Une nouvelle étude de l’Ifremer montre que les microfibres naturelles ne sont pas si anodines que l’on pourrait le penser. Elles ont des impacts sur les huîtres. En conséquence, il faudrait mieux encadrer le relargage de l’ensemble des fibres anthropogéniques et non des seules fibres synthétiques.
Selon les études scientifiques, environ 2 millions de tonnes de microfibres synthétiques et naturelles sont rejetées dans les océans chaque année. Il a été estimé que 35 % des microfibres qui se retrouvent dans le milieu marin proviennent des effluents de machines à laver. De nouveaux résultats publiés par l’Ifremer dans la revue Environmental Pollution, en collaboration avec le CNRS et les universités de Bretagne occidentales et du Mans, montrent que les fibres synthétiques et naturelles ont des effets sur le métabolisme des huîtres creuses.
Les scientifiques ont observé que les fibres naturelles génèrent une inflammation des parois digestives de ces organismes filtreurs et affectent leur système immunitaire de manière plus importante que les fibres synthétiques. En cause : leur rugosité. Camille Détrée a réalisé cette étude lors d’un post-doctorat au sein du laboratoire des Sciences de l’Environnement marin (Ifremer/CNRS). Aujourd’hui maître de conférences à l’Université de Caen, elle nous explique ces résultats.
Techniques de l’Ingénieur : Quel a été votre mode opératoire pour cette étude ?
Camille Détrée : Nous nous sommes intéressés à l’effet des microfibres naturelles et synthétiques sur l’huître creuse, Crassostrea gigas. Nous avons testé trois fibres naturelles : du coton, de la laine et du coton bio. Elles sont généralement présentées comme biodégradables et moins impactantes pour l’environnement et nous avons voulu le vérifier. Nous avons en plus testé trois microfibres synthétiques, assimilables aux microplastiques : l’acrylique, le polyester et le nylon.
Nous avons exposé nos huîtres pendant quatre jours à une concentration environnementale de 10 microfibres par litre pour savoir si une courte exposition pouvait avoir un impact. Cela correspond à la concentration moyenne retrouvée dans les six bassins océaniques. Nous avons aussi testé une concentration très forte de 10 000 microfibres par litre. Ce « scénario catastrophe » a été mené pour identifier les grandes fonctions biologiques de l’huître qui pouvaient être affectées.
Nous avons ainsi évalué leur capacité d’ingestion et les effets sur la digestion, la réponse inflammatoire, le système immunitaire et plus généralement la réponse au stress. Nous avons pour cela évalué la présence des microfibres dans la glande digestive et dans les fèces, et utilisé des biomarqueurs des grandes fonctions de l’huître. Nous nous sommes enfin intéressés aux composés chimiques associés à ces fibres.
Quelles différences avez-vous observées entre les fibres synthétiques et naturelles ?
Nous avons préparé nos propres fibres à partir de pelotes pour avoir des longueurs moyennes de 100 µm pour des diamètres de 20 à 30 µm. Les huîtres filtrent les particules entre 2 et 200 µm, on voulait s’assurer que les microfibres seraient biodisponibles. Nous avons ensuite exploré l’effet de chaque polymère et de chaque fibre naturelle indépendamment les uns des autres.
On a vu que les microfibres naturelles testées ont un effet plus important sur la digestion et l’inflammation que les microfibres synthétiques. Nous avons fait des tests de rugosité sur ces microfibres : les microfibres naturelles sont plus 2 à 10 fois plus rugueuses que les synthétiques, elles peuvent donc s’accrocher aux parois de la glande digestive et des branchies et générer une inflammation.
Mais attention, cela ne veut absolument pas dire que le plastique est mieux que le naturel. Cela veut dire que dans nos conditions, les microfibres naturelles avaient plus d’effet sur les biomarqueurs testés. Si vous prenez une autre laine ou un autre coton, vous aurez peut-être une rugosité différente, des additifs différents et donc des effets différents. Nous avons vu aussi vu que le polyester avait généré davantage de stress chez les huîtres exposées que les organismes non exposés.
Avez-vous observé une différence d’effets entre les deux concentrations testées ?
Nous n’avons pas vu de différence entre les concentrations de 10 et 10 000 microfibres par litre d’eau. Cela signifie que la concentration actuelle est suffisante pour perturber la digestion des huîtres. Ce n’est pas dramatique dans le contexte étudié, mais cela pose des questions sur une exposition chronique et sur les conséquences que cela peut avoir sur le long terme.
Comment expliquer cette absence de différence ? On suppose qu’il y a eu une réponse comportementale de l’huître, probablement au niveau de la quantité de filtration ou au niveau de l’ouverture valvaire entre les milieux peu et fortement contaminés aux microfibres.
Qu’est-ce que ces résultats impliquent pour vous ?
Ce que l’on veut vraiment mettre en avant est que le problème est général : il faut s’intéresser à tous les débris anthropogéniques. Les fibres naturelles sont traitées, elles ne sont plus vraiment naturelles. On suggère plutôt une réduction de consommation globale et on invite à privilégier la seconde main. Une publication de l’Université de Plymouth réalisée en 2016 a montré que c’est lors des quatre à cinq premiers lavages que les vêtements neufs vont relarguer la majorité des microfibres. S’il y a une limitation de l’achat de neuf, vous diminuez grandement la libération de microfibres.
Dans l’environnement, le coton met un peu plus de 270 jours à se dégrader à 75 %. Sur le synthétique, on est à 4 % sur la même période. Il va rester des dizaines d’années, contre moins d’un an pour le coton. Cela suggère tout de même que les matières synthétiques sont plus biodisponibles que les microfibres naturelles.
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