Les télécoms et les circuits intégrés n’ont plus de secrets pour Jean-René Lèquepeys. En 2000, il a obtenu le Grand prix de l’électronique « Général Ferrié » pour ses travaux dans les domaines des télécommunications. Auteur d’une quinzaine de brevets dans ce domaine, il a rejoint le CEA-Leti en 1993, en tant qu’ingénieur R&D, dans le domaine du traitement d’images. Il prend ensuite en charge les projets « Télécoms » de l’institut et devient, en 1999, responsable des programmes « Télécoms, Objets communicants et Carte à Puce ».
En 2010, il a fondé un nouveau département spécialisé en architectures électroniques, conception de circuits intégrés et en logiciel embarqué qui regroupe des compétences clés du CEA-Leti et du CEA-List.
Techniques de l’Ingénieur : L’Intelligence artificielle est de plus en plus exploitée dans les smartphones. À quoi sert-elle ?
Jean-René Lèquepeys : L’IA s’intègre de plus en plus dans les smartphones au travers notamment d’applications liées à l’imagerie, c’est-à-dire à la fois pour la reconnaissance faciale et la prise de photos. Devenant de plus en plus performants, les caméraphones remplacent de plus en plus les appareils photo. Concernant la reconnaissance d’images, il y a différents usages. Le plus connu est bien sûr le déblocage du téléphone. Mais il y a surtout des usages professionnels. Par exemple, les logiciels de radiologie deviennent incontournables, car ils génèrent beaucoup moins d’erreurs dans la détection que les radiologues eux-mêmes. Un système automatisé d’images peut en effet repérer des choses que l’œil humain, même celui avisé d’un expert, ne pourra détecter.
Un des enjeux majeurs est d’aller plus vite dans le traitement, de faire de la reconnaissance à la volée, d’être plus pertinent dans les propositions de filtres pour la prise de vue. Et pour certaines applications de réalité augmentée ou étendue, d’effectuer des traitements plus rapides.
Les smartphones sont également utilisés pour nous fournir des informations sur notre état de santé. Que pensez-vous de ces applications ?
Aujourd’hui, il y a encore beaucoup d’applications et d’appareils « gadget » comme les montres connectées. Ce sont des appareils qui enregistrent, mais qui ne sont pas contraints en termes d’efficacité de la mesure pour être considérés comme des « dispositifs médicaux » avec les agréments nécessaires.
Avec la start-up grenobloise Diabeloop, nous avons mis au point un dispositif pour mesurer le taux de glycémie afin de pouvoir doser la pompe à insuline. Les « systèmes de délivrance automatisée d’insuline » permettent une réelle réduction de la charge mentale quotidienne en toute sécurité. Ainsi le dispositif DBLG1 de Diabeloop régule la délivrance d’insuline en fonction de la mesure continue de glycémie et communique directement avec la pompe via un algorithme hébergé dans un terminal dédié.
L’IA devrait jouer un rôle clé dans la santé, car les dalles des smartphones permettront d’intégrer différents capteurs qui pourront établir des mesures adéquates : rythme cardiaque, saturation en oxygène, taux d’oxygène dans le sang…
Quels sont les autres avantages de l’IA pour la téléphonie mobile ?
Cette technologie va permettre de mieux gérer le signal et le spectre, qui est une denrée rare et pourtant de plus en plus exploitée. Le volume de données que nous produisons ne cesse en effet d’augmenter.
Qualcomm, une entreprise américaine spécialisée notamment dans la technologie mobile, a annoncé que les traitements à base d’IA permettraient d’améliorer les performances des transmissions en allant plus vite tout en étant moins énergivores.
Réduire la consommation des smartphones devient un enjeu majeur ?
Oui. Dans les téléphones, il y a deux composants qui consomment beaucoup d’électricité : l’écran et l’amplificateur de puissance (en particulier lorsqu’on est éloigné d’une antenne). Nous avons travaillé avec la start-up VSORA qui a développé un processeur IA pour les applications pour l’ADAS (véhicules autonomes) et les Télécoms. Aujourd’hui, le machine learning est souvent effectué dans le cloud.
L’objectif est de réduire la consommation en faisant des traitements au plus près de l’utilisateur et via l’Edge computing (informatique en périphérie)*. Il y aura de plus en plus d’applications de localisation avec une précision centimétrique (standard 802.15.4 Z) basée sur l’UWB pour optimiser les connexions.
En intégrant des puces plus performantes et l’IA, les smartphones seront capables de traiter plus de données en « local » ?
Oui. Cependant, dès que la puissance de calcul sera trop importante, le traitement se fera dans le cloud. Mais il faut limiter cet usage, car le traitement du signal génère aussi du CO2 et des ressources abiotiques. Quand nous envoyons 1 Go de données dans le cloud pour traiter une information, nous consommons 1 million de fois plus que si on fait un traitement local. Or, aujourd’hui, le cloud accapare 80 % du traitement des données.
Le gain énergétique pour consommer l’information au plus près de sa source est particulièrement important. Il y a deux ans, le Commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, avait déclaré qu’en 2030, 80 % de nos données seraient gérées en local ou en s’appuyant sur l’Edge computing. Ce nouveau paradigme permettra de réduire la latence, la consommation électrique et de renforcer la souveraineté des données en étant moins dépendants des GAFAM.
* Il s’agit d’une méthode d’optimisation employée dans le cloud computing qui consiste à traiter les données près de la source et non pas dans des data centers éloignés. L’Edge computing réplique des fragments d’information dans des réseaux répartis de serveurs web ou de « mini data centers ».
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