Alors que les batteries électrochimiques sont souvent présentées comme la solution pour intégrer les énergies renouvelables électriques, d’autres technologies sont plus pertinentes pour des durées de décharges plus longues. C’est le cas du stockage d’électricité par conversion thermique, que présente Jean-François Le Romancer, président de STOLECT.
Techniques de l’ingénieur : En quoi consiste la technologie de la batterie de Carnot ?
Jean-François Le Romancer : Ce terme de « batterie de Carnot » a été proposé par l’Agence internationale de l’énergie pour désigner le stockage d’électricité par conversion thermique. Il s’agit d’utiliser de l’électricité pour comprimer de l’air en le réchauffant beaucoup ; cette chaleur sensible est stockée dans deux enceintes de matériaux réfractaires puis extraite de nouveau sous forme d’air chaud détendu dans une turbine qui fait tourner un alternateur et produit de l’électricité. Il faut bien différencier cela d’un stockage thermique qui restitue de la chaleur. Ici, l’électricité est le produit d’entrée et le produit final, avec un rendement visé de 70 %.
Avec quels matériaux se fait ce stockage de chaleur sensible et sous quelles contraintes ?
Nous avons testé différents types de matériaux réfractaires, qu’ils soient d’origines naturelles ou fabriqués industriellement, pour évaluer leur capacité à supporter l’amplitude de température. Il ne faut pas qu’ils se détériorent, en particulier à cause de la dilatation, puisque le cyclage varie entre 50 et 600°C. Parmi les options retenues, la moins chère est un basalte extrait dans le Cantal. L’intérêt de la batterie de Carnot, à la différence d’une batterie électrochimique, c’est qu’il n’y a pas de corrélation entre la puissance, qui est fixée par les turbomachines, et l’énergie stockée qui dépend de la taille des enceintes contenant les matériaux réfractaires. Cela permettra à terme d’adapter des sites à l’évolution des besoins : pour un même lot compresseur/turbine, il suffira d’ajouter des enceintes de matériaux pour stocker et déstocker deux fois plus d’électricité. Les autres avantages sont la durabilité de cette technologie, estimée à 30 ans, et le fait qu’elle a un impact carbone 7 à 30 fois moindre que les batteries électrochimiques, selon la taille de l’installation.
Où en est STOLECT du développement de cette technologie ?
STOLECT a été créée en 2019 pour porter cette technologie qui avait fait l’objet de premiers développements près de dix ans plus tôt : le projet avait été lauréat du concours mondial de l’innovation en 2014 et avait été incubé chez Keynergie. Après un premier prototype, et des études d’avant-projet soutenues par les Investissements d’Avenir et l’ADEME, nous avons décidé de lancer un démonstrateur. Il est en cours de construction à Rennes, au Technicentre Maintenance Bretagne de la SNCF, avec le soutien de BPI France, du réseau Smile Smart Grids des régions Bretagne et Pays de la Loire, ainsi qu’un apport décisif de 2 millions d’euros du fonds FEDER de la Région Bretagne. L’installation a une empreinte au sol réduite, d’environ 400 m², incluant les turbomachines (1 MW électrique de puissance) et les deux réservoirs cylindriques de matériaux réfractaires, chacun d’un diamètre de 5 mètres et d’une hauteur de 6 mètres. Au total, ils contiennent 400 tonnes de matériaux et permettent de stocker 5 MWh. D’ici mi-2024, ce démonstrateur va permettre de tester les procédures d’exploitation pour les optimiser et nous conduire vers un modèle commercial plus grand (5 MWe et 50 MWh). Nous avons une collaboration de R&D avec l’IFPEN qui a réalisé des simulations dynamiques du comportement de l’ensemble du système de stockage et qui analysera les données issues de ce démonstrateur pour en vérifier la pertinence et l’optimiser.
À quel marché s’adresse votre solution de stockage d’électricité ?
Les batteries électrochimiques réagissent en quelques millisecondes et peuvent répondre presque instantanément aux besoins de réserves primaires du réseau électrique pour contrôler la fréquence du réseau. Le stockage d’électricité par conversion thermique se positionne de manière complémentaire : il démarre moins vite, mais peut répondre à un besoin de fourniture d’électricité sur une durée dépassant 4 à 6 heures. La solution de STOLECT va donc être propice pour des industriels qui veulent décarboner leur électricité en installant des énergies renouvelables et ont besoin de les compléter avec du stockage pour satisfaire tous leurs besoins de consommation. C’est le cas par exemple de la SNCF qui dispose de réserves foncières et envisage d’installer du solaire photovoltaïque : avec notre solution de stockage, elle pourrait disposer toute la nuit de l’électricité stockée le jour. À l’échelle d’une zone d’activité, nous pensons que nous pouvons réellement aider à la massification des énergies renouvelables. C’est bien sûr évident pour les zones non interconnectées, mais pourrait se généraliser sur tout le territoire vu les objectifs de développement des EnR et les tensions sur les prix de l’électricité.
Dans l'actualité
- Les thèses du mois : Quels matériaux pour l’Europe des batteries ?
- « Notre ambition est de devenir leader sur le marché des batteries de moyenne puissance »
- Associer des polymères pour augmenter la durabilité des batteries
- « Le recyclage des matériaux constituant les batteries est un enjeu immédiat »
- Quels matériaux pour les batteries du futur ?
- Be Energy : donner une seconde vie aux batteries grâce à des impulsions électriques
- Bientôt des batteries structurelles, pour un stockage d’énergie « sans masse » ?
- Alexandre Chagnes : produire et recycler les batteries dans un contexte d’économie circulaire
Dans les ressources documentaires