La biologie de synthèse qui allie la biologie et l’ingénierie, a pour but de (re)programmer les cellules pour qu’elles améliorent leur rendement dans une tâche précise ou qu’elles accomplissent efficacement une tâche nouvelle. Un des enjeux de cette discipline est donc de contourner les limitations des systèmes biologiques existants. Il est par exemple difficile d’obtenir la même expression des gènes d’une cellule à l’autre même si celles-ci sont cultivées dans un même milieu. Grâce à ces technologies de pointe, les chercheurs parviendraient à contrôler de façon très homogène un processus cellulaire sur une longue période.
Les chercheurs de l’Institut Pasteur et d’Inria, du CNRS et de l’université Paris-Diderot, et de l’IST Austria ont mis au point deux plate-formes connectant un microscope à un ordinateur. Les cellules sont placées dans un dispositif de microfluidique permettant de leur imposer des variations dans leur environnement chimique ou des stimulations lumineuses. Le programme informatique décide des modifications à apporter à l’environnement chimique ou lumineux de la cellule en fonction de son comportement courant et de l’objectif désiré. L’ordinateur gère également l’acquisition d’images par le microscope et leur analyse pour connaitre en temps réel les réponses cellulaires.
Dans le premier article, des chercheurs de l’unité InBio – Méthodes expérimentales et computationnelles pour la modélisation des processus cellulaires (Institut Pasteur / Inria)¹ , et des groupes Biologie des systèmes et de synthèse des réseaux génétiques, dirigé par Călin C. Guet, et Biophysique et neuroscience, dirigé par Gašper Tkačik, de l’IST Austria, ont utilisé l’optogénétique pour activer l’expression d’un gène grâce à une exposition à la lumière. L’utilisation d’une protéine fluorescente permet de mesurer la quantité de protéine produite. Un contrôleur utilisant un modèle du système permet alors de choisir en temps réel les perturbations dynamiques à appliquer en tenant compte du comportement futur des cellules.
Grâce au programme informatique créé par les chercheurs, ceux-ci ont la possibilité de contrôler chaque cellule individuellement de différentes façons, ou de créer des communications entre plusieurs cellules qui font circuler des messages dans un ordre aisément reconfigurable. « Nous sommes parvenus à créer une plate-forme expérimentale nous permettant de concevoir des circuits qui sont partiellement biologiques et partiellement virtuels. Les parties virtuelles de ces circuits peuvent être modifiées arbitrairement pour explorer rapidement des comportements cellulaires divers,allant même au-delà de ce qui était jusque-là biologiquement possible » commente Jakob Ruess, co-premier auteur du premier article.
Dans le deuxième article, Grégory Batt, responsable de l’unité InBio et co-dernier auteur avec Pascal Hersen (CNRS)2 du Laboratoire Matière et systèmes complexes (CNRS/Université Paris Diderot), explique comment ils sont parvenus à amener un système cellulaire dans une configuration instable : « Nous avons conçu un programme informatique qui vise à forcer les cellules à prendre des décisions binaires de manière aléatoire. Pour ce faire, les cellules sont entraînées dans une région d’instabilité – comme des alpinistes sur une ligne de crête – puis on les laisse évoluer librement vers l’une des deux configurations stables possibles. De manière inattendue, nous avons constaté qu’une même stimulation, si elle était bien choisie, était capable d’entraîner et de maintenir des groupes de cellules différentes dans la région d’instabilité. » Ces résultats peuvent aider à mieux comprendre comment des populations de cellules prennent collectivement des décisions robustes sans coordination individuelle.
Les avancées scientifiques décrites dans ces articles ont été rendues possible par l’alliance entre deux disciplines aujourd’hui complémentaires : la biologie et les sciences du numérique. L’étroite collaboration entre l’Institut Pasteur et Inria, formalisée par la structure commune de recherche InBio dont l’objectif est de développer un cadre méthodologique permettant une compréhension quantitative du fonctionnement des processus cellulaires, illustre donc parfaitement l’utilité d’une recherche interdisciplinaire où se mêlent approches expérimentales et développements méthodologiques.
De son côté, l’équipe de Pascal Hersen au Laboratoire Matière et systèmes complexes (CNRS/Université Paris Diderot) combine les outils et les concepts de physique, d’ingénierie, de théorie du contrôle et de biologie synthétique pour établir les fondements de la cybergénétique² .
¹ L’unité InBio fait partie du Centre de bioinformatique, biostatistique et biologie intégrative (Institut Pasteur / CNRS)
² Projet SmartCells, voir http://www.cnrs.fr/insis/international-europe/erc/consolidator/pascal-hersen.htm
Source : cnrs
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