Techniques de l’Ingénieur : Quel est votre parcours professionnel ?
Lionel Ranjard : Mon parcours professionnel n’a pas été très linéaire. J’ai commencé dans la biologie des populations, puis la chimie et la biologie végétale avant de me spécialiser dans l’écologie et notamment l’écologie microbienne des sols. Je viens d’une formation universitaire assez fondamentale et travaille depuis plus de 20 ans à l’INRAe où j’ai essayé d’adapter les concepts d’écologie fondamentale aux sols agricoles pour mieux définir leur qualité et leur capacité de résilience.
Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la microbiologie des sols ?
J’ai réalisé que l’écologie était beaucoup plus intégratrice pour expliquer les processus naturels d’un écosystème et j’ai donc naturellement évolué vers ce domaine. Et mon attrait pour la matrice « sol » vient du fait que c’est une frontière biotique où presque tout est encore à découvrir : les microorganismes, les processus de régulation et de résilience. Il y a donc de nombreux challenges scientifiques à relever avec un enjeu sociétal fort pour réhabiliter son image.
Quelle est la situation actuelle et les enjeux concernant les sols en général et les sols agricoles en particulier ?
Le sol est un des principaux réservoirs de biodiversité de notre planète et à ce titre il rend de nombreux services en tant que support de la production agricole et solution pour le stockage du carbone. L’enjeu principal est de faire un état des lieux de la qualité des sols d’un point de vue biologique afin de dresser un premier bilan et dans un deuxième temps d’orienter les modes d’usages et pratiques associés pour améliorer la qualité du sol et ses capacités à rendre les services d’intérêts. Ceci devrait permettre de développer des modes de production plus agroécologiques et à même de produire autant, avec une empreinte environnementale moins négative due à la réduction de l’utilisation des intrants chimiques et de la mécanisation.
Quel est l’intérêt de la microbiologie du sol pour l’agriculture ?
Les microorganismes sont partout, ils sont les plus biodiversifiés et surtout ce sont les seuls à pouvoir minéraliser la matière organique. Ils sont donc à la base de la fertilité du sol, mais aussi de sa stabilité structurale et de ses capacités de dépollution et même de protection des cultures. Si on préserve voire pilote la qualité microbiologique des sols grâce à des pratiques agricoles adaptées, cela permettrait petit à petit de limiter l’usage des intrants chimiques et des techniques d’entretien du sol qui sont démontrées comme étant assez agressives et peu durables.
Quelles solutions existent déjà ou sont à développer pour diagnostiquer l’état biologique des sols ?
De nombreux bioindicateurs microbiens sont actuellement développés ou en cours de développement. Il y a une véritable explosion de ce marché avec des choses rigoureuses et d’autres un peu moins. La plupart du temps il manque des référentiels d’interprétation, ce qui limite la capacité de diagnostic. A ce stade il est important de privilégier les indicateurs qui ont fait l’objet de publications scientifiques internationales.
Quels sont les bénéfices attendus de la prise en compte de la qualité biologique des sols pour l’agriculture ?
La qualité biologique des sols est un paramètre très important car elle rend compte de l’empreinte environnementale des pratiques d’usage des sols et par là même elle est synonyme de leur durabilité. Plus précisément si la qualité biologique d’un sol agricole est bonne cela veut dire que l’agriculteur pourra compter sur le fonctionnement biologique du sol pour assurer la production de son système en devenant de plus en plus indépendant des intrants chimiques et de la mécanisation.
Quelle est la place de la France dans ces développements ?
La France est parmi les leaders européens sur les études concernant la microbiologie des sols à grande échelle et sur le développement d’indicateurs de qualité microbiologique des sols. Cela s’explique par le développement de réseaux de surveillance des sols nationaux depuis une vingtaine d’années et grâce à un investissement fort des instituts de recherche publique.
Quels sont vos projets actuels et futurs ?
Mes projets sont de trois ordres :
- continuer l’exploration de la microbiologie des sols français grâce au réseau de mesures de la qualité des sols qui couvre tout le territoire national afin de mieux comprendre la régulation de ces communautés d’un point de vue fondamentale et voir leur évolution en fonction du changement climatique.
- Développer de nouveaux indicateurs microbiens de la qualité des sols basés sur les fonctionnalités des microorganismes en complément des indicateurs d’abondance et de diversité.
- Aborder des échelles territoriales pour mieux évaluer les pratiques agricoles et leur durabilité en fonction des contextes pédoclimatiques et des objectifs de production. Cette partie de ma recherche est déployée soit de façon académique soit de façon participative en travaillant directement avec des groupes d’agriculteurs et de viticulteurs.
Quelles compétences et qualités sont, selon vous, indispensables en général et plus particulièrement sur vos domaines d’expertise ?
Le sol étant au centre des débats scientifiques et sociétaux, les chercheurs des instituts publics ont un rôle important à jouer pour apporter des données scientifiques rigoureuses et fiables, et ainsi faciliter la compréhension et les échanges entre les différents acteurs concernés. Donc en termes de compétences, il y en a plusieurs :
- La rigueur : comme pour tout domaine de recherche, la rigueur est nécessaire pour apporter des données fiables.
- L’esprit critique : pour analyser et prendre du recul sur son propre travail comme sur celui des autres.
- La créativité et originalité : pour trouver des solutions innovantes, il faut savoir sortir des sentiers battus et créer des nouveaux liens pour enrichir la connaissance.
- Le sens de la communication (auprès de différents publics) : pour être capable de partager les savoirs, et faciliter la compréhension et les échanges entre différentes parties prenantes, notamment sur des sujets sociétaux en pleine ébullition comme la qualité des sols !
Que vous apporte la collaboration avec Techniques de l’Ingénieur, en tant qu’auteur et conseiller scientifique ?
Cela me permet de transférer plus directement les connaissances scientifiques académiques aux futurs utilisateurs qui sont demandeurs des avancées de notre recherche.
Cet article se trouve dans le dossier :
Préserver la qualité des sols : pourquoi et comment ?
- La microbiologie du sol au service d'une société durable : diagnostics et solutions innovantes
- Lionel Ranjard : préserver la qualité microbiologique des sols permettrait de limiter les intrants chimiques et techniques d’entretien du sol
- Des résidus de pesticides persistent dans les sols de toute la France
- Trois scénarios pour une agriculture européenne sans pesticides en 2050
- Piéger la chlordécone dans le sol pour limiter la contamination des plantes
- Politiques publiques et préservation des sols : liens et perspectives
- Le citoyen au service de la qualité biologique des sols
- Enfin une réglementation pour les sols ?
- Les potentialités de stockage de carbone dans les sols agricoles
- Les indicateurs de biodiversité du sol au service de la transition agroécologique
- La qualité des sols en France : état des lieux
- L'écologie du sol
- Infographie : Les sols au service d’une société durable
- Préserver la qualité des sols : pourquoi et comment ?
Dans l'actualité
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- L’efficacité des vers de terre face à l’antibiorésistance des bactéries
- Quels sont les enjeux de la chimie de demain ?
Dans les ressources documentaires
- Produits biosourcés issus des ressources végétales
- Agriculture de précision - Étude des variabilités spatio-temporelles des agrosystèmes
- Impact des pratiques viticoles sur la qualité biologique des sols : bilan des connaissances internationales
- Biocontrôle : pour une agriculture compétitive et durable
- Bioremédiation des sols