La pandémie de Covid-19 nous a pris de court et poussé dans une course à l’adaptation. À l’échelle personnelle ou professionnelle, les appels vidéo par Zoom, Google Meets, WhatsApp ou FaceTime se sont lourdement installés dans nos routines de tous les jours. Mais se retrouver par écran interposé n’est pas toujours la plus gaie des perspectives ! La réalité virtuelle et les environnements virtuels sont une alternative intéressante, quoique peu adoptée par tous. Où en sont ces solutions numériques ? Quel en est l’intérêt ? Et quelles en sont les limites ?
Déjà en février 2019, Fortnite avait rassemblé plus de 10 millions de joueurs autour d’un concert virtuel donné en live par DJ Marshmallow ; toujours sur sa plateforme, le jeu en ligne phare (du studio américain Epic Games) accueillait, le 23 avril 2020, soit en pleine crise sanitaire, le rappeur Travis Scott, qui s’est produit en direct pour le plus grand plaisir de 12,3 millions de joueurs. On peut alors imaginer que la communauté internationale des “gamers” a été pionnière. Mais dans un esprit plus “grand public”, de l’autre côté de l’océan Atlantique, la tendance n’a pas tardé à trouver preneur dans l’Hexagone : le 21 juin 2020, à l’occasion de la Fête de la Musique, un concert virtuel de Jean-Michel Jarre, organisé sur l’application VRchat (un réseau social en réalité virtuelle), réunissait près de 600 000 internautes. Le musicien français a même récemment annoncé un show semblable pour fêter le Nouvel An. Un point commun entre ces événements : s’incarner en avatar virtuel 3D, dans un environnement virtuel 3D, pour écouter du son 3D.
La vallée de l’étrange
Autre similitude : à moins que vous n’ayez une orange moustachue en guise de tête ou que vous ne ressembliez à un ours en peluche chamailleur en combinaison rose, les avatars virtuels ne sont pas du tout fidèles à la réalité. “Ce qui compte le plus n’est pas tant l’aspect graphique mais la dynamique d’interaction, précise Indira Thouvenin, enseignante-chercheuse à l’Université de Technologie de Compiègne et spécialiste des environnements virtuels. En dépit d’un avatar à l’aspect simple, la dynamique d’interaction peut être chaleureuse.” L’explication réside dans une théorie : celle de l’“uncanny valley” ou, en français, “la vallée de l’étrange”. “Selon cette théorie, si l’utilisateur remarque que quelque chose cloche dans l’apparence d’un avatar censé être réaliste, il va tout de suite arrêter d’y croire, poursuit la chercheuse. Et donc, si on cherche à avoir des représentations très réalistes, mais forcément imparfaites, on risque de tomber dans la vallée de l’étrange, ce qui fait que l’on risque une rupture de cohérence. C’est une opposition entre crédibilité et réalisme. La stratégie à préconiser est alors de rester bien au-dessous de ce qu’on perçoit comme réaliste !”
Mais la vision ne fait pas toute l’expérience. “La voix transmet énormément de choses, rappelle Indira Thouvenin. Même quand l’avatar ressemble à un personnage de dessins animés, on y croit en reconnaissant la voix de la personne qu’il représente”. Ainsi, la chercheuse raconte son séjour virtuel à la conférence ISMAR (IEEE International Symposium on Mixed and Augmented Reality), dans son édition 2020 organisée en novembre sur la plateforme de réalité virtuelle VirBELA : “Les participants étaient en immersion dans un amphithéâtre virtuel. Mon avatar portait une longue robe verte, avait les cheveux violets et les yeux verts. Les avatars ne nous ressemblaient pas, mais mes collègues et moi nous sommes reconnus et y avons “cru” grâce à la voix”.
Le sens du toucher est un élément supplémentaire qu’Indira Thouvenin cherche à incorporer dans les interactions en environnement virtuel. “Notre équipe de recherche travaille avec l’ISIR [Université Pierre et Marie Curie, NDLR], plus particulièrement avec Catherine Pélachaud, directrice de recherche CNRS, sur l’interaction entre l’humain réel et un humain virtuel qui a les caractéristiques d’un agent conversationnel, intégrant de l’intelligence artificielle, et qui va venir toucher la personne utilisatrice”. Techniques de l’Ingénieur avait abordé ce projet dans un précédent article, publié en avril 2020. “À cause du Covid-19, nos recherches ont été retardées, déplore la chercheuse, notamment en ce qui concerne le système tactile. Mais nous avons quand même bien avancé sur la modélisation de l’IA”.
Des maquettes d’avions, aux assistants virtuels
Nous voilà qui sommes bien loin de l’ambiance fiévreuse des concerts, de l' »entertainment » et du ludique… Allons jusqu’au bout de cette séparation et parlons “vie pro” ! Le secteur aéronautique n’a pas hésité à s’emparer de la réalité virtuelle, même avant l’an confiné 2020. “Pour construire un Airbus par exemple, complète la chercheuse, les maquettes virtuelles 3D sont très utiles pour le “concurrent engineering”. Qu’on soit dans un bureau français ou italien, et qu’on travaille ensemble à la construction d’un Airbus, il faut pouvoir le visualiser en réalité virtuelle. Sur cette maquette virtuelle, les industriels vont même jusqu’à réaliser des tests d’ergonomie, à l’aide d’un mannequin virtuel 3D. Ces tests et ces collaborations se font entièrement à distance, en utilisant la CAO [conception assistée par ordinateur, NDLR] et la réalité virtuelle”.
Mais ce qui constitue “un peu le Graal”, selon Indira Thouvenin : “Nous pouvons imaginer qu’un jour il sera possible d’envoyer son assistant virtuel à des réunions virtuelles. Quand on se représente soi-même, on pilote son propre avatar. Mais en intégrant des modèles d’IA, il est possible de rendre cet avatar semi-autonome voire autonome et lui donner des comportements beaucoup plus réalistes, tel un assistant virtuel”.
En quête de plus de tolérance
Contrairement aux pays d’Asie du Sud-Est, “on peut difficilement considérer le public français comme des “early adopters” de l’innovation”, regrette Indira Thouvenin. “En France, il y a beaucoup de défiance et de méfiance envers les nouvelles technologies, souligne la chercheuse. Et les banques ne financent pas l’innovation comme c’est le cas à la Silicon Valley. À peine avons-nous le temps de suivre les startups françaises émergentes, qu’elles sont rachetées ou vendues.” La chercheuse donne l’exemple de Mimesys, une entreprise franco-belge dont la solution de réalité mixte permet de manipuler des objets virtuels avec son propre clone virtuel. Cette société a été rachetée en mai 2019 par l’américaine Magic Leap : “Et depuis, Magic Leap l’a mise en stand-by, affirme Indira Thouvenin. Bien sûr, le marché n’est pas toujours prêt à accepter l’innovation”.
Mais la chercheuse n’est pas pessimiste pour autant : “Alors que dans les années 90, lorsque les employés de Siemens, aux Etats-Unis, avaient été traités de cyborgs quand on les voyait tester les premiers casques de réalité augmentée, poussant la firme américaine à mettre fin à son projet, nous avons vu s’opérer un changement positif il y a quelques années. C’était en 2014, lorsque Facebook a racheté Oculus VR [pour 2 milliards de dollars USD, NDLR].” Selon une étude d’Idate DigiWorld, 330 000 casques de réalité virtuelle ou augmentée (AR/VR) se seraient écoulés en France, en 2019, soit une hausse des ventes de près de 65 % par rapport à l’année passée. Avec un total de 8,5 millions d’unités vendues dans le monde en 2019, cela placerait la France au 6ème rang du marché mondial. Les Etats-Unis seraient en tête, suivis par le Japon, la Chine, le Royaume-Uni et l’Allemagne.
Techniques de l’Ingénieur organise le 21 décembre, à 15h, le webinar “Mieux se retrouver à distance grâce à la réalité virtuelle”. Notre invitée sera Indira Thouvenin.
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