A la tête d’IESF (Ingénieurs et scientifiques de France) depuis le mois de juin 2021, Marc Rumeau est un ancien élève des Arts & Métiers ParisTech. Il a exercé plus de 24 années comme mandataire social (DG et PDG) dans des sociétés filiales Françaises et Européennes de groupe industriels internationaux.
Marc Rumeau a accepté de livrer aux Techniques de l’Ingénieur sa vision du développement d’IESF pour les années à venir, qui doit servir un objectif prioritaire : la réindustrialisation (et l’industrialisation) du pays. Pour faire de cette ambition un succès, le président d’IESF veut entre autres agir auprès des jeunes, des étudiants, des futurs ingénieurs pour améliorer l’image de l’industrie en France, qui se dégrade auprès des jeunes générations depuis de nombreuses années.
Les journées nationales de l’ingénieur, organisées au mois de mars, ont rencontré un franc succès. Qu’en retenez-vous ?
Les journées nationales de l’ingénieur se sont effectivement tenues au début du mois de mars : 88 événements labellisés par l’IESF ont eu lieu, qui ont permis de communiquer auprès du jeune public notamment, pour les rapprocher du monde de l’industrie.
Aussi, depuis début février, nous avons lancé l’enquête nationale IESF, auprès des entreprises, des recruteurs, des écoles d’ingénieurs… nous voulons cette année atteindre la barre des 60 000 réponses à notre enquête, et nous visons la barre des 100 000 réponses dès l’année prochaine. Évidemment, plus il y a de répondants, plus le tableau que cela nous permet de dresser est pertinent.
Vous qui êtes en poste depuis moins d’un an, quel élan voulez-vous impulser à l’IESF pour les années à venir ?
A mon arrivée chez IESF, nous partions du constat que les ingénieurs et scientifiques de France n’étaient pas suffisamment représentés dans le débat national autour de l’avenir de l’industrie hexagonale.
La problématique que nous avons soulevée, c’est la difficulté des ingénieurs et des scientifiques, en France, à parler de leur travail et à communiquer autour de leurs idées. C’est une des raisons pour laquelle nous avons décidé de faire appel à la jeunesse, au sein de l’IESF, pour donner un souffle nouveau à notre mouvement. Mais aussi pour challenger cette jeunesse, qui veut donner du sens à sa carrière. Il y a donc un véritable « rafraîchissement » des effectifs, qui correspond à la nécessité de parler à la jeune génération actuelle, en utilisant les mêmes codes qu’elle.
Avec la volonté, sous mon mandat, de placer l’IESF dans une position qui permettra aux ingénieurs de faire entendre leur voix dans le débat public et auprès des ministères et des institutionnels.
Quels sont vos axes de travail en ce qui concerne la formation des ingénieurs dans l’hexagone ?
La bataille des sciences et la réforme du bac sont des sujets très importants. Il manque environ de 15 à 20 000 ingénieurs en France chaque année. Nous avons un vrai souci à ce niveau. Pour réindustrialiser la France, il faut absolument disposer de suffisamment d’ingénieurs qualifiés, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Une filière comme le nucléaire par exemple a beaucoup souffert ces dernières années, et il manque aujourd’hui beaucoup d’ingénieurs, ouvriers spécialisés et techniciens pour maintenir le niveau de compétences développé sur ce secteur d’activité depuis des décennies.
Sur ces sujets, il nous faut nous rapprocher d’institutions comme le CNAM par exemple, comme l’UIMM avec qui nous allons signer une convention de partenariat, pour définir de manière beaucoup plus synergique les besoins en termes de compétences et de formation.
Cette démarche consistant à se rapprocher des organismes professionnels et de formation est-elle une clé pour développer des actions d’importance ?
Oui, il est certain que l’IESF doit, et c’est une de mes priorités, se rapprocher de tous les acteurs de la formation, des syndicats professionnels, des entreprises, pour peser sur l’avenir de l’industrie. L’IESF participe, par exemple, avec l’association des chambres de commerce et d’industrie de France à un projet de réindustrialisation. Il faut noter que depuis quelque temps, de plus en plus d’ingénieurs sont nommés à la tête des CCI, ce qui est une tendance intéressante. Les CCI ont un rôle très important de par leur action territoriale. Les défis à mener au niveau territorial sont nombreux et parmi eux la nécessité de développer des structures de formations partout sur le territoire, ce qui permettrait à de nombreux futurs ingénieurs d’être formés sans avoir à s’expatrier de leur région de résidence.
Ensuite, un paramètre important, au-delà du coût unitaire des études, c’est le logement. Le fait d’avoir des écoles d’ingénieurs à travers tout le territoire facilite de facto l’accès des étudiants aux écoles d’ingénieurs.
Parlez-nous du livre blanc de “propositions et recommandations” publié par l’IESF cette année, quelques mois avant les élections présidentielles ?
C’est un livre de propositions et de recommandations, auquel ont eu accès les candidats à la récente élection présidentielle. L’élection d’Emmanuel Macron et certains de ses engagements viennent valider certaines propositions que l’on trouve dans ce livre blanc, comme l’hydrogène, la réindustrialisation, la relance du nucléaire, entre autres. Je pense que ce livre blanc a eu un impact dans le débat public sur l’industrie. Nous avons d’ailleurs décidé, dès cette fin d’année de sortir un tome 2 de ce livre blanc, une version revue et augmentée, qui contiendra de nouvelles propositions. En filigrane, c’est la réindustrialisation, mais aussi l’industrialisation sur certains secteurs porteurs, que nous voulons promouvoir à travers ce premier livre blanc, et ceux qui suivront.
Vous évoquiez tout à l’heure la nécessité de rapprocher les jeunes de l’industrie. Quelles sont vos propositions sur ce sujet ?
Nous voulons toucher encore plus de jeunes et les ramener vers le monde de l’industrie. Il faut absolument que ce soit des jeunes qui présentent ces métiers aux étudiants, pour une raison simple : il est plus facile de communiquer cette passion de la science et de l’industrie en étant de la même génération. La transmission est plus évidente. Dans la même veine, nous sommes beaucoup plus présents sur les réseaux sociaux depuis quelques mois, pour être plus proches du jeune public et de ses pratiques.
Les écoles d’ingénieurs doivent également évoluer pour s’adapter aux enjeux actuels. Comment faire ?
Les enjeux pour les écoles d’ingénieurs sont multiples : il faut d’abord que ces écoles se financent, car elles sont aujourd’hui très dépendantes de leurs contrats de recherche avec les entreprises. Les programmes de développement d’avenir, impulsés par l’Etat, participent également à donner les moyens aux écoles de se financer.
Le second enjeu est de revoir le modèle économique des écoles d’ingénieurs, pour ne plus être dépendants et il faut faire évoluer les modèles économiques et les rationaliser.
Il faut également que les écoles restent attractives pour les jeunes. Pour le moment, il y a un déficit d’enthousiasme et d’engagement à l’école sur ce point-là. Il faut absolument faire évoluer les choses sur ce point, il s’agit d’ailleurs d’une proposition de notre livre blanc, qui consiste à proposer aux conseillers pédagogiques de passer du temps dans les usines avec des ingénieurs. Le but est d’inverser cette tendance qui voit de moins en moins de jeunes taper aux portes des écoles d’ingénieurs. Il est notamment fondamental de faire revenir les filles vers la filière scientifique qui suite à la réforme du bac « désertent » cette filière !
Dernier point : si nous arrivons à inverser la tendance, nous aurons une nouvelle problématique, avec la disparition progressive des classes préparatoires, qui représente aujourd’hui un véritable problème pour les années qui viennent.
Autre sujet d’importance, la formation tout au long de la carrière. Quelles sont les propositions de l’IESF sur ce sujet ?
Il faut que les nouveaux ingénieurs acceptent d’être en formation tout au long de leur vie. C’est clairement l’enjeu pour les carrières de demain. L’évolution des technologies, du management, des envies des jeunes ingénieurs, doit absolument s’accompagner de processus de formation tout au long de la carrière, qui donneront aussi aux salariés des armes supplémentaires sur le marché de l’emploi.
Pour terminer, pensez-vous que la prise de conscience autour des difficultés de l’industrie française est réelle aujourd’hui dans le pays ?
Il faut absolument se réveiller sur ce qu’est aujourd’hui la réalité industrielle française. En effet, aujourd’hui, le PIB français industriel par habitant est de 6000 euros. En Allemagne, c’est plus du double. Pour rattraper ce retard, il va falloir, sur le long terme, réparer les erreurs faites depuis des décennies en termes de désindustrialisations, de délocalisations, d’éducation, pour redonner à notre pays un outil industriel de premier rang dans le concert mondial.
Propos recueillis par Yves Valentin, directeur général de Techniques de l’Ingénieur, et Pierre Thouverez, journaliste.
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