Incubée dans le cadre du programme Magellan du CEA, SolReed est pour l’heure hébergée au sein de l’Institut national de l’énergie solaire, implanté en Savoie, au Bourget-du-Lac. Grâce à un partenariat établi avec ENGIE Green, la start-up a pu mener à l’été 2023 un test de diagnostic et de réparation d’une centaine de panneaux mis à sa disposition. Concluante, l’opération a ainsi d’ores et déjà permis à SolReed de faire la preuve de la pertinence de son approche, qu’elle va donc désormais amener jusqu’à l’échelle industrielle grâce à une feuille de route R&D étalée sur trois ans. Un travail qu’elle compte notamment financer en déposant, d’ici la fin de l’année, une demande de subvention auprès de l’Ademe. Entretien avec Luc Federzoni, qui fait pour nous toute la lumière sur la genèse et les ambitions de la jeune pousse dont il est le cofondateur.
Techniques de l’Ingénieur : Quelles ont été les grandes étapes qui vous ont amené à cofonder SolReed ? Quels sont vos axes de travail actuels et à venir ?
Luc Federzoni : L’aventure SolReed tire son origine d’un projet européen mené au sein du CEA autour de la gestion de la fin de vie et le recyclage des modules photovoltaïques (PV) : CABRISS. Dans le cadre de ce projet, nous nous sommes en effet aperçu que bon nombre des panneaux en fin de vie que nous fournissaient les éco-organismes fonctionnaient en fait encore. Plus ou moins bien, certes, mais une majorité d’entre eux donnaient en tout cas des signes de vie. Cela nous a mis la puce à l’oreille…
Nous avons donc décidé de nous pencher sur le sujet, à la faveur d’une deuxième salve de projets européens, et plus particulièrement de CIRCUSOL[1], avec l’objectif de répondre à une question centrale : quel business model pour créer un marché de la seconde vie dans le domaine du photovoltaïque ?
J’ai ainsi commencé à creuser le sujet il y a deux ans environ, au sein du CEA, avec l’objectif de trouver les moyens de passer à l’échelle industrielle. Ma première motivation était écologique : il me paraissait inacceptable de recycler des modules encore fonctionnels, qui ne nécessitaient que peu de travail pour retrouver de la valeur. De la valeur économique, certes, mais aussi sociale. Un autre grand moteur de mon initiative a en effet été la création d’emplois, et plus particulièrement d’emplois en insertion.
Fin 2022, j’ai pu commencer à bénéficier d’un dispositif d’accompagnement mis en place par le CEA : le programme Magellan, une rampe de lancement qui va de la pré-maturation à l’incubation. L’année dernière, j’ai été rejoint par Matthieu Verdon, avec qui j’ai ainsi cofondé SolReed, une start-up hébergée au sein de l’Institut national de l’énergie solaire (INES). Nous sommes entrés en phase d’incubation en février dernier, et commençons, aujourd’hui, à voir le bout du tunnel. À la faveur d’une feuille de route R&D que nous avons établie sur trois ans, nous nous projetons désormais très clairement vers l’industrialisation des solutions que nous avons développées. Nous travaillons notamment à la création d’unités de diagnostic et de réparation mobiles, pour des interventions sur site. Tout cela avec l’appui scientifique et technique des équipes du CEA, sans qui tout cela n’aurait absolument pas été possible !
Enfin, nous menons aussi des discussions avec les assureurs, afin de faire valoir auprès d’eux l’assurabilité des modules PV de réemploi. Nous avons vraiment tout un écosystème à embarquer avec nous… !
Quelles sont justement ces solutions, ces approches, sur lesquelles vous travaillez ?
Nous avons la volonté de créer une chaîne de valeur la plus complète possible, de la première vie jusqu’au réemploi du module réparé. Ceci passe notamment par une phase de diagnostic de ces modules au sein des centrales dans lesquelles ils sont installés. Nous avons, sur ce plan, noué un partenariat avec ENGIE Green, dans le but de développer des technologies de diagnostic par couplage d’informations : images thermographiques, données électriques… Ce volet « diagnostic de modules » va encore nous demander un peu de R&D, mais nous pouvons compter, pour cela, sur les compétences de haut niveau du CEA.
Notre ambition est de mettre en place ces systèmes de diagnostic au sein même des centrales solaires, afin de détecter d’éventuelles défaillances au plus tôt. Et ce, non pas à l’échelle du string[2], mais bien à l’échelon individuel du module. C’est en effet ce qui nous permettra de mener des actions de réparation ciblées au niveau du ou des modules défaillants.
Ces actions de réparation pourront être effectuées sur place, sans démontage, ou, quand cela n’est pas possible, dans un atelier au plus proche. Nous démarrons aujourd’hui ces activités de réparation, en misant avant tout sur leur durabilité.
Nous cherchons ainsi également à qualifier les réparations effectuées, en nous appuyant, là aussi, sur le savoir-faire du CEA-INES. Nous menons notamment des tests de vieillissement accéléré de nos réparations, afin de garantir nos futurs modules, une dizaine d’année sans doute.
Nous maîtrisons aujourd’hui la réparation de six références de modules fournis par ENGIE Green. Cela peut sembler peu, mais représente en fait une part très importante du parc de panneaux PV aujourd’hui déployés au sein des centrales solaires des grands énergéticiens en Europe.
Très concrètement, en quoi consisteront ces opérations de réparation ? Jusqu’où serez-vous en mesure d’intervenir pour redonner vie à ces modules défaillants ?
Le plus simple, pour répondre à cette question, est d’indiquer ce que nous ne serons pas en mesure de faire… Nous ne pourrons notamment pas intervenir sur la casse de verre. Certains y travaillent, mais cela ne nous concerne pas pour l’instant. De même, tout ce qui implique d’ouvrir le « sandwich » constitutif du panneau, n’est pour l’heure pas une possibilité que nous explorons, car elle reste très coûteuse. Nous sommes, pour tout le reste, en mesure d’intervenir en respectant des objectifs de viabilité économique, avec, comme référence, le prix du module neuf. Ces opérations peuvent aller d’un simple nettoyage, à une soudure sous le backsheet[3], par exemple. Nous nous assurons aussi systématiquement que les performances de nos modules sont au rendez-vous. Nous vérifions aussi leur sécurité en réalisant des tests de courant de fuite sur 100 % d’entre eux.
Quel modèle de développement comptez-vous adopter pour industrialiser ces approches de diagnostic et de réparation ?
Nous avons, en France, un formidable tissu de spécialistes de l’insertion par le travail. Nous comptons donc nous appuyer sur ces acteurs qui disposent d’un très grand savoir-faire.
Ça n’est pas encore chose faite aujourd’hui faute de volumes, le réemploi de modules PV demeurant, pour l’heure, un marché naissant. Mais quand nous disposerons d’une masse critique de panneaux à traiter ; c’est vers ce modèle de partenariat que nous nous dirigerons. Je pense que cela pourrait se mettre en place d’ici à 2025, notamment sous l’impulsion de l’éco-organisme du secteur, Soren, mais aussi sous l’influence des acteurs de ce marché du photovoltaïque, qui sont en effet de plus en plus nombreux à manifester leur intérêt pour le réemploi. Tout l’écosystème se met au diapason. Avec un tel alignement de planètes, les choses vont très certainement accélérer d’ici peu.
L’Agence Internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), table, à l’horizon 2050[4], sur une production annuelle de déchets liés au PV de l’ordre de 6 millions de tonnes au niveau mondial… Quelle part de ce gisement pourrait, selon vous, bénéficier d’une seconde vie ?
Nous avons évalué cet aspect dans le cadre d’un projet interne au CEA, et il s’avère que, quelle que soit l’échelle considérée, environ 50 % des modules sont valorisables. Un autre chiffre me semble encore plus parlant pour donner la mesure de ce gisement : rien qu’en 2023, 1 milliard de panneaux PV ont été installés dans le monde… Parmi eux, plusieurs centaines de milliers tomberont ainsi à coup sûr en panne un jour, et pourront donc potentiellement être réparés.
L’écoconception est par ailleurs une approche qui prend aujourd’hui de plus en plus d’ampleur. Avez-vous éventuellement pu établir des liens avec des constructeurs de panneaux pour faciliter, en amont, leur réparation future ?
Cela aura été formidable ! Mais au vu de la situation de l’industrie du photovoltaïque en Europe, cela n’est tout simplement pas possible, malheureusement. Toute la production est aujourd’hui partie en Asie, et nous n’avons pas encore pu mener de discussions avec les industriels chinois. Il nous faudra en tout cas le faire un jour. Nous avions d’ailleurs entamé des discussions à ce sujet avec le Français Systovi, qui a malheureusement annoncé la cessation de ses activités en avril dernier…
[1] Circular Business Models for the Solar Power Industry, soit « Modèles économiques circulaires pour l’industrie de l’énergie solaire ».
[2] « Chaîne », « série » de panneaux PV.
[3] Feuille arrière, ou feuille de fond.
[4] D’après IRENA and IEA-PVPS (2016), « End-of-Life Management : Solar Photovoltaic Panels », International Renewable Energy Agency and International Energy Agency Photovoltaic Power Systems.
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