Après sa formation initiale d’ingénieur en matériaux, Robin Maquet s’interroge sur la manière dont il va pouvoir participer à la transition environnementale. Il décide de s’intéresser aux matières textiles, notamment parce que c’est un ancien skipper, et qu’un grand nombre de celles utilisées sur les bateaux a des facteurs d’émission en CO2 élevé. C’est le cas notamment de la fibre de carbone, de la fibre de verre, du polyester, du polyéthylène… Il commence un travail bibliographique pour étudier la soie d’araignée, puis il s’oriente vers le byssus de moule, car il est originaire de la baie du Mont Saint-Michel. Aujourd’hui, son entreprise développe et commercialise des matériaux biosourcés issus de cette fibre naturellement sécrétée par ce mollusque. Entretien avec le cofondateur et le président de Bysco.
Techniques de l’Ingénieur : Qu’est-ce que le byssus et fait-il déjà l’objet d’une valorisation ?
Robin Maquet : Le byssus correspond à la barbe de la moule. Il s’agit d’une fibre naturellement sécrétée par ce mollusque et qui l’aide à s’accrocher aux rochers. La moule utilise 40 % de son métabolisme pour le fabriquer, à raison de 3 grammes de byssus produit par kg de moules. Cette fibre est divisée en trois parties avec la glande byssogène située à l’intérieur de la moule, les fibres de byssus, et le petit patch collant qui l’aide à s’accrocher. Cette matière a déjà été étudiée en laboratoire et a fait l’objet de plusieurs publications. En Sardaigne, une femme fait du tissage de byssus, mais de manière artisanale. Nous sommes la première entreprise dans le monde à exploiter de manière industrielle cette matière. En France, 4 500 tonnes de byssus sont produites chaque année, et ces volumes sont actuellement destinés à l’enfouissement.
Comment parvenez-vous à fabriquer des matières textiles à partir de cette fibre naturelle ?
Dans un premier temps, nous récupérons chez des producteurs de moules leurs bacs de déchets, à l’intérieur desquels se trouvent le byssus, des coquilles, de la vase, du sable… Nous avons fabriqué une ligne pilote semi-industrielle qui permet la séparation, le lavage et le séchage de la fibre. Un des modules qui la constitue a été fabriqué par l’entreprise Hubert process à Laval. Cette première étape permet de transformer un déchet de l’industrie mytilicole en des balles de byssus destinées à être valorisées.
Ensuite, il y a l’étape de transformation textile. Lors de ma formation textile à l’ENSAIT (École Nationale Supérieure Des Arts Et Industries Textiles) à Roubaix, j’ai commencé à développer un premier prototype de structure textile en byssus de moule. Les suivants ont été développés en partenariat avec l’IFTH (Institut Français du Textile-Habillement). Au final, nous utilisons les mêmes équipements que ceux habituellement utilisés dans l’industrie du textile, sauf que nous avons développé des techniques et un savoir-faire particulier que nous avons brevetés pour y parvenir. Je ne peux pas vous dévoiler plus de détails sur notre technique pour des raisons de propriétés intellectuelles.
Quels sont les avantages et les applications de cette matière textile ?
Comparée à de la fibre de lin ou de chanvre, la fibre de byssus n’est pas cultivée sur des terres et ne rentre donc pas en concurrence avec l’alimentation humaine. Le byssus ne consomme pas d’eau, et quoi qu’il arrive, il est produit, car c’est un sous-produit de la mytiliculture. Il est très léger et possède de meilleures propriétés d’isolation thermique que les autres matériaux biosourcés. Comparé à des textiles synthétiques, il y a juste quelques matériaux qui sont encore plus performants, mais le byssus se situe dans le haut du panier. Sur le plan du confort acoustique, la performance de notre matériau est très bonne et est juste légèrement inférieure au matériau le plus performant dans ce domaine, à savoir la mousse mélanine. Enfin, la fibre de byssus est naturellement ignifuge.
Actuellement, nous avons deux marchés principaux. D’une part, le secteur du bâtiment pour lequel notre matériau est utilisé pour fabriquer des panneaux de confort acoustique, pour le calorifugeage de chaudières, pour l’isolation thermique de volets roulants et de certains équipements utilisés pour la climatisation et le chauffage. Et d’autre part, le marché de la mobilité où notre matériau est utilisé pour l’isolation thermique de vans aménagés et des camping-cars, ainsi que pour fabriquer des planchers de TGV ou pour l’aménagement intérieur des avions.
Où en êtes-vous dans le développement de Bysco ?
Notre entreprise a été créée en 2021 et nous avons installé une première unité de production à Cancale, en Bretagne Nord. Elle nous permet de produire environ 150 kg de fibre de byssus par mois. En septembre 2023, notre ligne pilote semi-industrielle sera fonctionnelle et la production devrait être comprise entre 300 et 500 kg par mois. L’année prochaine, notre objectif est de produire 5 à 6 tonnes de matière fibreuse, qui est ensuite transformée sur les plateformes technologiques de l’IFTH et du CETI (Centre Européen des Textiles Innovants) à Roubaix et Tourcoing. Nous commençons déjà à vendre des petites quantités à nos clients afin qu’ils testent notre matériau.
En parallèle, nous poursuivons notre programme de R&D qui vise à explorer toutes les voies de valorisation du byssus de moule pour le développement de produits, ainsi qu’à réaliser de la recherche industrielle pour augmenter nos capacités de production.
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