Interview

« Si les gigafactories produisent moins de batteries, le modèle économique des usines de recyclage ne fonctionne plus »

Posté le 23 janvier 2025
par Pierre Thouverez
dans Matériaux

La baisse des ventes de véhicules électriques constatée en 2024 est forcément un mauvais signal pour la filière industrielle de production des batteries électriques.

Par effet boule de neige, les usines de recyclage de batteries sont aussi impactées, avec de nombreuses incertitudes sur les volumes à recycler dans les années à venir. Mais d’autres facteurs viennent fragiliser le modèle de recyclage des batteries électriques mis en place au niveau français et européen.

Alexandre Chagnes est enseignant-chercheur de l’Université de Lorraine et directeur scientifique du LabeEx RESSOURCES21, un laboratoire d’excellence qui a pour mission l’amélioration de la compréhension et de la gestion des métaux stratégiques

Il explique, pour Techniques de l’Ingénieur, les différents facteurs qui s’additionnent et impactent la filière industrielle des batteries, et par ricochet celle du recyclage de ces dernières.

Techniques de l’Ingénieur : Les ventes de véhicules électriques ont été moins importantes que prévu en 2024. Quelles en sont les raisons ?

Alexandre Chagnes : Il est vrai que les prévisions de ventes des véhicules électriques se révèlent plus importantes que celles qui s’opèrent réellement. Divers pays européens, dont la France, ont mis en place des actions, comme le bonus écologique, pour soutenir les ventes de véhicules électriques. Certains pays comme l’Allemagne ont décidé de mettre fin à ces subventions, d’autres pays comme la France vont les diminuer dès 2025. Ces aides ont permis d’augmenter les ventes de véhicules électriques, et il est difficile aujourd’hui de prévoir quelles seront les conséquences exactes de la fin ou de la diminution de ces mécanismes de soutien.

La réalité aujourd’hui, c’est que le véhicule électrique reste très cher, même si le développement des gigafactories devrait permettre, à horizon 2030, d’avoir sur le marché des véhicules électriques au même prix que les véhicules thermiques.

Le marché des batteries est également en souffrance. Est-ce dû uniquement à la chute des ventes de véhicules électriques ?

Pas seulement, non. La période de turbulences qui touche actuellement l’écosystème industriel des batteries n’est pas uniquement liée à la chute des ventes de véhicules électriques. Il y a un problème de montée en cadence dans la production de batteries, et il y a également le choc provoqué par les annonces des pertes financières – près de 13 milliards d’euros – de Northvolt, qui a eu un impact sur tout l’écosystème des batteries, dont celui du recyclage. Cette annonce a provoqué une onde de choc sur toutes les autres gigafactories, et sur les investisseurs, car le problème qu’a rencontré l’entreprise sur sa montée en cadence peut toucher les autres gigafactories.

Ce n’est pas quelque chose qui avait été anticipé, parce que le modèle chinois a montré que cette montée en cadence est possible. Seulement, les Chinois ont démarré cette montée en cadence il y a plus de 15 années et ont aujourd’hui surmonté ces difficultés.

Le choix européen de produire principalement des batteries NMC joue-t-il également un rôle ?

Oui. Les acteurs européens de la filière électrique pensaient avoir fait le bon choix en misant sur les batteries NMC (nickel-manganèse-cobalt), alors que les acteurs asiatiques ont développé à la fois les batteries NMCS et les batteries LFP (lithium-fer-phosphate). Aujourd’hui, certaines gigafactories font un peu marche arrière. Pour baisser les coûts de production des batteries électriques, afin de stimuler les ventes et d’opérer une montée en cadence, le choix technologique de se tourner vers la production de batteries LFP, moins chères que les batteries NMC, même si ces dernières sont moins performantes, est envisagé.

Quel est l’impact sur les usines de recyclage de batteries ?

Il est très important. Dans la décennie qui vient, les usines de recyclage vont principalement recycler non pas des batteries usagées, mais les résidus industriels des gigafactories, qui représentent une quantité très importante de matière à recycler. Ainsi, si les gigafactories produisent moins, ou qu’il y a moins de gigafactories que prévu, le modèle économique des usines de recyclage ne fonctionne plus. 

Aussi, les incertitudes autour des choix technologiques entre les batteries NMC ou LFP ont un impact direct sur les recycleurs. Les procédés de recyclage mis en place sont spécifiques pour chaque type de matériaux constituant les batteries. Une usine de recyclage qui recycle des batteries NMC ne pourra pas recycler des batteries LFP avec le même procédé. Il faut également avoir à l’esprit que le recyclage du LFP de façon économiquement viable est beaucoup plus compliqué que pour le NMC puisque les matériaux constituant les batteries LFP sont beaucoup moins chers. Il est donc plus compliqué d’en retirer de la valeur. Il n’y a d’ailleurs à ma connaissance à l’heure actuelle pas de projets français de recyclage à grande échelle de batteries LFP. Il existe des projets de production de batteries LFP, donc le sujet du recyclage va forcément venir sur la table quand ces derniers se formaliseront, mais cela prendra un certain temps.

Propos recueillis par Pierre Thouverez


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