Gilles Moreau, co-fondateur en charge du développement durable et de l’innovation partenariale au sein de Verkor, est un expert dans le domaine des batteries. Ayant été tour à tour chef de projet au CEA sur des projets de batteries lithium-ion puis expert piles à combustibles chez 3M puis Renault, entre autres, Gilles Moreau fait partie de l’équipe chargée, en 2020, d’étudier la faisabilité d’une gigafactory de production de batteries sur le territoire français.
Aujourd’hui, Verkor a validé l’intérêt de développer une gigafactory, choisi un site à Dunkerque, où les travaux commenceront dans les mois à venir.
Gilles Moreau, également vice-président de l’association européenne des industriels de la batterie Upcell, a expliqué aux Techniques de l’Ingénieur l’importance de développer sur le sol européen des gigafactories pour produire des batteries tout en développant des process innovants, notamment en termes de traçabilité, de recyclage des matériaux et d’impact carbone.
Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous revenir sur la genèse de Verkor ?
Gilles Moreau : Verkor est issue de l’alliance européenne des batteries impulsée par l’EIT (European Institute Energy). Cet organisme européen a pour mission de faire émerger des start-up innovantes dans le domaine de l’énergie, à l’image de Northvolt par exemple.
L’EIT InnoEnergy a souhaité la naissance d’autres projets de gigafactories en Europe, et a rassemblé des experts des batteries, dans la région de Grenoble. De plus, l’électricité bas carbone, peu chère et sécurisée produite dans l’hexagone, ainsi que les compétences – uniques en Europe – du CEA en électrochimie, constituent une base solide pour se projeter sur une gigafactory en France.
En juillet 2020, une petite équipe a été constituée pour évaluer la faisabilité de cette Gigafactory : constituer une équipe, trouver un terrain, des clients… un an plus tard, nous avions une idée précise du terrain sur lequel construire la Gigafactory, et surtout nous avions réussi à convaincre Renault de nous suivre dans cette aventure. Avoir un client comme Renault est un atout fondamental pour se projeter sur une production de batteries en masse.
Où en est Verkor aujourd’hui ?
Cela fait un an et demi que nous sommes dans l’étape d’exécution du projet, à travers la mise en œuvre d’une ligne pilote, qui nous permet de tester les process, les produits, et qualifier les premiers prototypes qui pourront être inclus dans les véhicules Renault.
En parallèle, nous travaillons sur le site que nous avons choisi à Dunkerque pour construire la Gigafactory, dont les premiers travaux doivent débuter dans deux à trois mois.
Expliquez-nous en quoi la problématique de la durabilité est fondamentale pour développer une industrie de production de batteries pérenne ?
La problématique de sustainability (durabilité) est fondamentale aujourd’hui pour le développement de projets industriels innovants, notamment pour obtenir des financements européens.
Au niveau de Verkor, nous avons identifié quatre piliers qui doivent permettre à l’entreprise de s’installer durablement dans le paysage industriel européen.
Tout d’abord, la traçabilité des matériaux, pour mieux les choisir en fonction de leur origine. Le second pilier est le recyclage : il est important de recycler au maximum, pour être le moins dépendant possible des activités extractives.
Ensuite, l’impact carbone de notre activité est un facteur déterminant qui aiguille notre développement.
Dernier pilier, la formation des talents. Nous nous sommes développés dans un premier temps en allant chercher les talents, notamment en Asie, sur le développement d’usines de batteries. Aujourd’hui, nous voulons développer ce savoir-faire en interne. C’est dans cette optique que nous avons créé, avec des partenaires spécialisés dans la formation, l’école de la batterie, pour former des jeunes amenés à nous rejoindre, où à développer des projets innovants au sein de l’écosystème dans lequel évolue Verkor. Plus cet écosystème sera pérenne, plus les chances de l’entreprise de durer dans le temps seront importantes.
Quels produits seront fabriqués dans la future Gigafactory de Dunkerque ?
Nous développons des cellules de batteries NMC (nickel-manganèse-cobalt) souples (pouch) relativement grosses. On en trouve environ 200 dans un véhicule électrique. Nos batteries ne constituent pas une innovation en tant que telle. Le pari se situe plus sur le fait que la demande pour ce type de batteries existe aujourd’hui, et qu’avant de se projeter sur des batteries innovantes, il faut déjà réussir à répondre à la demande actuelle de manière efficace et durable.
Un facteur important est aussi de réussir à développer en Europe un écosystème performant et durable sur les technologies existantes, pour être compétitif par rapport, notamment, aux acteurs asiatiques.
Quelle est votre stratégie pour vous fournir en matières premières ?
Nous travaillons sur la supply chain existante, c’est-à-dire la Chine, puisque 90% du raffinage se fait là-bas. Au-delà de cette réalité, l’objectif à terme est de se fournir en Europe. Aujourd’hui, les tensions à venir sur la supply chain, au vu du nombre de projets de gigafactories en Europe, sont prévisibles. Dans les faits, il va y avoir une dichotomie très claire entre les acteurs ayant des clients et les autres, pour qui exister durablement sera très compliqué.
Dans les années qui viennent, les fournisseurs de cellules qui vont pouvoir travailler en Europe, sont selon toute vraisemblance : les gros fournisseurs asiatiques déjà connus, et les trois gros fournisseurs européens qui ont déjà des clients : NorthVolt, ACC et Verkor.
Quelles sont les perspectives possibles en termes d’approvisionnement en matériaux pour les fournisseurs de batteries européens ?
La demande concernant ces matériaux augmentant considérablement, de nouvelles sources de lithium, de nickel ou de manganèse sont aujourd’hui en développement, que ce soit au niveau de l’extraction, du raffinage ou de la synthèse. Aussi, une partie non négligeable de ces projets vont voir le jour en Europe, au vu du mix énergétique en grande partie décarboné disponible, et de la demande croissante sur ces matériaux. La relocalisation de ces activités sur le vieux continent est un énorme enjeu pour les années à venir.
Le recyclage des batteries et des matériaux qui les constituent est-il un enjeu de compétitivité immédiat ou de moyen voire long terme ?
Selon moi, le recyclage des batteries est un atout immédiat. Quand on regarde l’industrie du recyclage, on observe qu’une grande quantité de véhicules électriques vont être en fin de vie dans 5 à 10 ans. Ainsi, une grande quantité de batteries vont devoir être recyclées à partir de 2035. Il y a deux façons d’appréhender cette réalité : soit on peut se dire que cela nous laisse du temps, soit on peut se dire qu’il faut s’y préparer dès aujourd’hui.
S’y préparer dès aujourd’hui est la solution que nous privilégions, notamment grâce aux déchets de production directement issus des gigafactories. Ces derniers constituent une source de matériaux plus facilement recyclables que ceux issus des batteries usagées.
Concrètement, une gigafactory consomme environ 60 000 tonnes de matériaux par an. Même en étant très performant, il est impossible d’éviter une perte de matériaux lors de l’usinage, qu’on va estimer aux alentours de 10%. Ce qui fait 6 000 tonnes de matériaux non usinés à retraiter.
Aujourd’hui, la capacité française de recyclage de batteries plafonne à 3 000 tonnes par an. Ainsi, rien qu’en considérant l’activité de notre Gigafactory, il est évident que nous allons nous retrouver très rapidement face à un goulet d’étranglement si rien n’est fait. Il s’agit d’un enjeu immédiat, si on veut éviter de voir nos déchets de production partir en Asie pour être recyclés. Il est donc fondamental, selon moi, qu’il y ait une montée en compétence rapide, au niveau français et européen, sur le recyclage des déchets de production.
Cette montée en compétence facilitera par la suite le développement des compétences sur le recyclage des batteries usagées. Pour résumer, il est important de prendre en marche le train du recyclage des batteries le plus rapidement possible.
Parlez-nous de la réglementation européenne établie en fin d’année dernière concernant la production de batteries sur le sol européen.
La réglementation européenne va obliger d’ici à 2030 les fournisseurs au recyclage des batteries en fin de vie, à l’incorporation de matériaux recyclés dans les batteries, à la traçabilité des matériaux et limiter l’impact carbone de la production. Il s’agit d’une réglementation extrêmement volontariste, puisqu’en 2030 les fournisseurs de batteries ne rentrant pas dans les clous de cette réglementation ne pourront pas vendre en Europe. Le recyclage ne sera alors plus un facteur différenciant entre les acteurs, mais une condition obligatoire pour pouvoir vendre en Europe. De notre côté, nous avons inscrit ces obligations dès le départ dans l’ADN de Verkor, ce qui explique en partie notre position plutôt avantageuse à l’heure actuelle.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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