratégie énergétique des territoires français, en métropole et dans les territoires d’outre-mer. D’ici à 2035, plusieurs navires-énergies pourraient être déployés dans les Caraïbes. L’une des possibilités serait de faire partir un navire-énergie de Basse-Terre afin qu’il réalise deux à trois allers-retours par charge dans le sud des îles, là où les alizés sont les plus forts, avant de revenir à quai pour décharger.
Pour l’hydrogène comprimé, une campagne de production prendrait environ une semaine, tandis que pour l’hydrogène liquéfié et le e-fuel, elle serait d’environ deux à trois semaines.
Quand verra-t-on le premier navire-énergie sur la mer ?
Nous sommes encore au stade des études. L’an dernier, nos efforts se sont concentrés sur la conception de navires embarquant un stockage par batterie. Cette année, dans le cadre d’un projet Interreg appelé Maghic et financé par des fonds européens, nous travaillons beaucoup sur la version hydrogène. A priori, elle représente le meilleur mode de stockage pour commencer la fabrication du premier bateau à l’horizon 2027.
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