Le tantale a un aspect banal et un nom issu de la mythologie grecque, ce qui ne laisse en rien deviner l’attention et la tension qu’il génère sur la scène internationale. Nous nous attacherons à décrypter tout au long de cet article cet élément stratégique.
Le tantale, un élément devenu indispensable dans la révolution numérique en particulier et dans l’industrie en général
Cet élément, bien qu’utilisé à l’échelon mondial en quantités nettement inférieures à d’autres métaux (environ 1800 tonnes) tels que le cuivre (environ 20,9 millions de tonnes) ou le fer (environ 2,5 milliards de tonnes), est considéré comme un métal stratégique. Ses propriétés électriques exceptionnelles ont permis de construire des transistors miniatures présents dans les smartphones, les ordinateurs portables, les caméras, etc. et généralement dans tous les appareils électroniques à la pointe de la technologie. Le tantale est donc un élément clé de la révolution numérique que nous vivons actuellement.
D’autres propriétés, de type mécanique et thermique, en font un additif précieux dans la fabrication de superalliages, d’instruments de coupe et de chirurgie dentaire par exemple. Sa biocompatibilité est mise à profit dans les implants médicaux.
En fait, les deux grands domaines de haute technologie consommateurs de tantale sont l’électronique (transistors et couches conductrices dans les TV à écran plat, les têtes d’imprimante et les clés USB) et l’aéronautique, sous la forme de superalliages brevetés et appartenant à des séries telles que celles des Monel(R), des Inconel(R), des Incoloy(R) ou encore des Waspaloy(R)).
Les superalliages utilisés dans l’aéronautique
Afin d’illustrer les propriétés exceptionnelles du tantale, nous nous intéressons à son utilisation dans la fabrication de certaines pièces de turbine de moteurs à réaction, telles que les disques ou aubes. La défaillance de ces pièces peut engendrer la perte de l’avion. Elles doivent donc être construites selon un cahier des charges très exigeant. Nous citerons ici le superalliage « Inconel 718 », à base de nickel et chrome, avec environ 5 % de tantale/nobium.
Les turbines d’avion à réaction subissent de violentes sollicitations au niveau mécanique et thermique car elles endurent le passage des gaz à hautes pressions et hautes températures pouvant monter respectivement jusqu’à 1370 bars et 1200°C [3] (à titre de comparaison : la pression atmosphérique est d’environ 1 bar). Ces sollicitations induisent une fatigue des matériaux par fluage (c’est-à-dire la déformation irréversible du matériau par contraintes mécaniques), par oxydation ou corrosion, ces deux dernières étant des réactions chimiques qui modifient la surface du matériau et parfois même l’intérieur, la fragilisant et provoquant à long terme sa rupture.
Le tantale est un additif, c’est-à-dire qu’il est ajouté en petites quantité dans l’alliage à base de nickel-chrome afin de durcir le mélange d’une part et de le rendre plus résistant à la corrosion chaude (réactions chimiques à haute température en présence d’eau de mer, qui rongent le matériau) d’autre part.
La présence de tantale dans les superalliages permet donc à ces derniers d’augmenter leurs performances mécaniques et chimiques à très hautes températures et pressions, et de répondre aux besoins très particuliers de l’aéronautique.
Le tantale en tant que minerai de conflits
Les ressources de tantale sont réparties dans plusieurs pays : l’Australie, le Brésil, la Chine, le Canada et plusieurs pays Africains, dont la République Démocratique du Congo (RD Congo) et le Rwanda. La grande majorité du tantale (entre 70 et 80% de la production mondiale) provient de la RD Congo. Or, les mines y sont exploitées de manière artisanale, à la pelle et à la pioche. Les conditions de travail des adultes, mais aussi des enfants (mentionnons ici que le droit international des enfants interdit leur exploitation par le travail), sont dénoncées par plusieurs organismes et journalistes [4]. De plus, les bénéfices des ventes de coltan extrait de ces mines congolaises alimenteraient l’achat d’armes servant à entretenir les conflits armés qui sévissent depuis une vingtaine d’années, dont les premières victimes sont les civils.
C’est la raison pour laquelle le tantale, mais aussi l’étain, le tungstène et l’or sont appelés « minerais de conflit ».
Existe-t-il des alternatives au tantale ?
Bien que les propriétés chimiques du nobium et du tantale soient très proches (ils ont le même degré d’oxydation, le même rayon entre autres), ils ne sont pas interchangeables, du moins dans les alliages à base de nickel. En effet, leurs rôles au niveau de la structure cristalline du superalliage dans sa globalité, ne sont pas les mêmes. De plus, le nobium forme un ensemble avec le nickel, appelé phase γ’, qui doit se trouver en quantité contrôlée.
Ainsi, il semble difficile de remplacer le tantale dans les superalliages existants actuellement dans l’industrie aéronautique en particulier, et l’industrie en général. Il semble également difficile de remplacer le tantale dans les transistors miniatures. L’alternative au tantale, si elle existe, ne semble pas concerner les matériaux et produits de consommation existants actuellement.
Une solution par contre au problème du minerai de conflit serait de développer des procédés chimiques plus respectueux de la santé humaine et de l’environnement que ceux actuels (basés sur l’utilisation de mélanges liquides incluant de l’acide fluorhydrique très agressif) et permettant d’extraire le tantale d’autres gisements que ceux du Congo. C’est le cas du « procédé Maboumine » développé par Eramet Research et l’institut de recherche de chimie ParisTech. C’est également l’un des objectifs de l’association internationale Prométia.
Une autre solution serait de changer de paradigme (démarche spécifique à la DeepTech) en recherchant des matériaux innovants ou une conception différente pour créer des objets ayant les mêmes fonctions que celles de nos objets usuels actuels. Cette démarche semblerait logique, bien que radicale, dans l’optique d’un épuisement des ressources terrestres de tantale à l’horizon 2038. Cette démarche résoudrait alors tous les problèmes évoqués précédemment.
[1] Article « Les « terres rares » et autres matériaux critiques et stratégiques, au cœur des conflits de demain ? » rédigé par Jean-François Guilhaudis et Jacques Fontanel
[2] Episode du podcast Cogitons Sciences de Techniques de l’Ingénieur avec Marianna Reyne sur les « minerais de conflit »
[3] Mémoire de thèse rédigé en 2020 par Tom Sanviemvongsak, intitulé « Oxydation et corrosion à haute température de superalliages à base de nickel issus de la fabrication additive »
[4] Article « Le coltan, pour le meilleur et pour le pire », rédigé par Louis-Nino Kansoun pour le site internet écofin
Cet article se trouve dans le dossier :
Matériaux : comment penser l'innovation ?
- Écoutez notre podcast Cogitons Sciences : Guide pour bien choisir ses matériaux [Matériaux, histoire d’une vie #2]
- Quand la recherche fait appel à l’IA pour élaborer de nouveaux matériaux
- Ecoutez notre podcast Cogitons Sciences : Matériaux, durée de vie et fatigue [Matériaux, histoire d’une vie #3]
- Quels matériaux pour les batteries du futur ?
- Écoutez notre podcast Cogitons Sciences : Une industrie accro aux minerais de conflit [Matériaux, histoire d'une vie #1]
- Quels matériaux composent nos smartphones ?
- Le tantale, un élément exceptionnel mais controversé
- Quels matériaux pour l'impression composite 3D ?
- « Valoriser la liberté de conception offerte par la fabrication additive »
- « La fabrication additive sert sur plusieurs étapes des projets »
- « Différents secteurs industriels se mettent petit à petit à la fabrication additive »
- Un hydrogel photosensible imprimable en 3D à l'étude
- Reformer les récifs coralliens en utilisant l’impression 3D
- La production industrielle d'hydrogène vert a besoin de nouveaux matériaux
- Un nouveau matériau pour la production d'hydrogène vert à grande échelle
- Quels matériaux pour un stockage de l'hydrogène plus performant et accessible ?
- « Il faut adapter les matériaux pour des usages à température ambiante » pour stocker l'hydrogène
- Le béton : un matériau technologique faisant l'objet d'une intense R&D
- Trois alternatives durables au béton
- Le végétal dans la construction en forte augmentation ces dernières années
- Ciment sans clinker : la solution d’avenir ?
- XtreeE développe l’impression 3D béton renforcée par des fibres longues
- Produire en France une fibre de carbone économique et biosourcée
- Des composés à base de nitrure de carbone pouvant rivaliser avec les diamants
- Créer des matériaux de la transition à partir de liqueurs noires
- Réduire les coûts d'utilisation des matériaux composites dans le secteur naval
- De nombreuses solutions offertes aux industriels pour remplacer les phtalates
Dans l'actualité
- Écoutez notre podcast Cogitons Sciences : Une industrie accro aux minerais de conflit [Matériaux, histoire d’une vie #1]
- Écoutez notre podcast Cogitons Sciences : Guide pour bien choisir ses matériaux [Matériaux, histoire d’une vie #2]
- « Diviser par 3 le temps de développement de nouveaux matériaux en remplaçant des expériences par des simulations »
- Mecaware : une technologie de rupture pour recycler les métaux et terres rares des déchets technologiques
- Un pilote industriel pour recycler les aimants usagés à base de terres rares et en fabriquer de nouveaux
- Matériaux métalliques : quelles propriétés pour quelles applications ?
- Une nouvelle génération de catalyseurs pour le management thermique en vol hypersonique
- Une méthodologie innovante pour évaluer la criticité des ressources
- Quels matériaux composent nos smartphones ?
- Biomimétisme : une méthode de séparation des terres rares qui exploite des protéines bactériennes
- Numérique : vers une forte hausse de la consommation de métaux ?
Dans les ressources documentaires
- Minerais de conflit utilisés dans l'industrie électronique
- Métallurgie et recyclage du niobium et du tantale
- Corrosion à chaud des métaux et des alliages - État de l’art des moyens d’essai
- Condensateurs électrochimiques et condensateurs films - Technologies et évolution
- Métaux et alliages passivables - Règles de choix et emplois types