Créée en janvier 2021, Mecaware est une société industrielle de production de métaux stratégiques.
La start up a mis au point une innovation de rupture de chimie combinatoire dynamique, en exploitant la synergie entre le captage du CO2 et le recyclage des métaux critiques issus de batteries en fin de vie et des rebuts de production (scraps) des gigafactories.
Arnaud Villers d’Arbouet, Président de Mecaware[1], a expliqué à Techniques de l’Ingénieur l’innovation derrière le procédé innovant et vert développé par Mecaware, et l’importance pour la filière européenne du véhicule électrique, de posséder des acteurs performants sur toute la chaîne de valeur sur le territoire européen, seule manière de limiter notre dépendance aux acteurs asiatiques, notamment pour la fourniture des métaux composant les batteries.
Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous nous raconter la genèse de l’innovation de rupture à l’origine de Mecaware ?
Arnaud Villers d’Arbouet : A l’origine, le professeur Julien Leclaire, mon associé, a mené à l’université de Lyon des travaux sur la captation, le stockage et la valorisation du CO2, et plus particulièrement sur les systèmes industrialisés qui permettent de faire la captation du CO2 avec des amines. En effet, quand un effluent gazeux passe dans des amines, ces derniers ne retiennent que le CO2, et pas les autres gaz.
Lors de cette opération, les molécules d’amines et de CO2 vont s’associer, non pas en une molécule amine/CO2, mais en toutes les formes possibles d’association amine/CO2 : cela se produit de manière spontanée, et le système formé reste en équilibre. Julien Leclaire a donc cherché à voir comment il était possible de donner de la valeur à cette opération. Il s’est rendu compte que le système moléculaire constitué par toutes ces formes d’association amine/CO2 avait des affinités chimiques avec certains métaux, notamment ceux liés à la transition énergétique.
Après avoir travaillé sur les possibilités d’extraction de ces métaux, avec des résultats très intéressants, il a donc proposé des pistes d’utilisation, sous plusieurs angles et dans plusieurs domaines d’activité différents.
Dans quelle mesure le procédé développé est-il vertueux écologiquement ?
Nous avons très peu d’effluents en sortie de procédé. Après avoir mis en solution les métaux, dans un environnement où le CO2 est mobilisé, le scénario d’extraction est basé sur des modifications des caractéristiques physicochimiques du flux, pour s’adapter aux conditions de précipitation d’un des métaux qui est dans le flux. En réalisant l’extraction de cette façon, très peu de produits chimiques sont mobilisés pour l’extraction, ce qui diminue drastiquement la quantité d’effluents en sortie. Ces opérations sont également réalisées en milieu basique (pas d’utilisation d’acide). Cela nous permet de ne pas avoir de composante industrielle sur site destinée au retraitement des effluents, ce qui n’est pas le cas pour les procédés classiques. C’est grâce à cela que nous sommes en mesure de proposer une solution industrielle sur le site où se trouve le gisement de matière.
Enfin, nous produisons des carbonates, ce qui signifie que nos produits ne contiennent pas de sulfates qui sont très nocifs pour l’environnement.
Pourquoi s’être orienté sur le recyclage des métaux contenus dans les batteries ?
Moi qui venait du monde de l’environnement et qui était spécialisé dans l’économie circulaire, j’ai très rapidement, lors ma rencontre avec Julien Leclaire, vu l’intérêt de la technologie qu’il a développée pour adresser la problématique de l’accès aux métaux critiques et leur remise sur le marché. Cette période correspondait aussi aux prémices de l’émergence de l’industrie européenne des batteries, raison pour laquelle nous avons donc choisi cet angle de développement.
Nous avons commencé à nous pencher sur des chimies de batterie NIMH (nikel métal hydrures), qui contiennent des terres rares comme les lantanides, ainsi que du nickel, du manganèse et du cobalt. Nous avons commencé à travailler là-dessus parce que la technologie était prête pour adresser directement ce gisement.
C’est à ce moment que nous avons lancé Mecaware et mis en place notre premier démonstrateur, capable de prendre en charge 2 kilos de matière issus de batteries broyées (black mass), pour en extraire les métaux et le graphite.
Vous avez par la suite adapté votre procédé au traitement des batteries NMC.
En effet, pour s’adapter à l’industrie qui se mettait en place et qui à ce moment-là, en 2021, était très focalisée sur les batteries NMC. Nous avons ainsi adapté la chimie pour switcher sur un développement adapté aux batteries NMC.
Au final, nous avons aboutit à une chimie évoluée, fonctionnant sur le principe de valorisation des qualités du CO2 à l’intérieur du procédé de dissociation et d’extraction des métaux contenus dans les black mass des batteries lithium/ion NMC.
Présentez-nous les deux projets dans lesquels Mecaware est impliqué, à la fois sur le traitement des rebuts de batteries produits par les gigafactories, et sur le traitement des batteries usagées.
Nous sommes entrés dans un premier projet structurant, Scrap CO2met, financé par France 2030, dans lequel sont aussi impliquées les entreprises Verkor, MTB, les laboratoires ICBMS de l’université de Lyon et le LEPMI de Grenoble. Avec ces partenaires, nous déployons ce projet pour prendre en charge la problématique des rebuts de production de la gigafactory de Verkor. C’est un projet qui suit son cours à l’heure actuelle, avec côté Mecaware l’installation du pilote pré-industriel, prévu fin 2025 à Béthune (62).
Le second projet structurant, SEPAR8, est accompagné par la région des Hauts-de-France via le Fonds de Transition Juste et est aujourd’hui en phase d’ingénierie. C’est un projet collaboratif avec l’ICBMS de Lyon, le LRCS d’Amiens, et tout un écosystème de sous-traitants qui a pour finalité d’adresser toute la problématique du diagnostic, du démantèlement, de la décharge, du broyage et de la séparation métallique des matériaux des batteries. La partie diagnostic consiste à évaluer la capacité des batteries à être réutilisées, si cela est possible. Le but est de créer un hub vertueux dans lequel toutes les options et toutes les revalorisations sont possibles, soit pour une seconde vie soit pour une revalorisation des matériaux.
Dans ce sens, nous considérons que le déchet qui est sur notre territoire est un déchet riche en matériaux divers et que cette richesse constitue notre matière première, qu’il faut remettre en état et réemployer, sur notre territoire.
Quels sont vos challenges actuels, dans un contexte de turbulences pour la filière ?
Il faut confronter la solution que nous développons aux points d’achoppement actuels des solutions de recyclage conventionnelles opérées par les hydrométallurgistes.
Aujourd’hui, l’hydrométallurgie conventionnelle se fait sur des technologies minières éprouvées, impliquant essentiellement la fabrication de sulfates. Cette dernière pose un problème environnemental majeur sur les problématiques industrielles associées.
Dans les faits, les hydrométallurgistes ont besoin de gros volumes pour atteindre l’équilibre économique, notamment à cause de la nécessité de traiter des effluents. Or, le fait d’avoir des gros volumes, dans une industrie qui toussote un peu, provoque des hésitations chez les uns et chez les autres : d’où l’arrêt de plusieurs projets portés par des industriels de renom.
Dans ce sens, le fait d’avoir développé un procédé qui génère très peu d’effluents à traiter constitue un avantage concurrentiel important.
Les projets de recyclage de scraps et de batteries mis en suspens ou même arrêtés constituent un coup dur pour l’ensemble de la filière.
Ce n’est pas une bonne nouvelle, car le besoin de recyclage et le besoin de remettre sur le marché la quantité de métaux présente dans les déchets sur le territoire européen va rester un sujet d’intérêt prioritaire pour la filière, notamment pour la sécurisation de l’accès à la matière.
Aujourd’hui les acteurs de la filière défendent leur pré carré, c’est normal. Si on prend un peu de recul et qu’on se projette sur l’industrie européenne que l’on a envie de construire, il faut faire en sorte que toutes les briques de la filière industrielle soient performantes : fabricants, constructeurs, supply chain, recycleurs. Il est entre autres très important d’être en mesure de sécuriser la supply chain, et le recyclage est une des composantes de cette supply chain, avec la réextraction des métaux contenus dans les déchets, et la remise en forme de matière active.
Si un des acteurs de la filière est défaillant, cela veut dire que l’on est obligé de recourir à des solutions hors d’Europe. Ce recours, même pour une partie infime de la chaîne de valeur, nous rend dépendants et nous prive de la maîtrise du développement de la chaîne de valeur globale. Ce qui représente un risque.
ll faut donc que tous les acteurs de la filière des véhicules électriques soient à la fois présents sur le territoire et performants.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
Image de une ©MTB
[1] Mecaware
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