Créée en 2012, Afyren a développé un procédé de fermentation anaérobie permettant de produire, à partir de biomasse, sept acides gras volatils aux applications multiples : nutrition humaine et animale, cosmétique, lubrifiants… Produits jusqu’alors à partir de pétrole, ces composés peuvent donc désormais l’être à partir de substrats tels que les coproduits de betteraves. Une matière première qui sera à la base de la première usine d’Afyren, construite en Moselle. Baptisée Neoxy, son démarrage est prévu pour le début de l’année prochaine. Jérémy Pessiot, fondateur de l’entreprise et aujourd’hui directeur général délégué, nous présente ce projet plus en détail, nous dévoile le fonctionnement du procédé fermentaire sur lequel il repose et revient, tout d’abord, sur les origines d’Afyren, dont l’introduction en bourse a eu lieu en septembre dernier.
Techniques de l’Ingénieur : Avant de présenter en détail la technologie que vous avez développée, pouvez-vous revenir sur les origines d’Afyren ?
Jérémy Pessiot : La société a été créée en 2012 et a nécessité, au préalable, plusieurs années de R&D pour mettre en place la preuve de concept. Le point de départ a été l’Université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand, où j’ai fait mes études et mes stages. L’idée qui nous suit depuis les débuts est celle de valoriser des déchets, de donner de la valeur à des produits qui n’en ont pas, pour en faire de l’hydrogène par un procédé de fermentation anaérobie. Mais nous nous sommes rendu compte assez vite que faire de l’hydrogène seul allait être compliqué : comparée à la voie chimique, ou l’électrolyse qui se fait classiquement, la voie biologique n’allait pas permettre de tenir la route économiquement. Il fallait donc valoriser également un autre produit de notre procédé de fermentation : le carbone et plus précisément les acides gras volatils (AGV).
Quand on fait de l’hydrogène, on produit forcément, en parallèle, des AGV. Le problème est que les deux voies sont antagonistes. Nous cherchions donc, au départ, à retirer ces acides gras pour pouvoir produire de l’hydrogène. Mais au moment où nous nous sommes rendu compte que la valorisation de l’hydrogène n’allait pas suffire, nous avons décidé de changer notre fusil d’épaule, en valorisant uniquement les AGV. Et nous avons bien fait… Notre procédé biologique se révèle tout à fait compétitif sur le plan économique face au pétrole, matière première qui est aujourd’hui à la base, à plus de 99 %, de tous ces acides, par le biais de divers procédés. Nous avons quant à nous un seul process pour en produire sept. Là où il faut sept usines différentes en pétrochimie, une seule installation suffit avec notre procédé.
Après avoir pris conscience de tout cela en 2012, nous avons développé le procédé à l’échelle du laboratoire : entre un demi-litre et un litre de jus de fermentation. Ensuite, au fil des années, nous avons réalisé deux choses en parallèle : le parcours financier, mais aussi le scale-up à partir de 2014, c’est-à-dire passer de l’échelle du laboratoire au pilote, soit à une échelle de l’ordre du mètre cube. En 2016 nous avons triplé notre capacité fermentaire et avons notamment travaillé les aspects extraction et purification. L’année suivante, nous avons fait un grand pas en passant à l’échelle de 70 m³. On a donc validé le fonctionnement du procédé en cuve beaucoup, beaucoup plus grosse ; et cela nous a permis de lancer les études industrielles pour la construction d’une usine, mais également de produire des dizaines de kilos d’acides pour les faire valider à des clients. Depuis 2018-2019, nous avons donc pu sécuriser des ventes en vue de la construction d’une future usine…
Quelles sont les utilisations possibles de ces acides ?
Les acides que nous produisons ont des propriétés de conservation, que ce soit pour l’alimentation humaine ou la cosmétique. En nutrition animale, ils peuvent remplacer certains médicaments, notamment l’acide butyrique qui permet de réguler le transit et apporte un bien-être intestinal aux animaux. Il existe également des applications dans la chimie, pour produire des médicaments. Ils peuvent également entrer dans la composition de lubrifiants destinés, par exemple, aux véhicules électriques ou aux moteurs d’avions ; ou encore être utilisés comme arômes ou parfums, pour apporter un côté fruité, beurré… Ces acides ont donc déjà des marchés énormes, qui représentent 13 milliards d’euros pour l’ensemble de notre portefeuille ; mais il s’agit également de building blocks, ou molécules plateformes, qui peuvent être facilement dérivées par voie chimique en d’autres familles de produits. On va ainsi pouvoir toucher d’autres marchés et d’autres applications. On peut par exemple transformer l’acide acétique en acétate d’éthyle, qui est le solvant des vernis à ongles. Cela montre la diversité des marchés que l’on peut toucher et la valeur ajoutée que l’on peut avoir. Nous travaillons donc aujourd’hui, certes, sur les acides, mais également sur les dizaines de dérivés possibles, en vue de futurs projets industriels.
Comment le procédé fermentaire que vous avez développé fonctionne-t-il précisément ? Quels sont ses principaux intérêts ?
Notre technologie est à contre-courant de ce qui se fait classiquement dans le domaine des biotechnologies. D’habitude, c’est la stratégie du « triple un » qui est adoptée : on associe un substrat avec un microorganisme, pour faire un produit. Notre procédé repose quant à lui sur un cocktail de microorganismes naturels, qui permettent de produire sept acides gras volatils, de 2 à 6 carbones, de l’acide acétique jusqu’à l’acide hexanoïque. Le tout à partir de plusieurs substrats issus de déchets, contrairement aux biotech classiques qui se basent sur un seul substrat, généralement un sucre, comme du glucose ou du saccharose, et concurrencent ainsi les filières alimentaires humaines. Notre philosophie de base étant justement de ne pas concurrencer ces filières, nous nous sommes donc tournés vers les déchets ; en l’occurrence, de la biomasse lignocellulosique, dont les prix se révèlent, en plus, compétitifs.
Par ailleurs, dans les biotech classiques, le substrat simple, le sucre, est très souvent associé à un microorganisme génétiquement modifié. On va par exemple lui insérer un gène pour qu’il permette la synthèse du bon produit. Cela peut poser un problème éthique, que je ne juge pas personnellement, mais aussi et surtout financier : ces microorganismes sont beaucoup plus sensibles et le scale-up très délicat. Nous sommes donc vraiment partis de « l’inverse » de ce que font généralement les biotech : des déchets plutôt qu’un sucre ; plusieurs microorganismes naturels au lieu d’un seul organisme génétiquement modifié ; et non pas un, mais plusieurs produits.
Un autre point qui nous différencie est l’aspect anaérobie de la réaction. Souvent, les procédés des biotech sont réalisés en présence d’oxygène, dont la répartition homogène dans une très grande cuve n’est pas facile à obtenir techniquement. Cela peut donc aussi constituer un frein au scale-up. Quand nous avons commencé, beaucoup de biotech qui avaient vendu beaucoup de rêve et levé beaucoup de fonds se sont effondrées… Même s’il faut rester humble et prudent, je pense que nous devrions, quant à nous, réussir à marier écologie et économie grâce à notre technologie. Notre procédé permet en effet de diminuer de 80 % les émissions de gaz à effet de serre par kilo de produit par rapport au pétrole, comme l’ont montré des analyses de cycle de vie réalisées par des cabinets indépendants. Nous avons également une boucle en eau totalement fermée. Du process que nous avons imaginé pour notre future usine Neoxy, basé sur des coproduits de betterave, ne vont sortir que les acides purs à plus de 99 % et un engrais contenant les résidus de fermentation, qui va pouvoir revenir au sol et boucler ainsi la boucle de l’économie circulaire.
Où en est, justement, ce projet d’usine que vous évoquez ?
Nous avons lancé le projet de l’usine Neoxy en 2018. Aujourd’hui, la fin de la construction approche : elle est prévue pour fin décembre. Le démarrage devrait avoir lieu début 2022, au plus tard au deuxième trimestre. L’objectif est de produire 16 000 tonnes d’acides par an, à partir de mélasses et de pulpes de betteraves. Cela représente un investissement de plus de 60 millions d’euros et plus de 60 personnes seront nécessaires pour faire tourner cette usine. L’installation est située sur la plateforme pétrochimique de Carling Saint-Avold, en Moselle, ce qui nous permettra d’y apporter un peu de « vert ». Nous avons également choisi cette implantation car elle se situe en pleine région betteravière ; nous pourrons donc nous approvisionner en matière première à 100 – 150 kilomètres de l’usine. Beaucoup de nos clients sont basés au Benelux, nous serons donc également bien placés en étant à 3 kilomètres de la frontière allemande.
L’idée est de faire cette première usine en France, puis de dupliquer ce modèle à l’étranger. Nous avons testé des dizaines de substrats différents : maïs, pomme de terre, mais également déchets d’abattoirs et d’ordures ménagères. Tout ce qui peut fermenter peut entrer dans le procédé. La seule limite est économique et réglementaire.
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