Pas d’avenir sans batteries électriques, et pas de batteries sans lithium… L’enjeu stratégique de ce métal pose la question de la souveraineté nationale. Dès lors, faut-il l’extraire du sous-sol français ? Des industriels s’y engagent déjà.
Que ce soit pour nos smartphones ou pour la mobilité électrique, les batteries s’avèrent incontournables dans la construction du monde de demain. La technologie des batteries Lithium-ion a pris le dessus ces dernières années, et pour l’instant rien ne semble arrêter sa forte croissance. D’autant moins que la plupart des scénarios de transition énergétique anticipent un fort développement des usages de l’électricité dans le transport.
Pour ne pas être prisonnier d’importations de lithium et de batteries à l’avenir, l’Union européenne s’interroge sur une stratégie de souveraineté, surtout après avoir raté le coche des panneaux solaires photovoltaïques. En France également, on voit poindre un souhait de prendre la main sur la ressource en lithium. En particulier depuis que des industriels ont annoncé leur volonté d’extraire le précieux métal, dont le prix sur le marché mondial a quasiment triplé depuis l’automne 2021 pour atteindre environ 75-80 euros/kg de lithium (sous forme carbonate ou hydroxyde) en cette fin 2022.
Extractions dans les roches et la saumure
Le groupe Imerys a ainsi fait la Une en annonçant fin octobre un projet dans sa mine de kaolin à Echassières dans l’Allier. Le site de Beauvoir dispose en effet de concentrations et de quantités suffisantes de lithium dans son sous-sol pour le rendre économiquement intéressant. L’ordre de grandeur est de plusieurs millions de tonnes avec une concentration de 0,9 à 1 % d’oxyde de lithium (soit bien moins que les 3,5 % des mines australiennes). L’extraction du mica lithinifère pourrait se faire dès 2028, et sa transformation en hydroxyde de lithium permettrait une production de 34 000 tonnes par an, pendant au moins 25 ans. Imerys veut profiter de ce site déjà exploité pour faciliter l’acceptation du projet, en respectant des normes exigeantes au niveau mondial (IRMA). Concertation avec les parties prenantes, minimisation des impacts sur les habitats naturels par une exploitation souterraine, moindres émissions de CO2 (deux fois moins que des projets similaires) font partie de la panoplie officielle du projet. S’y ajoute un potentiel de mille emplois directs et indirects, ce qui serait une aubaine pour le département. Mais des interrogations restent sur la réalité des impacts environnementaux, en particulier l’eau nécessaire pour isoler et concentrer le mica. Dans cette zone granitique, l’extraction des roches permettrait aussi de valoriser d’autres produits comme le tantale et l’étain. Vu l’important investissement nécessaire pour adapter le site à cette nouvelle activité (Imerys évoque un milliard d’euros), l’évaluation préliminaire du coût de production est entre 7 et 9 euros/kg de lithium. Le gisement du site de Beauvoir est le plus important de France selon le BRGM, loin devant celui de Tréguennec (Finistère) qui se situe dans une zone protégée.
Le groupe Vulcan a également annoncé vouloir installer en France une technologie qu’il déploie déjà en Allemagne dans la vallée du Rhin. Il s’agit de forer à 2 500-3 000 mètres de profondeur pour extraire une saumure ayant une concentration en lithium atteignant jusqu’à 214 mg par litre. L’intérêt de cette profondeur est de récupérer une saumure chaude, à environ 165°C. Une partie des calories est d’abord récupérée pour alimenter un réseau de chaleur (s’il y a des débouchés industriels ou urbains proches) ou un cycle organique de Rankine pour produire de l’électricité. La saumure, qui est ensuite encore à 65-85°C, est nettoyée de certaines impuretés (silice, CO2) et passe dans des filtres de résine pour en extraire du chlorure de lithium. Il n’y a donc pas besoin de la chauffer pour faire ce traitement par séparation physique, ni d’utiliser des produits chimiques comme dans les grands sites de production en Asie et en Amérique du Sud. « Pour l’instant c’est un des rares endroits au monde où on peut trouver une saumure géothermale cochant toutes les bonnes cases : assez chaude et avec peu d’impuretés, suffisamment concentrée en lithium, et avec un débit suffisant. Grâce à cela, nous pourrons mener à bien notre projet Zero Carbon Lithium de production d’énergies renouvelables et de lithium décarboné, à un coût de production estimé pour l’instant à moins de 3 euros/kg, un des plus bas au monde », déclare Vincent Ledoux-Pedailles, directeur commercial de Vulcan Energy Ltd. Une demande d’octroi de permis a été déposée près de la ville d’Haguenau en Alsace, alors que onze sont déjà accordées du côté allemand du fossé rhénan supérieur. Le volume attendu de la production allemande pour quatre permis avoisine les 40 000 tonnes de lithium par an. En France, un premier projet pourrait se concrétiser à partir de 2027, au plus tôt, si toutes les bonnes étoiles, notamment administratives, s’alignent bien.
Empreinte cumulée en 2050
Vu la demande galopante de lithium, Imerys, Vulcan et d’autres n’auront pas de mal à écouler le minerai, même si la valeur de marché retombait à un niveau plus raisonnable, estimée à 30 euros/kg par les professionnels. D’ailleurs, Vulcan a déjà sécurisé la vente de sa future production de lithium auprès de Stellantis et Renault. Si l’extraction de cette ressource se fait dans de bonnes conditions environnementales, sociales et économiques, une autre question restera : les quantités produites suffiront-elles à fournir assez de batteries pour les besoins nationaux ? Supposons prudemment que, pour les deux projets cités en France, la production atteigne 40 000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an, à partir de 2030 et pendant 20 ans. Ce seront alors environ 232 000 tonnes de lithium pur (métal) qui seront disponibles d’ici 2050. L’Association négaWatt a chiffré que pour électrifier totalement le parc actuel de véhicules (nombre, taille et usages identiques), l’empreinte cumulée en lithium pur d’ici 2050 approcherait 330 000 tonnes. Les ressources des projets d’Imerys et Vulcan ne seraient donc pas suffisantes. Un parc de véhicules plus diversifiés (bioGNV, hydrogène, hybride électricité-bioGNV) et plus petits permettrait d’être entre 180 et 200 000 tonnes sur plus long terme (2070). Seul l’ajout d’une sobriété d’usage dans la mobilité conduirait à ne pas dépasser la valeur de 180 000 tonnes, limite que l’Association négaWatt a fixée comme la part allouée de manière équitable à la France au regard de sa population et des réserves prouvées mondiales de lithium. En dessous de ce niveau, les ressources françaises seraient donc suffisantes et pourraient ouvrir la voie à de l’exportation vers les pays dépourvus.
L’extraction du lithium va être stratégique, mais sa logique a tout intérêt à se coupler avec celle d’une modération des besoins, si on veut assurer la soutenabilité à long terme des batteries.
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