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Jean-Paul Haton : « L’exploitation des données et des bonnes pratiques permet de concevoir des agents intelligents capables de mieux aider l’humain »

Posté le par Jean-Paul Haton dans Informatique et Numérique

DeepSeek vs ChatGPT, intégration multisecteurs, investissement français proportionnel à l'investissement américain... C'est dans un contexte riche en événements et à l’occasion de l'organisation à Paris en 2025 du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle que nous nous sommes entretenus avec Jean-Paul Haton. L'auteur pour Techniques de l’Ingénieur nous a fait part de son regard sur les évolutions, les enjeux et les perspectives de l’IA.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?

Ma formation initiale est en physique, mais j’ai été attiré par l’informatique et l’intelligence artificielle dès les années 1970, en raison des aspects totalement novateurs que présentaient ces disciplines et du défi de mieux comprendre ce qu’est l’intelligence humaine ou animale !

J’ai abordé ce domaine par la reconnaissance de la parole. J’ai eu la chance d’obtenir un poste de professeur des universités en 1974 en informatique à la Faculté des Sciences de Nancy où j’ai effectué toute ma carrière.

L’IA générative, telle que ChatGPT, marque-t-elle un tournant majeur dans l’évolution de l’intelligence artificielle ?

L’IA générative n’est qu’une étape vers la conception d’outils apportant une aide de plus en plus intelligente à l’humain, tant dans ses activités professionnelles que dans sa vie quotidienne. Nous en verrons les limites, et d’autres modèles et méthodes apparaîtront à l’avenir, apportant de plus en plus d’aide à l’être humain et augmentant son intelligence.

L’IA générative n’étant, selon vous, qu’une étape, quelles évolutions imaginez-vous pour l’IA ?

L’IA générative et les grands modèles de langage ne possèdent pas toutes les caractéristiques nécessaires pour conduire à une IA générale comparable ou supérieure à celle de l’humain. Des recherches sont encore nécessaires, notamment en ce qui concerne la compréhension du monde physique (et le bon sens), la capacité de raisonner et de planifier des actions.

Pensez-vous que l’intelligence artificielle a vocation à s’intégrer dans tous les secteurs d’activité ? Quels sont ceux à plus fort potentiel ?

L’intelligence artificielle va en effet intervenir dans la plupart des domaines d’activité : industrie, médecine, droit, notariat, agriculture, armée, enseignement, etc. Dans ces domaines, l’exploitation des données et des bonnes pratiques accumulées au cours du temps permet de concevoir des agents intelligents capables de mieux aider l’humain. Cela implique une formation à l’usage de toutes ces techniques. Les personnes non initiées risquent d’être les laissées pour compte de cette évolution.

En quoi l’IA pourrait-elle être source de croissance et créatrice de richesses ?

L’IA améliore l’efficacité et favorise l’innovation. Elle permet d’automatiser des tâches répétitives. Elle aide aussi la prise de décision par sa capacité à exploiter de très grosses quantités de données. Cette capacité lui donne la possibilité d’innover en suggérant de nouveaux produits ou services. Elle trouve également sa place dans la gestion des stocks et la logistique.

En automatisant partiellement ou totalement certaines tâches, l’IA conduira à la suppression d’emplois, mais elle en créera aussi de nouveaux, plus qualifiés, dans la maintenance, la gestion et l’analyse de données, le développement de logiciels, etc.

Comment contourner les freins, notamment réglementaires, au développement de l’IA (innovations, projets) en Europe ?

Les règlements tels que mis en place par l’Union européenne (RGPD, loi sur l’IA ou AI Act, etc.) s’avéreront de plus en plus indispensables pour que l’IA ne devienne pas un nouveau Far West…, même si ces règlements introduisent des contraintes supplémentaires pour les entreprises. L’UE est pour l’instant bien seule, à quelques rares exceptions près. Mais je pense qu’elle sera suivie à terme, car c’est la seule solution au niveau mondial.

Quels sont, aujourd’hui, les principaux enjeux techniques et éthiques auxquels l’IA est confrontée ? Quels défis majeurs anticipez-vous ?

Je ne crois pas à une intelligence artificielle surpassant l’être humain dans tous les domaines d’activité dans un avenir proche. Néanmoins, il importe dès à présent d’être conscients des enjeux, en particulier éthiques, liés à la généralisation de l’intelligence artificielle dans de nombreux domaines : apparition de biais (sexistes, raciaux, etc.) liés à des biais présents dans les données d’apprentissage, utilisation à des fins discutables (guerres, surveillance des personnes, notation des personnels).

Quel est l’enjeu d’une IA européenne ? Pourquoi est-il important que l’Europe se dote d’une IA qui lui soit propre ?

Tout d’abord, cela permettrait de garantir que les valeurs et les normes éthiques européennes soient prises en compte. On peut ainsi s’assurer que l’IA respecte la vie privée, la sécurité et les droits fondamentaux. C’est le but des règlements élaborés par l’UE, comme abordé dans la question précédente.

De plus, une IA européenne renforcerait l’autonomie technologique de l’Europe. Elle favoriserait une meilleure coopération entre les états membres, en établissant des standards communs et en facilitant le partage des connaissances et des ressources.

Comment développer l’IA, en garder la maîtrise et avec quels moyens (humains, financiers, technologiques…) ?

Cela implique des actions dans différentes directions :

  • définir des principes éthiques et s’assurer que les systèmes développés respectent les droits fondamentaux (comme la loi européenne sur l’IA qui adopte une approche fondée sur les risques présentés par l’IA) ;
  • assurer la transparence des systèmes, permettant à l’utilisateur de comprendre les réponses proposées. Les chercheurs militent pour l’open source dans le cadre plus général de la science ouverte qui revient à rendre public le code source des systèmes. Il s’agit d’un des aspects de la transparence. Il importe également que les systèmes d’IA ne soient pas le monopole de quelques grands groupes internationaux, mais puissent être développés un peu partout dans le monde ;
  • définir des procédures, admises par toutes les parties, de test des systèmes mis à la disposition du public ;
  • assurer la gouvernance permettant de surveiller l’utilisation des systèmes d’IA et de prévenir les abus, de façon à ce que l’IA soit utilisée au bénéfice de tous.

Quels conseils donneriez-vous à un étudiant ou à un jeune ingénieur souhaitant se spécialiser dans le domaine de l’intelligence artificielle ?

Que ce soit dans la recherche ou dans le développement, il faut posséder une solide formation en informatique, avec de bonnes bases en mathématiques et en physique. Je conseillerais donc de commencer en premier cycle par une formation de base de ce type (à l’université ou en école d’ingénieur) et de poursuivre ensuite (en master ou autre type de formation) en se spécialisant dans un des domaines où intervient l’IA (tels qu’imagerie, biologie, neurosciences). Le domaine de la robotique va prendre une importance de plus en plus grande dans les années à venir. Un stage à l’étranger, dans une société ou un laboratoire, permet de se confronter à d’autres façons de travailler.

Que vous apporte la collaboration avec Techniques de l’Ingénieur ?

Je suis un lecteur très ancien des TI ! J’ai tiré profit des articles sur l’informatique lors de la conception de mes premiers cours en tant que nouveau professeur dans une discipline encore bien jeune au début des années 1970.

J’ai ensuite écrit avec plaisir plusieurs articles, appréciant le fait de conjuguer théorie et pratique pour présenter au mieux un domaine à un public très large, ce qui implique d’être suffisamment clair et compréhensible !

Les contributions de Jean-Paul Haton aux Techniques de l’Ingénieur

Professeur émérite à l’Université de Lorraine, Jean-Paul Haton contribue depuis 2000 à Techniques de l’ingénieur, notamment sur l’intelligence artificielle.

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