Le logiciel libre et open source gagne le secteur de l’agriculture où le numérique prend de plus en plus d’ampleur. Pour comprendre les enjeux de l’agriculture libre, nous avons échangé avec Morgan Meyer, directeur de recherche en sociologie des sciences et techniques au CNRS qui a publié ses travaux sur le sujet.
Techniques de l’Ingénieur : Comment peut-on définir l’agriculture libre ?
Morgan Meyer : L’agriculture libre comprend toutes formes de pratiques et de technologies qui visent à démocratiser, libérer et émanciper l’agriculture. En effet, les agriculteurs sont dans un système verrouillé dicté par les industries et les multinationales. Leur lutte se situe à plusieurs niveaux : les équipements, les semences et les logiciels. C’est un mouvement de fond : l’open source fait sens dans ces nouveaux mondes, que ce soit en biologie ou en agriculture.
Pourquoi l’agriculture veut se tourner vers l’open source ?
Des associations développent des logiciels et programmes libres, non propriétaires et privatifs, adaptés aux tâches des exploitations agricoles. Prenons l’exemple des États-Unis où un vent de contestation est monté chez les agriculteurs. Ils étaient frustrés que le fabricant de tracteur John Deere ait verrouillé les systèmes de ses machines. Ils étaient vraiment frustrés car il est légalement impossible de réparer soi-même un tracteur de la marque. Ils devaient alors faire appel à un technicien de l’entreprise ou d’un concessionnaire agréé qui vient avec des logiciels en main pour faire un diagnostic pour voir ce qui pose problème, quelle pièce est cassée. Ce logiciel va permettre de redémarrer le moteur du tracteur, sinon celui-ci ne va pas bouger. C’est une réparation chronophage qui coûte cher. Au début c’était une frustration technique et économique. Maintenant les agriculteurs demandent une Fair Repair Act, une loi qui autorise de réparer soi-même un tracteur. En 2017, les acteurs font pression sur John Deere pour avoir un nouveau cadre – le cas pour Apple également. C’est un gros changement, le combat est toujours en cours. Aux États-Unis, les gens sont un peu pessimistes. En Europe, il y a eu des débats. La Commission Européenne va instaurer un droit à la réparation, qui devrait entrer en vigueur l’année prochaine, en 2021. Ce hacking de tracteur a fait couler beaucoup d’encre.
Du côté du machinisme agricole, on parle également d’auto-construction d’équipements. Est-ce une solution ?
C’est une lutte que l’on a vu apparaître il y a 5 ou 6 ans avec des collectifs comme l’Atelier Paysan, une coopérative française spécialisée dans la conception de matériels agricoles, ou Farm Hack aux États-Unis, Angleterre et Pays-Bas. Ce sont des mouvements qui défendent un certain modèle d’agriculture plus écologique, respectueux, démocratique et moins capitaliste. Ce que je trouve intéressant, notamment dans le cadre de l’Atelier Paysan, c’est qu’ils proposent l’auto-construction de machines agricoles pour les rendre réparables et adaptables. Ils vont faire des tournées de recensement d’innovations paysannes en France, les analyser, les prototyper et essayer de les améliorer. Une fois validées, ils vont diffuser ces tutoriels, descriptions et plans très détaillés, étape par étape, avec le matériel nécessaire pour fabriquer sa propre machine. Mais en même temps, ils ont un positionnement politique qui vise à critiquer une forme d’agriculture jugée trop intensive et destructive, et vont se positionner en faisant référence à l’open source, au “do it yourself”. C’est à la fois un travail technique et éthique.
Le “do it yourself” est également promu dans les semences, comment cela se traduit-il ?
Des réseaux, comme Réseau Semences Paysannes en France dans les années 2000, se sont créés pour permettre d’échanger les semences au lieu de les acheter. C’est une lutte qui est présente en Europe (Espagne et Italie) mais également en Asie et en Amérique du Sud. En Inde par exemple, il y a un historique de lutte juridique et politique pour ne pas empêcher les paysans de cultiver, utiliser et échanger ses propres semences.
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