Il y a un mois, fin février, le ministre de l’Économie Bruno Lemaire a annoncé que 15 propositions d’entreprises françaises avaient été sélectionnées et notifiées à la Commission européenne dans le cadre du Projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) en matière d’hydrogène. Avec les autres pays européens, ce sont environ 100 projets que la Commission examinera d’ici l’été pour qu’ils bénéficient d’un soutien financier public. Philippe Boucly, président de France Hydrogène (la fédération de la filière française), voit là une « dynamique d’accélération européenne » et se réjouit que « les 15 projets français sélectionnés […] vont permettre de redéployer des capacités industrielles avec trois types de projets prioritaires : développer une filière de l’électrolyse compétitive, accélérer la mobilité hydrogène et décarboner notre industrie ».
L’hydrogène serait-il entré dans un âge d’or ? Des tentatives avaient déjà eu lieu dans les années 1970, 1990 et 2000 pour faire émerger ce vecteur énergétique, mais à chaque fois sans réel changement d’échelle. Aujourd’hui, l’enjeu de la décarbonation donne l’impression d’un nouveau cycle. Dès 2018, Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique et solidaire, avait lancé un plan Hydrogène à 100 millions d’euros. Prémonitoire ? En 2020, l’Union européenne publie sa Stratégie Hydrogène, tandis que l’Allemagne et la France rivalisent d’annonces financières : la première prévoit 7 milliards d’euros pour faire monter en puissance l’hydrogène décarboné et 2 Mds€ pour des partenariats industriels à l’international ; la seconde dédie aussi une enveloppe de 7,2 Mds€ à la filière hydrogène, complétée en 2021 par 1,9 Md€ dans le cadre de France 2030. Dans beaucoup de pays, l’attrait pour l’hydrogène est tout aussi fort, tel que l’a récemment montré le Conseil français de l’énergie.
Créer un marché sur le long terme
Comme l’argent coule à flots, les projets fleurissent aisément pour décarboner l’hydrogène, et les discours s’enflamment pour y voir LA solution de la transition énergétique. Mais pour l’instant, l’hydrogène est encore très dépendant des énergies fossiles et émet environ 900 millions de tonnes de CO2 par an. En effet, sur les 90 Mt d’hydrogène produits dans le monde, moins de 10 % font l’objet d’un captage du CO2 et moins de 0,5 Mt ont été produits par électrolyse de l’eau, selon l’Agence internationale de l’énergie (données 2020).
Les soutiens aux investissements amorcent néanmoins une nouvelle dynamique : cela suffira-t-il à faire émerger réellement une économie pérenne de l’hydrogène « vert » ? La Commission européenne s’y emploie en incluant petit à petit l’hydrogène dans ses réglementations, notamment celle du gaz, pour favoriser l’utilisation des infrastructures de réseau existantes, pour certifier l’hydrogène bas-carbone, et pour créer les conditions d’un marché concurrentiel, tout en acceptant provisoirement les soutiens publics. Elle multiplie également les points d’appui pour faire grandir un écosystème d’entreprises, par exemple avec l’Alliance pour un hydrogène propre.
Créer un marché ad hoc pour l’hydrogène « vert » est déjà un défi en soi, même s’il peut s’appuyer en partie sur celui existant du gaz et de l’hydrogène d’origine fossile. Mais pour ne pas rester un marché de niche, il faudra relever un défi encore plus grand : atteindre les volumes de production d’hydrogène prévu pour la transition énergétique. En plus des besoins actuels qui concernent l’industrie, il y aura également ceux des nouveaux usages (mobilité, power to gas, chimie organique). L’enjeu principal va donc être de développer et installer en masse des électrolyseurs dans les 20 prochaines années et de les alimenter avec une électricité décarbonée, à un coût économique raisonnable. À l’échelle de la France, les travaux de RTE, de l’Ademe et de négaWatt montrent l’ampleur de la tâche : alors qu’on part quasiment de zéro, il faudrait arriver en 2050 à une production d’hydrogène « vert » entre 60 et 135 TWh selon les scénarios. Pour donner un ordre de grandeur, cela équivaudrait à installer 10 à 20 MW d’électrolyseurs dans chaque canton. Aujourd’hui, les projets annoncés ou en cours comme Jupiter 1000 à Fos-sur-Mer, sont plutôt de l’ordre du mégawatt.
Porté aux nues depuis trois ans, l’hydrogène sera certes une composante importante de la transition énergétique, mais certainement pas la solution unique. Bénéficiant d’un important soutien public, la filière doit relever un défi industriel majeur et trouver un modèle économique lui assurant son avenir. Car on ne sait jamais combien de temps durent les subsides publics…
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