La Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), qui doit permettre à la France d’atteindre la neutralité carbone en 2050, ne prend pas suffisamment en compte les contraintes de ressources qui pèsent sur sa mise en œuvre. Cette situation est révélée dans une étude inédite réalisée par l’Institut National de l’Économie Circulaire (INEC) et Capgemini Invent. Au-delà du simple état des lieux, le rapport propose une méthodologie de quantification de la criticité ainsi que des solutions en accord avec les principes de l’économie circulaire. Pour mieux comprendre les enjeux de cette vaste étude, nous avons interrogé Emmanuelle Ledoux, directrice générale de l’INEC.
- L’INEC est l’organisme français de référence et d’influence autour de l’économie de la ressource. Il a pour mission de fédérer les acteurs publics et privés afin de promouvoir l’économie circulaire et accélérer son développement.
- Capgemini Invent est la marque d’innovation digitale, de design et de transformation du groupe Capgemini.
- La Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) est la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique, adoptée en 2015 (SNBC-1) et révisée une première fois en 2019 (SNBC-2).
Techniques de l’ingénieur : Cette étude est inédite, car elle associe criticité des ressources et décarbonation. Qu’est-ce qui en est à l’origine ?
Emmanuelle Ledoux : En janvier 2021, sur demande du ministère français de la Transition écologique, RTE (Réseau de Transport d’Électricité) et l’AIE (Agence Internationale de l’Énergie) ont publié un rapport commun¹ visant à identifier les conditions et exigences liées à l’utilisation d’une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050.
Cette étude pointait notamment le risque que peut représenter un passage aux EnR vis-à-vis de la criticité des ressources utilisées.
À l’INEC, nous avons voulu vérifier comment cet aspect était traité dans la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). Étonnamment, cet aspect était seulement évoqué de manière anecdotique, comme point de vigilance². Ce constat nous a donc incités à lancer une étude approfondie qui montrerait la criticité des ressources par secteur.
Comme nous voulions une étude de fond, qui apporterait un point de vue objectif et chiffré, nous avons sollicité l’aide de Capgemini Invent, qui s’est chargé de la partie modélisation.
Cette étude est vaste. Quelles sont les principales thématiques abordées ?
Capgémini Invent a proposé une approche de criticité multifactorielle en trois temps qui permet de croiser valeur économique et criticité et d’évaluer les ordres de mérite en termes de criticité. Grâce à cette méthodologie, il devient possible de quantifier à la fois les ressources naturelles nécessaires à la transition bas carbone et les déchets générés.
Nous avons ainsi choisi d’étudier trois filières emblématiques de la transition bas carbone qui sont soumises à des contraintes différentes. Si l’électrification des véhicules est idéale pour décarboner le transport, la fabrication des batteries est malheureusement très dépendante d’une multitude de ressources importées (métaux, terres rares, lithium, etc.).
Concernant le bâtiment, si les ressources utilisées ne semblent pas critiques (béton, aluminium, acier), ce sont les volumes importants de matériaux consommés et de déchets générés qui sont au cœur du problème.
Enfin, le 3e secteur abordé, la valorisation de la biomasse, a été choisi en raison de la crise actuelle concernant l’approvisionnement en gaz. Si la valorisation de la biomasse en énergie peut théoriquement rendre la France totalement indépendante au gaz, cette éventualité pose de nombreuses questions en matière de compétition des usages sur les terres et d’acceptabilité de tels projets par les populations.
Quels sont les leviers à mettre en place pour une décarbonation « réaliste » ?
L’étude est là pour alerter sur les problèmes de l’actuelle SNBC. Nous voulons montrer que la stratégie proposée pour 2050 ne passe pas. Par exemple, on sait qu’on ne disposera pas des ressources suffisantes pour approvisionner suffisamment de batteries électriques. Il faut abandonner nos visions à court terme de consommation linéaire et travailler sur le long terme, à développer les filières de recyclage, de réemploi et de réutilisation des batteries.
Ce sont des débats d’actualité et il existe déjà des entreprises qui travaillent activement sur ces sujets. SMOVENGO, l’opérateur actuel du Vélib’ est ainsi en train de passer de « loueur de vélo » à réparateur/reconditionneur et ils étudient actuellement la possibilité de remplacer les éléments de batterie défectueux.
Quelles sont vos attentes vis-à-vis des industriels et des institutions ?
C’est la première fois qu’une étude multifilière intègre à la fois criticité et décarbonation et nous espérons que la méthodologie servira comme outil à de futurs travaux, sur d’autres filières.
Par ailleurs, nous avons aussi une attente très claire : que les conditions de définition de la 3e SNBC intègrent dès le départ cette question de la criticité des ressources.
Il est grand temps de sortir des approches cloisonnées et monocritères et de planifier la mise en place de stratégies cohérentes, pas seulement d’accompagnement de filières.
¹ AIE, RTE. « Conditions et prérequis en matière de faisabilité technique pour un système électrique avec une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050 ». Janvier 2021.
² À la page 123, le rapport mentionne le point de vigilance : « S’assurer de la disponibilité des ressources en métaux rares pour les technologies nécessaires à la transition énergétique telles que le véhicule électrique (batteries) et certaines filières renouvelables (photovoltaïque), de l’absence de tension avec d’autres filières bas-carbone également en besoin de métaux… ».
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