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La « laitue de mer », un réservoir prometteur de biomolécules

Posté le 11 décembre 2019
par Sophie Hoguin
dans Environnement

Les ulves, responsables des marées vertes si redoutées pour l’environnement et le tourisme, pourraient devenir une source de différentes molécules d’intérêt grâce à la découverte d’une douzaine d’enzymes d’origine bactérienne permettant de les décomposer.

Les ulves, ces algues vertes couramment désignées sous le nom de « laitue de mer » et qui sont responsables de marées vertes lorsqu’elles pullulent et s’échouent sur les plages, constituent, comme la plupart des espèces d’algues, des réservoirs de biomasse et de biomolécules potentiellement très intéressantes.

Jusqu’à maintenant, le principal problème pour accéder à ces « richesses » était de trouver des moyens de décomposer le végétal. Et, notamment, de découper les polysaccharides qui en forment l’essentiel de la structure. L’un des principaux polysaccharides des ulves est l’ulvane, présent dans les parois des algues et qui représente jusqu’à 30 % du poids sec de ces algues.

Une équipe internationale composée de chercheurs de la station biologique de Roscoff (CNRS/Sorbonne Université), de chercheurs allemands des universités de Brême et de Greifswald, ainsi que de chercheurs de l’université technique de Vienne (Autriche), a élucidé et caractérisé les voies de dégradation complète de l’ulvane par une flavobactérie marine, Formosa agariphila.

Leurs travaux, parus dans Nature Chemical Biology déterminent ainsi qu’il faut pas moins de douze enzymes agissant de manière séquentielle pour convertir l’ulvane en sucres simples et fermentescibles.

Une machinerie très complexe

Les polysaccharides des algues sont décomposés par des bactéries qui fournissent alors une importante source d’énergie pour l’ensemble de la chaîne alimentaire marine. Mais comment se fait cette dégradation, par quelle voie ? Jusque-là, nous n’avions pas de réponse précise et claire. Et on peut dire que le processus de dégradation est particulièrement complexe : dans une série d’étapes extrêmement nombreuses, douze enzymes sont utilisées pour casser les macromolécules en plus petites unités. En utilisant la spectroscopie par résonnance magnétique (RMN) et la spectrométrie de masse, les chercheurs ont déterminé quelles étaient ces unités, révélant les différentes routes chimiques empruntées par ces bactéries pour décomposer l’ulvane. Cela a permis de caractériser et de préciser la fonction biochimique des différentes enzymes mais aussi d’accéder à toute une boîte à outils de nouveaux biocatalyseurs. Parmi les douze enzymes, on retrouve deux polysaccharides lyases, trois sulfatases et sept glycoside hydrolases.

Des débouchés potentiels nombreux

Il faut rappeler que les polysaccharides des algues marines sont chimiquement différents de ceux que l’on trouve dans la biomasse terrestre et nous méconnaissons énormément comment ils sont dégradés. Ainsi, outre les applications biotechnologiques, cette connaissance apporte aussi des informations importantes pour comprendre le cycle du carbone marin, une des grandes inconnues d’aujourd’hui concernant les réelles capacités de stockage du CO2 par les océans et l’impact de la concentration du CO2 atmosphérique sur l’évolution écologique de ceux-ci. Précisons que les algues sont à la base de l’écosystème marin et stockent plus de carbone que toutes les plantes terrestres réunies.

Par ailleurs, cela ouvre la voie à une exploitation biotechnologique de ces algues de manière rationnelle et maîtrisée, l’exploitation pouvant prendre la forme de fermentations autant que de l’isolation de sucres à haute valeur ajoutée comme l’acide iduronique ou le rhamnose sulfaté. Si une partie de ces sucres pourraient servir à la production de bioéthanol, ce n’est pas là le débouché qu’ont en tête les chercheurs car il ne serait pas économiquement rentable.  Aussi, l’intérêt de ces travaux réside surtout dans la possibilité d’accéder à d’autres molécules aux propriétés recherchées pour l’agro-alimentaire, les cosmétiques, la santé ou encore pour une filière de bioplastiques. En effet, les ulvanes ont déjà été identifiées comme ayant des propriétés immunostimulantes utilisables pour la santé des animaux (élevage porcin notamment), des activités phytosanitaires pour l’agriculture ou encore des actions bénéfiques sur la peau.

Une solution pour les marées vertes ?

D’emblée, on peut dire que si la recherche sur l’exploitation en aval des sous-produits des algues vertes a avancé avec ces recherches, l’amont de la filière est plus problématique. A ce jour, les algues échouées sur les plages ne sont pas utilisables pour des applications en biotechnologie, car lorsqu’elles sont récoltées elles sont déjà dégradées. Les biotechnologies nécessitent l’emploi d’algues fraîches. En outre, les marées vertes sont des phénomènes ponctuels dont la récurrence n’est pas toujours prévisible, et donc l’approvisionnement trop fluctuant pour une filière industrielle stable. L’industrie se tourne donc soit vers des solutions de récolte en mer, mais se posent alors des problèmes d’impact sur la biodiversité et l’écosystème marin où se fait la pêche, soit sur des cultures en mer ou en tank. Solutions étudiées dans divers pays à l’échelle industrielle comme l’Espagne ou le Portugal.

Reste alors à poursuivre la prévention des rejets agricoles riches en nitrates et à améliorer notre connaissance du phénomène. A l’instar des nombreuses études qui viennent d’être lancées pour les sargasses aux Antilles (cf. Sargasses: Philippe promet que « l’accompagnement de l’Etat » se poursuivra « dans la durée » et Valoriser les sargasses, une affaire de sciences et de business) et qui visent à comprendre les mécanismes de ces pullulements, les prévenir, organiser la récolte avant échouage ou encore développer une filière solide de récolte, de traitement et d’utilisation en aval (production d’énergie par méthanisation, d’engrais etc.).


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