Le support qu’il faut mettre en place pour ces entreprises est très différent de celui couramment mis en œuvre pour des entrepreneurs ayant eu une vie professionnelle en tant que salariés avant d’entreprendre. Les deux types de projets diffèrent non seulement au niveau des ressources disponibles, mais aussi dans les méthodes de travail, de gestion des ressources humaines, des stratégies partenariales, ainsi qu’au niveau de l’exposition de l’entrepreneur aux regards des institutions et des médias. Souvent menés en parallèle d’une dernière année d’étude, ces projets demandent au jeune entrepreneur d’exercer deux activités à plein temps : celle de dirigeant et de candidat à un diplôme. Ce retour d’expérience correspond à la méthodologie mise en place dans la couveuse d’entreprises française Solen Angels en s’inspirant des expériences américaines et canadiennes.
Contexte, enjeu, problématique et objectifs du projet
En premier lieu, le processus de création d’entreprises par des étudiants en cours ou juste après leur formation est étudié de manière importante, parce qu’il est sans doute plus naturel, dans le contexte américain. En France, bien que récemment mis en place dans le contexte universitaire au travers notamment du dispositif PEPITE (Pôle étudiant pour l’innovation, le transfert, et l’entrepreneuriat), ce processus est notablement moins documenté.
En second lieu, au niveau mondial, selon les chiffres du Bureau International du Travail sur 90 pays représentant 84 % de l’emploi total, 46 % des travailleurs sont à leur propre compte, contre 26,4 % de salariés. Dans les pays à haut revenu, les salariés représentent encore 77 % des emplois (10 % de travailleurs non-salariés), alors que dans les pays à revenus moyens, 53 % des travailleurs sont à leur compte. En fait, la création d’entreprises individuelles apparaît comme un remède au déficit de développement économique.
Troisième élément de contexte, particulièrement en Europe : un certain divorce s’installe entre les jeunes générations et les entreprises, notamment les plus traditionnelles. Selon un sondage IFOP pour ADIA en 2010, 65 % des dirigeants considèrent les jeunes professionnels comme peu impliqués. Une étude en 2015 montre que seulement 9 % des jeunes estiment que l’entreprise les intègre bien et 40 % d’entre eux envisagent de créer leur entreprise. Si 80 % des jeunes professionnels ont une bonne image de l’entreprise, cela semble être de la leur et pas de l’entreprise en général. Nous assistons à une profonde mutation de la relation au travail, qui se reflète dans les valeurs mises en avant : respect, dynamique et travail. La tendance est à la petite structure, agile et agissante, avec une dimension éthique.
Les étudiants entrepreneurs constituent une population très différente des créateurs d’entreprises habituels, tels que les couveuses d’entreprises en rencontrent et en accompagnent régulièrement (tableau ci-dessous).
Tableau 1 – Comparaison entre le créateur moyen classique et l’étudiant entrepreneur | |
Créateur classique | Étudiant entrepreneur |
Dispose d’une expérience professionnelle | N’a pas d’expérience professionnelle, hors stage |
A acquis le métier au préalable | N’a jamais exercé son métier |
Connaît les principales étapes du développement de produit | Imagine le process de fabrication et de création |
Créé plutôt dans son domaine de connaissance | Tout domaine, sur la base d’une idée |
Peu influencé par les modes | Très influencé par les récents succès de la nouvelle économie |
Dispose de fonds propres ou d’économies qu’il peut investir | Fonds propres extrêmement faibles, voire nuls |
Dispose d’indemnités (pôle emploi) | N’a pas de revenus |
Créé après un poste qu’il a quitté | Engage une création pendant ses études |
Consacre 100 % de son temps à la création | Les études sont prioritaires |
Part d’une idée éprouvée | Part d’une idée spéculative |
Travaille de chez lui ou d’un lieu qu’il a choisi | Doit être hébergé |
Les écoles et universités disposent de programmes de formation à l’entrepreneuriat, utiles à des fins pédagogiques, mais peu adaptés en situation d’incertitude, notamment lorsque les encadrants et formateurs présentent des biais culturels : salariés de grandes entreprises tentant d’adapter des modèles de développement industriel disproportionnés, enseignants du secteur public ayant une approche théorique de la création d’entreprises. Bien que connus, les déterminants de la création d’entreprises chez les étudiants sont peu pris en compte. En effet, la plupart des systèmes pédagogiques visent au développement, comme dans d’autres matières, des capacités entrepreneuriales et des techniques supposées associées (business plan…) et négligeant un des critères déterminants : l’attrait. En cela, l’acquisition de ces compétences sur une base théorique peut même, pour peu qu’elle soit rébarbative, conduire, par la réduction de l’attrait à une contre-performance regrettable, d’autant que les modes de création d’entreprises en France se sont depuis quelques années, notamment par la digitalisation des services, extrêmement simplifiés. En véhiculant une fausse image de difficulté, ces approches peuvent limiter les projets effectivement menés à bien, ce qui est effectivement observé. Les formations ont un effet modéré sur l’intention entrepreneuriale, les caractéristiques liées aux personnalités et aux valeurs sont déterminantes : autonomie, pouvoir, action, challenges, avoir un travail intéressant.
Il est à noter que ces recherches mettent en avant trois perceptions ou croyances, qui priment significativement sur la réalité effective. Dans ce contexte, la mission que nous nous sommes fixée a été de traiter ces croyances par leur concrétisation avec des éléments factuels, de manière à passer d’une forme de pensée magique à une sécurisation rationnelle et objective. Ces trois croyances sont :
- la perception de désirabilité ;
- la propension à agir ;
- la perception de faisabilité.
Dans ce contexte, nous pouvons observer quatre types de créateurs étudiants (figure 1), même si cette segmentation peut être relativement floue pour la plupart d’entre eux et peut varier en fonction de l’évolution du projet.
placer ici la figure 1
Figure 1 – Segmentation de l’approche entrepreneuriale
Par certains aspects, cette segmentation ressemble à la typologie de Jung . La méthodologie que nous allons retenir a donc fortement à faire avec un comblement des sous-évaluations de chacun des types et une relativisation de leurs tendances naturelles. Toutefois, l’accompagnement d’un entrepreneur ne peut se faire, et en cela elle diffère fortement de l’accompagnement pédagogique, que par :
- une personnalisation très importante ;
- l’apport d’informations claires, stables et documentées ;
- l’interdit de décider à la place : seul l’entrepreneur est légitime pour prendre les décisions.
Un point particulièrement important, propre à la population de créateurs considérés, est constitué par l’ensemble des désirs des entités environnant le jeune entrepreneur.
De jeunes et photogéniques entrepreneurs suscitent l’appétence des structures engagées dans leur projet :
- leurs écoles qui veulent montrer la pertinence de leur formation ;
- leur banque qui veut montrer qu’elle soutient l’innovation ;
- les collectivités locales qui veulent prouver l’attractivité de leur territoire ;
- la presse en quête de nouvelles de meilleure fraîcheur.
Alors qu’un entrepreneur classique subit seulement, et cela peut déjà être stressant, l’exposition à sa famille et à ses amis, le jeune entrepreneur peut être placé sous les projecteurs à l’occasion d’événements, colloques, concours aussi divers qu’il est possible d’imaginer. Or, son projet est par nature incertain et une partie significative de celui-ci gagnerait, en termes de stress, à être mené sans qu’il leur soit trop souvent demandé où ils en sont, de manière trop intrusive par des personnes non impliquées dans le suivi du projet.
Cette dimension humaine qui intègre l’approche psychologique est à prendre avec sérieux, notamment pour les plus créatifs des porteurs de projet qui sont statistiquement plus exposés que la moyenne aux troubles dépressifs , notamment en relation avec l’éthique et la responsabilité sociétale . Ce dernier aspect renforce l’idée qu’un accompagnement sur-mesure prenant la totalité de la personnalité du futur entrepreneur est indispensable et soulève le problème des compétences et savoir être des encadrants.
Exclusif ! L’article complet dans les ressources documentaires en accès libre jusqu’au 14 avril !
Soutien opérationnel à l’entrepreneuriat étudiant, un retour d’expérience rédigé par Anne-Lucie CLAUSSE et Luc-Émile BRUNET.
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