Présent dans notre vie quotidienne, le mercure est un puissant neurotoxique, que notre corps accumule partiellement au fil des années. Des chercheurs ont développé de nouvelles techniques d’analyses permettant d’identifier les formes chimiques du mercure dans les cheveux humains et par là‐même la source d’exposition.
La contamination au mercure, un enjeu de santé publique
Le mercure est considéré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme l’un des dix produits chimiques ou groupe de produits chimiques fortement préoccupants pour la santé. L’exposition au mercure, même en petites quantités, peut avoir des effets toxiques sur les systèmes nerveux, digestif et immunitaire, avec des risques forts pour le développement de l’enfant in utero et chez les très jeunes enfants. Identifier le degré et le type de contamination, le moment et la durée d’exposition sont autant d’indicateurs essentiels pour traiter un éventuel empoisonnement au mercure.
De nouvelles techniques d’analyse
Jusqu’à présent, en fonction des supposées sources de contamination, l’absorption de mercure était surveillée par sa concentration dans les urines, le sang ou les cheveux. Ces mesures permettent de diagnostiquer le degré d’empoisonnement, de fournir des données pour des études épidémiologiques, mais elles ne peuvent pas identifier la source et la date d’exposition au mercure, informations essentielles pour définir des traitements ou réaliser des examens médico‐légaux.
« Bien que la concentration de mercure urinaire soit considérée comme le biomarqueur le plus précis et le plus largement utilisé pour évaluer l’exposition chronique aux vapeurs de mercure et au mercure divalent, nous avons montré que le mercure inorganique issu des amalgames dentaires peut être détecté dans les cheveux avec une structure intermoléculaire distincte de celle du méthylmercure provenant de la consommation de poisson » explique Jean‐Paul Bourdineaud, professeur de toxicologie environnementale à l’Université de Bordeaux (France).
« Les études épidémiologiques de la contamination au mercure par consommation de poisson font l’hypothèse que le mercure présent dans les cheveux provient uniquement de cette source. Nos résultats montrent que ceci n’est pas forcément vrai » explique Kathryn Nagy, professeur de sciences de la Terre et de l’environnement à l’Université de l’Illinois à Chicago.
Avec un taux de croissance moyen de 1 cm par mois, les cheveux peuvent capturer des événements de contamination avec une haute résolution temporelle. L’équipe de scientifiques a développé de nouvelles techniques d’analyse permettant désormais d’identifier les formes chimiques du mercure dans les cheveux humains. Grâce à une nouvelle instrumentation sur rayonnement synchrotron, ils ont découvert que l’on pouvait relier la structure chimique du mercure à la source d’exposition par une caractérisation précise des liaisons chimiques environnantes.
Les expériences conduites à l’ESRF ont ainsi révélé qu’un pic de mercure observé sur un cheveu provenait du retrait d’un amalgame dentaire. Ainsi, les signatures obtenues par ces mesures permettent de distinguer une exposition exogène d’une exposition endogène, organique ou inorganique, et indiquent même la période d’exposition à un ou deux jours près.
Les défis techniques
Pour obtenir ces résultats, les scientifiques ont dû faire face à plusieurs défis techniques. La caractérisation de la structure chimique est en effet rendue difficile par la faible concentration de mercure dans les cheveux chez la plupart des individus (0.1 à 3 ng de mercure/mg de cheveu) et par la grande flexibilité et variabilité des liaisons chimiques du mercure avec les atomes de carbone, d’azote, d’oxygène ou de soufre.
« Nous ne nous attendions pas à ce que le pic microscopique de mercure, de seulement 2,5 ng, ait une signature moléculaire aussi différente de celle du méthylmercure lié à la consommation de poisson » explique Alain Manceau, directeur de recherche au CNRS. « Cependant, pour s’assurer que le mercure provenait bien de l’amalgame extrait, il était indispensable de connaître sa forme moléculaire, et notamment comment il était fixé aux protéines des cheveux. Ce travail minutieux d’investigation a pris plusieurs mois et nécessité l’utilisation de supercalculateurs pour modéliser les données« .
Pour relever ces défis, l’équipe scientifique a utilisé les performances de l’ESRF et deux lignes de lumières, ID16B et ID26. Ils ont eu recours à la nano‐sonde à rayons X de la ligne ID16B et construit pour cette expérience un multi‐analyseur à haute luminosité qui exploite la haute brillance du spectromètre de la ligne ID26.
Comme l’explique Rémi Tucoulou, scientifique sur la ligne ESRF, ID16B et Pieter Glatzel, scientifique sur la ligne ESRF, ID26 : “De telles mesures sur des échantillons avec une très faible concentration de métaux nécessitent des instruments spécifiques ayant une extrême sensibilité et possédant, dans le même temps, une très grande résolution pour la caractérisation chimique.”
Au‐delà du mercure, cette nouvelle instrumentation ouvre des perspectives pour l’identification dans les tissus humains des formes chimiques d’autres métaux toxiques connus ou supposés. Cette étude ouvre également la voie à des applications dans les sciences médico‐légales, les sciences de l’environnement et des matériaux. 3 Le multi‐analyseur a été financé par le projet d’Equipex EcoX du programme des investissements d’avenir de l’ANR. (http://www.esrf.eu/news/general/ESRF‐partner‐French‐excellency)
Publication : Manceau A., Enescu M., Simionovici A., Lanson M., Gonzalez‐Rey M., Rovezzi M., Tucoulou R., Glatzel P., Nagy K.L., Bourdineaud J.P. (2016) Chemical forms of mercury in human hair reveal sources of exposure. Environmental Science & Technology. doi: 10.1021/acs.est.6b03468
Source : cnrs
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