L’Île de Nantes, bordée par les deux bras de la Loire, héberge les Machines de l’Île. Un éléphant de bois et de métal se balade lentement et arrose de sa trompe un public amusé.
D’autres spectateurs attendent leur tour pour grimper sur un carrousel de 3 étages où tournent inlassablement des animaux marins déroutants et étranges. La Galerie des machines accueille aussi les curieux, et des machinistes leur permettent de manipuler les animaux mécaniques, tandis que l’atelier de fabrication ouvert au grand jour donne l’opportunité de suivre tout le processus de création des machines.
Imaginées par Pierre Orefice et François Delaroziere, les Machines de l’Île est un projet artistique d’envergure avec des structures mécaniques monumentales créé pour accompagner le renouvellement urbain de la pointe ouest de l’Île de Nantes. Les animaux mécaniques sont imaginés et réalisés par la compagnie La Machine, une association fondée en 1999 par son directeur artistique François Delaroziere, afin de fabriquer des décors de théâtre et des machines de spectacles de rue. Depuis, les machines s’exportent et voyagent à Toulouse, Calais, Pékin, Ottawa, etc.
Aujourd’hui, la compagnie travaille sur un nouveau projet, l’Arbre aux Hérons, qui sera situé sur un site proche du centre-ville de Nantes, en bord de la Loire. Benjamin Laurent, architecte de métier, a coordonné la pré-étude de cet arbre gigantesque et revient sur les étapes de création de ce « projet un peu fou », selon ses dires.
Techniques de l’Ingénieur : Qu’est-ce que l’Arbre aux Hérons ?
Benjamin Laurent : Il s’agit d’un arbre de 35 m de haut et 55 m de diamètre, qui contiendra une quinzaine d’animaux mécaniques, des paysages végétaux et des grands hérons qui embarqueront du public. C’est un projet « mouton à 5 pattes » car c’est à la fois une œuvre d’art, une attraction dans laquelle déambuleront le public et les animaux mécaniques, et une œuvre vivante car les structures métalliques seront recouvertes de végétation. L’Arbre aux Hérons est un défi industriel et technique parce qu’il faut savoir produire et monter une structure de cette complexité. Une étude technique a été présentée et le vote du conseil métropolitain déterminera début 2022 si le projet se poursuivra. Sa réalisation est estimée à 52 millions d’euros et est prévue pour 2027.
Comment avez-vous réalisé la pré-étude du projet ?
Le point de départ est toujours un dessin en 2D de François Delaroziere qui fixe les intentions artistiques. Puis nous modélisons cette œuvre en 3D, ce qui a été le travail d’une vingtaine de personnes pendant 3 ans. D’abord, nous avons cherché la silhouette générale de l’œuvre. Pour cela, nous avons dû créer des outils d’automatisation pour ne pas dessiner chacune des branches et les redessiner à chaque fois que nous ajoutions une passerelle ou un animal mécanique. Il y a aussi une recherche de mouvements adaptés. Notre arbre est fixe mais il y aura des animaux dedans donc nous essayons d’en reproduire les mouvements. Ensuite, nous étudions l’arbre partie par partie en croisant des recherches de CAO avec un travail de sculptures en atelier, des scans 3D, des prototypes en acier et des maquettes réduites de toutes les parties.
Quelles que soient les contraintes techniques, il faut toujours garder en tête que notre but est de raconter une histoire, donc les solutions les plus simples techniquement ne sont pas les meilleures. Par exemple, faire tenir notre Arbre aux Hérons grâce à des poteaux serait le plus simple mais nous perdrions l’illusion d’un vrai arbre.
Quels corps de métier travaillent sur ce projet ?
Il existe une très grande variété de profils, et les équipes évoluent en fonction de l’avancée de l’œuvre. Nous travaillons donc avec des dessinateurs industriels, des ingénieurs mécaniques et structures, des sculpteurs, des automaticiens, informaticiens, ingénieurs fluides, géotechniciens, designers, architectes, menuisiers, serruriers, chaudronniers, une maquilleuse etc. Nous allons chercher l’expertise afin de résoudre chaque problématique technique rencontrée.
Quels critères devez-vous prendre en compte pour assurer la sécurité du public et la pérennité de l’œuvre ?
Nous avons travaillé avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) en soufflerie afin de savoir comment appliquer les charges de vent sur notre structure de forme complexe, située au bord de la Loire. Nous avons aussi étudié les végétaux et leur prise au vent puisque nous en aurons 130 types dans l’arbre. Des études techniques avec des biologistes et le service des espaces verts de la ville nous ont aussi permis de choisir les emplacements des végétaux en fonction de leurs conditions climatiques de prédilection, pour qu’il y ait une végétation luxuriante mais qui impacte au minimum la structure.
Concernant la sécurité, nous avons optimisé le temps d’évacuation du public grâce à des simulations numériques, et nous respectons la norme européenne EN 13814 relative aux machines et structures pour fêtes foraines et parcs d’attractions. Il s’agit d’anticiper les comportements déviants que pourrait avoir le public, de calculer le niveau de risque puis de décider s’il faut le réduire ou le supprimer afin d’assurer leur sécurité.
Dans l’Arbre, il y aura aussi des animaux mécaniques. Comment sont-ils construits ?
Nous partons à nouveau des croquis de François Delaroziere et essayons de trouver les mouvements les plus représentatifs des animaux . Puis, nous voyons comment ces mouvements pourraient être générés par les machinistes et/ou les spectateurs. Par exemple, le paresseux va avancer très lentement sur sa branche et sera contrôlé par le public via un volant qui tourne très vite. Le constructeur a trouvé le moyen pour qu’avec un seul mouvement de rotation, toute la machine puisse évoluer et que les pattes fassent avancer le paresseux sur sa branche. Cela nécessite une grosse recherche documentaire à travers des vidéos, des photos, des représentations de squelette de l’animal afin de trouver les points de rotation, les pivots, etc.
Assez rapidement, nous passons en 3D avec un sculpteur qui réalise une interprétation du dessin. Cette maquette permet au directeur artistique de valider l’interprétation du sculpteur, puis elle est scannée. Ensuite, vient la fabrication en atelier avec deux parties : la partie bois et la partie métal. Pour des machines comme l’éléphant, la partie bois est une surface courbe assez complexe, donc nous sommes obligés de procéder strate par strate. Le bois est découpé à la main, assemblé puis poncé, avant d’être traité par une maquilleuse. La partie métallique est souvent la structure interne qui permet de soutenir les coques et la mécanique. Elle est apparente car notre but n’est pas de calquer l’animal mais de reproduire un mouvement. Une fois les coques de bois montées sur la structure, nous programmons les mouvements. La plupart d’entre eux sont contrôlés par des manipulateurs, ce qui permet de favoriser le lien avec le public et de raconter des histoires. Pour des machines comme le Grand Éléphant ou le Dragon de Calais, un mode de ville permet aussi d’avoir un seul manipulateur mais ce n’est pas ce que nous recherchons lors des spectacles.
Comment prévoyez-vous la maintenance sur l’Arbre aux Hérons ?
Nous l’avons divisé entre la maintenance de la structure métallique, du végétal et des animaux mécaniques. Dans chacun de ces sujets, nous avons mis en place des protocoles de maintenance, et identifié des solutions techniques qui permettent d’avoir une durabilité plus importante dès la conception. Les protocoles permettent d’expliquer comment démonter certaines parties et réaliser les opérations de maintenance. Par exemple, pour le paresseux, nous avons prévu un treuil qui permet de le descendre à la branche du dessous afin qu’il soit plus accessible pour changer une pièce, voire le gruter pour l’évacuer. La difficulté que nous avons, c’est que nous ne faisons jamais deux fois la même création donc nous avons un savoir-faire mais nous ne pouvons pas prédire à 100 % comment une pièce va s’user. Il y a néanmoins des périodes de rodage car une fois l’animal mécanique créé, il est présenté dans la Galerie des machines où il sera manipulé par le public pendant plusieurs années. Cela permet de le mettre d’emblée en conditions réelles.
Propos recueillis par Alexandra Vépierre.
Dans l'actualité
- A Nantes, le CSTB fait de nouveau la pluie et le beau temps…
- Les oubliettes des sciences, Chapitre 2 : de beaux robots médiévaux
- David Fofi : « le cobot se nourrit du savoir-faire de l’homme »
- Nawar Zreik : « Le BIM manager est en quelque sorte le gardien des jumeaux numériques »
- La nanostructure du bois vivant enfin révélée : vers des superstructures en bois ?
- Le bois, un biopolymère composite imprimable en 3D
Dans les ressources documentaires