Créée en 2010 par des spécialistes de l’acoustique sous-marine utilisée à des fins de défense, l’entreprise bretonne Quiet-Oceans se consacre au développement de technologies de modélisation et de mesure du bruit sous-marin destinées quant à elles aux États, mais aussi aux industriels de la mer. Objectif : permettre à ces acteurs de lutter contre une forme de pollution longtemps restée dans l’angle mort du législateur et pourtant particulièrement néfaste pour la faune marine.
Hydrocarbures, nitrates, ou encore matières plastiques. En mer, les polluants ne manquent pas. D’autant qu’à ces éléments bien palpables s’ajoute une pression anthropique sur les écosystèmes aussi intangible que pernicieuse : le bruit. Dans de nombreuses zones océaniques, l’environnement sonore du mal nommé Monde du silence s’apparente en effet plus à celui des abords d’une autoroute ou d’une zone de chantier qu’à l’ambiance feutrée d’une chambre sourde. En cause : la navigation des bateaux[1], certes, mais aussi les activités de prospection d’hydrocarbures en mer ou encore l’implantation d’éoliennes offshore.
« Il existe deux types de dangers acoustiques pour les espèces marines », explique le directeur commercial du leader européen de l’acoustique sous-marine Quiet-Oceans, Carl Bois, qui poursuit : « Il y a d’une part les bruits ponctuels d’une forte intensité, qui peuvent – comme c’est le cas pour les humains à terre – faire perdre aux animaux leurs capacités auditives de façon temporaire ou définitive. Une forte émission de bruit peut même tuer certains animaux marins… D’autre part, un second danger est constitué par le bruit continu, notamment le bruit de la navigation maritime, des “autoroutes de la mer”, qui empêche les animaux d’utiliser leurs capacités de communication et de repérage par le son : l’écholocalisation ».
Des connaissances scientifiques relativement récentes
Ce vacarme constant peut ainsi mettre en danger de très nombreuses espèces, comme le souligne le directeur commercial de l’entreprise implantée à Plouzané, près de Brest ; l’une des figures de proue du collectif Bretagne Ocean Power : « Au fil des découvertes de la recherche scientifique, on s’aperçoit que pratiquement toutes les espèces sont sensibles au bruit, y compris les plus improbables… Les coquilles Saint-Jacques, par exemple ». Une prise de conscience dont les origines remontent au milieu des années 1990, avec – notamment – la publication par W. John Richardson et ses collaborateurs de l’un des ouvrages de référence sur le sujet : Marine Mammals and Noise.
Comme le note dans un article paru en 2004[2] la professeure de droit Karen N. Scott, « un certain nombre de chercheurs ont [depuis lors] établi un lien entre [des cas] d’échouages multiples (et souvent mortels) et les essais des sonars militaires de l’OTAN et des États-Unis » : en Grèce, en 1996, mais aussi aux Bahamas en l’an 2000, ou encore sur les côtes des Îles Canaries en 2002. Et l’enseignante-chercheuse de souligner qu’en dépit de l’attention accrue portée par les scientifiques au problème du bruit des océans, « la pollution acoustique marine a fait l’objet de relativement peu d’attention réglementaire au niveau mondial ».
Un cadre réglementaire défini il y a peu
Les lignes ont toutefois fini par bouger, comme l’explique le directeur commercial de Quiet-Oceans Carl Bois : « Les moyens financiers mis par l’OTAN pour tenter d’établir un lien entre échouages et utilisation de sonar à des fins militaires ont contribué au progrès de la connaissance. Cela a conduit à la prise en compte de cet aspect dans la réglementation, notamment, en Europe, avec la directive-cadre Stratégie pour le milieu marin de 2008 ». Un texte transcrit en droit français, et qui prévoyait, en substance, le maintien ou la restauration, en 2020 au plus tard, d’un « bon état écologique » du milieu marin par les États membres de l’UE.
Pour y parvenir, la directive-cadre a notamment établi une série de onze « descripteurs » définissant cette notion de bon état écologique[3]. Des descripteurs parmi lesquels on trouve la biodiversité, les contaminants, ou encore les déchets… mais aussi, donc, le bruit sous-marin, considéré depuis lors comme une véritable pollution[4]. Un changement de statut qui est ainsi directement à l’origine de la création de Quiet-Oceans.
Des origines militaires
« Quiet-Oceans est née il y a 13 ans, en 2010, sous l’impulsion de fondateurs déjà actifs au préalable dans le domaine du bruit sous-marin, mais sous un angle militaire. Jusqu’à la publication de cette directive-cadre, l’acoustique sous-marine restait en effet cantonnée au domaine de la défense », retrace Carl Bois. La mise en place d’un cadre réglementaire autour de la pollution acoustique sous-marine a donc poussé ces spécialistes de la modélisation du bruit sous-marin et de l’instrumentation marine à mettre leurs compétences à profit en dehors des applications militaires. « Le développement de l’entreprise a suivi l’évolution de notre clientèle : d’abord les services de l’État, que nous avons accompagnés dans la mise en place de la réglementation, puis les industriels de la mer au sens large, tels que les entreprises des énergies marines renouvelables, mais aussi les acteurs de la navigation et des travaux maritimes », décrit le directeur commercial de Quiet-Oceans. L’entreprise mène ainsi aujourd’hui, de front, une quarantaine de projets, et s’implique par ailleurs dans des projets de recherche aux côtés d’universités et de centres de recherche, ou encore d’ONG. « Notre développement a aussi été guidé par la mise en place de technologies nouvelles », ajoute Carl Bois. Première d’entre elles : une plateforme de modélisation du bruit sous-marin, baptisée Quonops.
Prévoir et mesurer le bruit sous-marin
« La plateforme de modélisation du bruit Quonops est l’outil que nous utilisons le plus en Europe. Cette brique technologique nous permet en effet de fournir des cartes de bruit sous-marin, que ce soit pour les États ou les industriels de la mer. Ces cartes leur sont en effet notamment utiles pour élaborer leurs études d’impacts », résume Carl Bois.
Outre ce premier pilier sur lequel s’est bâtie Quiet-Oceans, l’entreprise a enrichi sa palette d’outils avec d’autres briques technologiques, toutes exclusives. « Le bruit sous-marin est un marché en développement, qui reste pour l’heure un marché de niche. Très peu d’outils sont donc disponibles sur étagère. Nous avons ainsi développé nos propres systèmes, et les faisons évoluer au fil de leur mise en œuvre sur le terrain », justifie Carl Bois.
Quiet-Oceans a ainsi notamment mis au point il y a peu une autre technologie propriétaire, baptisée SmartPAM, pour « passive acoustic monitoring ». Reposant sur un système de bouées, la technologie permet essentiellement de contrôler les niveaux de bruits effectifs et même de suivre la fréquentation d’une zone par la faune marine. « Tout cela en temps réel », souligne le directeur commercial de l’entreprise bretonne.
« L’objectif peut varier en fonction du pays dans lequel la technologie est déployée. En France, par exemple, on s’assure de l’absence de mammifères marins dans une zone de travaux, pour éviter de leur faire subir des impacts acoustiques. En Allemagne, l’approche consiste plutôt à fixer un seuil limite de bruit : lorsque l’on construit, par exemple, un parc éolien, une limite de 160 dB à 750 mètres est fixée. Nous mettons donc en place des bouées qui permettent de détecter en temps réel un éventuel dépassement de seuil », précise M. Bois. L’une d’elles est par exemple restée en service pendant près de quatre ans, dans le cadre d’un chantier côtier réalisé à Monaco. « Sur la base de la même électronique, nous sommes aussi en mesure d’installer des systèmes plus légers, en bordure de quai par exemple », ajoute le directeur commercial de Quiet-Oceans, avant de dévoiler un axe de développement sur lequel travaillent également l’entreprise et sa vingtaine de collaborateurs : la mesure du bruit des navires. « Cela devrait permettre d’apporter de la connaissance aux armateurs et les aider ainsi à réduire le bruit de leurs flottes », entrevoit Carl Bois.
Des développements technologiques qui se poursuivent
Enfin, outre cette première piste, Quiet-Oceans explore par ailleurs un second axe de développement technologique et vise le développement d’un système de modélisation non plus du bruit sous-marin en tant que tel, mais de son évolution en fonction des différentes mesures de gestion possibles. « Par exemple l’exclusion des navires d’une zone donnée, ou la réduction de leur vitesse », illustre Carl Bois. « Nous cherchons à modéliser les effets de ce type de mesure sur le bruit, afin de permettre à nos clients de choisir les plus efficaces », ajoute finalement le responsable. Autant d’outils qui pourraient ainsi s’ajouter d’ici peu à l’arsenal de lutte contre la menace pernicieuse qu’est le bruit sous-marin.
[1] Bruits des moteurs et autres éléments liés à leur propulsion, mais aussi impulsions sonar.
[2] Accessible dans son intégralité : https://www.mmc.gov/wp-content/uploads/scott.pdf
[3] La définition du bon état écologique est révisée tous les 6 ans. En France, cette définition a été revue en 2019 par arrêté ministériel du 9 septembre 2019. Source
[4] La France reconnaît le bruit sous-marin comme une forme de pollution depuis 2010 (loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 Chapitre V, Article 166). Cette reconnaissance est ainsi inscrite dans le code de l’environnement (Chapitre 9, Section 2 « Protection et préservation du milieu marin »). Source
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