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Tara veut comprendre le fonctionnement du microbiome de l’Atlantique

Posté le 11 décembre 2020
par Matthieu Combe
dans Chimie et Biotech

Tara repart en mission le long des côtes chiliennes et dans l’Atlantique sud. Son nouveau terrain de jeu : comprendre le fonctionnement du microbiome, sentinelle des changements globaux.

Les micro-organismes marins constituent le premier maillon des services écologiques rendus par les océans. Si les précédentes expéditions Tara ont permis de mieux connaître les habitants du microbiome océanique, soit l’ensemble des micro-organismes marins (entre autres, virus, bactéries, microalgues et protistes), son fonctionnement demeure largement méconnu. Pour mieux connaître ce peuple invisible à l’œil nu, la goélette Tara s’élancera ce samedi 12 décembre de Lorient pour une nouvelle expédition de 21 mois. Le bateau-laboratoire parcourra 70 000 kilomètres en Atlantique Sud, le long des côtes sud-américaines et africaines, jusqu’en Antarctique. Les chercheurs étudieront le microbiome océanique et ses interactions avec l’environnement.

Comment fonctionne le microbiome océanique et à quoi sert-il ?

Grâce à la lumière du soleil, une partie du microbiome – le phytoplancton – absorbe du gaz carbonique pour produire la moitié de l’oxygène planétaire chaque jour. Il crée de la matière organique qui est ensuite absorbée par l’océan à travers les bactéries dans un réseau trophique extrêmement complexe, des virus jusqu’aux poissons et aux baleines. « Toutes les cellules de ce microbiome rejettent des petites vésicules qui contiennent des messages ADN et une variété de métabolites pour communiquer », partage Colomban de Vargas, directeur de recherche CNRS/Sorbonne, et codirecteur scientifique de la mission.

À bord de la goélette Tara, les scientifiques collecteront et analyseront le microbiome océanique. « Les outils pour étudier le microbiome sont larges : des méthodes de séquençage de l’ADN et des gènes exprimés de l’ARN et des méthodes d’imagerie automatiques, explique Colomban de Vargas. Grâce à ces méthodes automatisées, on commence à voir les différents niveaux d’organisation du microbiome. »

Des acteurs du microbiome au fonctionnement

Dans ses précédentes expéditions, Tara a déjà ramené près de 100 000 échantillons. Ces derniers ont permis de découvrir une biodiversité considérable et largement inconnue. « On a découvert 200 000 espèces de virus dans l’eau de mer, 50 millions de gènes procaryotes et 150 millions de gènes eucaryotes, précise Colomban de Vargas. Plus de la moitié des gènes eucaryotes ne ressemblent à rien de ce qui existe dans les bases de données donc on ne sait pas à quoi ils servent. »

Ces expéditions ont permis de découvrir les acteurs majeurs de ce microbiome et leurs interactions. Tara veut maintenant comprendre son fonctionnement pour prédire les réponses au changement climatique. Et cela demande de mesurer un grand nombre de paramètres environnementaux à chaque échantillonnage, par exemple la température, le taux d’oxygène, la présence de nutriments, ou la pollution plastique. « Lorsque l’on fait un échantillonnage, il faut à la fois caractériser l’état métabolique des organismes, établir qui interagit avec qui et bien caractériser l’état de l’environnement au moment des mesures, précise Daniele Ludicone, co-directeur de la mission microbiomes. L’échantillonnage va donc être focalisé dans certaines régions océaniques d’intérêt ». L’enjeu sera notamment de standardiser les protocoles.

Comprendre l’évolution du microbiome dans les gradients océaniques

La mission s’intéressera aux gradients, « les changements dans l’espace des caractéristiques environnementales, comme la température et la pollution », explique Daniele Ludicone. La mission se focalisera sur les régions à forts gradients pour évaluer l’évolution des organismes à travers ces gradients.

Des glaciers des Andes aux zones pauvres en oxygène, la mission cherchera à comprendre les mécanismes biologiques qui permettent au microbiome de s’adapter. « Le Chili est une région très intéressante car les fjords de Patagonie, dans le sud, créent des gradients et au Nord du Chili, l’océan présente un gradient sur la verticale avec un fort changement de disponibilité d’oxygène pour la vie, explique Daniele Ludicone. Ces forts gradients permettront de mieux comprendre l’adaptation métabolique du microbiome ».

Un autre sujet important concernera l’étude de l’influence de l’Amazone sur le microbiome. Le panache du fleuve le plus long au monde s’étend parfois jusqu’à l’Afrique et aux Caraïbes. « Établir l’état métabolique du microbiome dans ce panache est idéal pour comprendre comment le changement climatique et les changements d’usage des territoires sont en train de changer les océans », affirme Daniele Ludicone.

Les chercheurs vont par ailleurs s’intéresser à la pompe à carbone dans l’Océan Austral. Ils étudieront les grands fleuves africains, encore largement méconnus et mal caractérisés en termes de pollution. « Ils ont un panache important et un impact sur tout l’Atlantique sud-est », prévient Daniele Ludicone. Enfin, les chercheurs s’intéresseront aux upwellings, des régions océaniques très riches en nutriments. « On veut comprendre comment le microbiome soutient cette production exceptionnelle et sa vulnérabilité au changement des vents », explique le chercheur.


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