HYVIA, coentreprise entre Renault Groupe et PLUG fondée en 2021, fait partie des entreprises françaises sélectionnées pour bénéficier du PIIEC européen, qui vise à accélérer certains projets identifiés comme porteurs pour le développement d’une filière hydrogène au niveau européen.
Mehdi Ferhan, Directeur général en charge des opérations chez HYVIA, a expliqué à Techniques de l’Ingénieur la stratégie de l’entreprise pour devenir un leader sur le marché des véhicules utilitaires à hydrogène, dans un contexte de mise en place par l’Europe des briques pour développer une véritable filière européenne autour de l’hydrogène.
Techniques de l’Ingénieur : Quels sont les enjeux aujourd’hui autour du développement de la mobilité hydrogène pour Hyvia ?
Mehdi Ferhan : L’hydrogène vert pour la mobilité constitue à lui seul un écosystème, avec sa chaîne de valeur. Cela concerne les véhicules, mais aussi les piles à combustible, les stations de recharge, et la production d’hydrogène à partir d’électrolyseurs. Il s’agit donc de développer cet écosystème dans son ensemble, et c’est la raison d’être d’HYVIA.
Aujourd’hui, HYVIA dispose d’une usine à Flins pour l’assemblage des piles à combustible et d’un site partenaire, PVI, situé à Gretz-Armainvilliers, pour l’intégration des piles à combustibles sur les Renault Master H2-TECH. C’est sur ce dernier site que sont fabriqués les Renault Master H2-TECH dont la version Van « grand fourgon » vient d’être homologuée pour l’ensemble du marché européen.
Hyvia a été sélectionnée pour bénéficier du PIIEC européen sur l’hydrogène. Dans quelle mesure cela va-t-il accélérer le développement de l’entreprise ?
Le PIIEC hydrogène est un des mécanismes mis en place au niveau européen pour accélérer le développement de la chaîne de valeur autour des technologies hydrogène.
L’ambition étant de mettre en place au niveau européen toutes les briques technologiques qui constitueront une filière à part entière, sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’hydrogène, notamment en développant de nouvelles technologies.
Dans le cas d’HYVIA, qui a été notifié de sa sélection à l’automne dernier[1], le PIIEC va permettre de mettre en place tout l’écosystème nécessaire à la production de piles à combustible, produites sur le site de Flins, où HYVIA vient d’ailleurs tout juste d’installer son premier électrolyseur livré par PLUG. Cela consist dans un premier temps à l’assemblage des systèmes à pile à combustible puis à l’intégration réalisée dans les véhicules. Cette accélération est donc également un moyen de favoriser la réalisation d’opérations industrielles localement, sur les territoires.
Dans une seconde étape, ces développements vont se matérialiser par la construction d’une gigafatory, qui sera en mesure de fabriquer des piles à combustibles à l’échelle industrielle, pour un marché du véhicule utilitaire léger qui devrait décoller dans les prochaines années.
Quelles sont les étapes qui vont aboutir à la mise en route de cette gigafactory ?
La mise en place de cette gigafactory s’inscrit dans un processus par étapes. Nous avons démarré au mois de mars 2022, par l’inauguration de notre usine pilote à Flins : les premiers 3500 mètres carrés d’infrastructure industrielle nous permettent d’assembler une première génération de systèmes à pile à combustibles PEM « ProGEN », délivrant une puissance de 30 kW.
Ces piles sont vouées à s’intégrer dans des systèmes de propulsion hybrides. L’architecture des véhicules, que l’on appelle “dual power”, est constituée de la pile à combustible d’un côté, avec des bonbonnes stockant de l’hydrogène à 700 bars, et également d’une batterie, ce qui permet de bénéficier de différents modes de propulsion et de recharge. Ceci est très important pour proposer des véhicules dont l’utilisation ne soit pas uniquement dépendante de l’hydrogène. En effet, les infrastructures de recharge en hydrogène ne sont pour le moment pas suffisamment déployées sur le territoire, et cela ne doit pas brider l’usage des véhicules. L’idée est donc de pouvoir faire une recharge en électricité quand la recharge en hydrogène n’est pas possible, tout en conservant un véhicule zéro émission. Tout cela constitue la première étape pour HYVIA. Aujourd’hui, le site de Flins dispose d’une capacité de production de 1000 systèmes piles à combustible par an.
Et sur le plus long terme ?
D’ici à 2030, l’objectif pour l’entreprise est d’être un des leaders européens du véhicule utilitaire à hydrogène, avec une ambition chiffrée. Nous voulons capter 30% du marché sur le véhicule utilitaire à hydrogène d’ici à la fin de la décennie. En cela, l’usine pilote de Flins constitue la première brique qui doit nous mener, d’ici 7 à 8 ans, à l’ambition que je viens d’évoquer. La seconde brique est la gigafactory, qui nous permettra de massifier la production, et de localiser les technologies nécessaires au déploiement de tout l’écosystème hydrogène sur le territoire, aux niveaux français et européen.
Comment va s’opérer le déploiement de votre flotte de véhicules utilitaires à hydrogène ?
Nous allons passer par un déploiement de nos véhicules utilitaires par le réseau Renault, dans un premier temps. Ce réseau est constitué de concessionnaires agrémentés du label PRO+ avec une gamme de services adaptés aux professionnels. Ce réseau opère en France, mais également dans des pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas, qui sont très actifs en matière de décarbonation par l’hydrogène. L’étape suivante consistera à poursuivre ce déploiement européen en passant par la Grande Bretagne, l’Espagne, le Portugal, les pays scandinaves, la Suisse, la Pologne, et la République Tchèque… d’ici à deux ans, l’objectif sera donc de déployer dans une douzaine de pays européens des capacités de commercialisation, mais aussi d’assurer la maintenance et tous les services associés : réparation, mise à disposition de véhicules de prêt, pièces de rechange, recharge via de stations à hydrogène… le tout en restant compétitifs, bien sûr.
Quels sont les freins persistants au développement de la mobilité hydrogène ?
Une des problématiques spécifiques à notre activité est aujourd’hui de créer le marché en apportant toutes les briques. Nous sommes au début de l’aventure des véhicules à hydrogène, il est donc difficile de prévoir exactement comment va évoluer la demande de la mobilité hydrogène. A l’heure actuelle, nous disposons de technologies robustes et éprouvées, notamment grâce au savoir-faire de PLUG sur cette molécule. D’ailleurs la plupart des solutions ont déjà été industrialisées dans le domaine du transport logistique des marchandises . Néanmoins, pour les rendre disponibles au plus grand nombre dans le secteur de la mobilité, il existe encore un certain nombre de verrous technologiques, économiques et réglementaires notamment. Le déploiement de la filière européenne est par exemple un grand défi : nous avons besoin de partenaires, de fournisseurs ayant une expertise automobile, afin de développer nos technologies avec les standards automobiles bien connus pour les moteurs thermiques. L’objectif est également de développer cette filière localement, au niveau européen, à des fins de compétitivité, mais aussi dans un souci de limiter notre empreinte environnementale tout en renforçant notre autonomie.
L’ambition européenne, à travers les grands programmes de décarbonation, notamment Fit for 55, est très importante. Cela bouleverse le paysage automobile, et rend particulièrement attractives les solutions de propulsion à l’hydrogène comme celles proposées par HYVIA. A un niveau plus local, les réglementations concernant par exemple les zones à faibles émissions (ZFE) qui vont se mettre en place progressivement dans les centres-villes des grandes villes, puis dans les zones périurbaines, vont nécessiter des solutions palliatives aux véhicules thermiques. Là aussi, nous pensons qu’HYVIA peut se faire une place de leader, notamment sur tout ce qui touche aux cas d’usage de la livraison de matériel et de colis, notamment sur la problématique du dernier kilomètre.
Pour terminer, quelle est votre stratégie en termes de formation aux nouveaux métiers liés aux technologies hydrogène ?
Chez HYVIA, nous avons un questionnement permanent sur ce que seront les compétences clés dont nous aurons besoin dans les années qui viennent pour développer la mobilité hydrogène. L’hydrogène est un gaz qui nécessite d’être appréhendé de façon sécuritaire, avec tous les moyens de contrôle qui sont développées autour de son usage. Créer les métiers de demain au sein de cette filière est donc un enjeu énorme.
Sur le site de Flins, cela fait deux ans que des ouvriers, opérateurs, ou techniciens, qui évoluaient pour certains depuis plusieurs années au sein de l’usine de Renault, ont migré chez HYVIA pour poursuivre leur carrière. Nous les avons accompagnés dans des parcours de formation pour leur permettre de développer des compétences en rapport avec les nouvelles technologies de l’hydrogène. Certains ont même eu l’opportunité de se rendre chez notre autre partenaire, PLUG, aux Etats-Unis, pour se former spécifiquement aux techniques de montage des piles à combustible.
Toutes ces actions nous permettent de développer des parcours de formation spécifiques à l’hydrogène et qui respectent les standards liés à l’automobile, pour préparer les ressources dont nous allons avoir besoin dans les prochaines années.
[1] 2022
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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