L'ancien directeur de la BCE propose trois axes pour rendre l'industrie européenne compétitive sur la scène mondiale. En plus de combler l'écart d'innovation avec les États-Unis et la Chine, il préconise un plan d'action pour la décarbonation et la compétitivité, et de réduire la dépendance vis-à-vis des ressources critiques.
Un document très attendu, qui fait suite à celui d’Enrico Letta sur l’avenir du marché unique. Mario Draghi a remis son rapport sur l’avenir de la compétitivité de l’UE à la Commission européenne. L’ancien directeur de la BCE (Banque centrale européenne) dresse un constat alarmant du décrochage économique de l’UE, principalement en raison du ralentissement de la productivité en Europe. Un chiffre illustre à lui seul la situation : sur les deux dernières décennies, le PIB (Produit intérieur brut) a reculé de plus de 15 % par rapport à celui des États-Unis. L’UE dispose tout de même de plusieurs atouts pour inverser la tendance. Trois principaux domaines d’action sont identifiés pour transformer ces points forts en une industrie européenne productive et compétitive sur la scène mondiale.
Premier axe, et c’est le plus important : l’Europe doit combler l’écart d’innovation avec les États-Unis et la Chine, en particulier dans les technologies avancées. Car pour l’instant, les entreprises restent principalement spécialisées dans des technologies matures, notamment automobiles, où le potentiel de percée est limité. Même si elles ont raté le virage de la révolution numérique menée par Internet, une nouvelle fenêtre d’opportunité s’ouvre à présent grâce à l’IA (Intelligence artificielle). Elle pourrait permettre à l’UE de corriger ses lacunes en matière d’innovation et de productivité, et de restaurer son potentiel manufacturier.
Pour y parvenir, le rapport recommande de créer une Union de la recherche et de l’innovation pour mener une stratégie et une politique communes dans ce domaine entre les États membres. En parallèle, il est essentiel de consolider les institutions universitaires européennes à la pointe de la recherche mondiale. Des mesures doivent aussi être prises pour soutenir la difficile transition entre l’invention et la commercialisation, notamment en levant les obstacles bureaucratiques dans la gestion des droits de propriété intellectuelle.
Le deuxième levier sur lequel agir concerne la mise en œuvre d’un plan d’action commun pour la décarbonation et la compétitivité de l’économie. Certes, l’Europe a des objectifs climatiques ambitieux, mais ceux-ci doivent s’accompagner d’un plan cohérent pour que la décarbonation soit une véritable opportunité pour l’UE, sinon elle risque d’aller à l’encontre de sa compétitivité et de sa croissance. Le rapport prône par exemple la création d’une véritable Union de l’énergie afin que les décisions et les fonctions de ce marché transfrontalier soient prises de manière centralisée.
Un plan d’action industriel pour le secteur automobile
L’Europe devrait également recentrer son soutien à la fabrication de technologies propres, en se concentrant sur celles pour lesquelles elle dispose d’un avantage et d’un fort potentiel de croissance, notamment dans le domaine des batteries. Même si l’UE est un leader mondial dans plusieurs technologies propres telles que les éoliennes, les électrolyseurs et les carburants à faible teneur en carbone, Mario Draghi pointe du doigt qu’il n’est pas certain qu’elle conserve cette longueur d’avance face à la concurrence chinoise. À court terme, il préconise de mener un plan d’action industriel pour le secteur automobile dans le but d’éviter une délocalisation radicale de la production hors du territoire européen.
La sécurisation et la réduction des dépendances face aux ressources critiques est le troisième domaine d’action à mettre en œuvre. Elles sont une condition préalable à une croissance durable, face à la montée des risques géopolitiques qui peuvent soudainement interrompre les échanges commerciaux. Pour limiter ses vulnérabilités, l’UE doit développer une véritable politique économique étrangère et à court terme mettre en œuvre rapidement la loi sur les matières premières critiques (CRMA pour Critical Raw Materials Act, CRMA). Le rapport recommande de compléter cette loi par une stratégie globale couvrant toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement en minéraux critiques, de l’extraction au recyclage en passant par la transformation.
L’UE doit également exploiter son potentiel de ressources nationales par l’exploitation minière, le recyclage et l’innovation dans les matériaux alternatifs. Contrairement aux combustibles fossiles, elle dispose de gisements de certaines matières premières critiques, comme le lithium au Portugal. Les dépendances stratégiques s’étendent également aux technologies critiques et notamment au secteur des semi-conducteurs. Si la construction de grandes fonderies paraît irréaliste en raison des niveaux d’investissement requis, l’Europe devrait maximiser ses efforts conjoints pour renforcer l’innovation et sa présence dans les segments des puces les plus avancés.
Pour atteindre tous les objectifs de ce rapport et ses 170 propositions, un investissement supplémentaire annuel minimum de près de 800 milliards d’euros est nécessaire, soit entre 4,4 et 4,7 % du PIB de l’UE. Pour le financer, Mario Draghi prône la création d’une Union des capitaux, afin que l’épargne privée puisse être canalisée dans toute l’Europe.
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