Y a-t-il un décalage entre la demande en hydrogène bas carbone projetée par l'Europe pour 2030 et 2040 et la demande réelle ? C'est ce que suggère l'étude Sisyphe menée par le CEA.
Le moins que l’on puisse dire c’est que l’hydrogène promet de faire couler encore beaucoup d’encre. Le plan RepowerEU fixe un objectif de consommation de 20 millions de tonnes par an d’hydrogène renouvelable au niveau européen à l’horizon 2030. La moitié serait produite en Europe l’autre part serait importée. De là à rêver d’une demande plus forte que la réalité ? C’est que suggère l’étude Sisyphe menée par le CEA et publiée en mars 2024.
L’étude s’appuie sur le témoignage de 70 industriels européens concernant leurs projets engagés et leurs besoins à venir en hydrogène. Sur cette base, elle évalue la demande européenne en hydrogène bas carbone et en molécules dérivées (notamment e-fuels) d’ici 2040. Résultat : elle prévoit une demande en hydrogène obtenu par électrolyse de l’eau à 2,5 millions de tonnes en 2030 et de 9 millions en 2040. Le CEA pointe ainsi « un risque élevé de non-atteinte des objectifs européens », mais met en avant plusieurs leviers pour accélérer le développement de ce marché en Europe.
Le raffinage et la chimie face à la sidérurgie et l’aviation
À titre de comparaison, 9 millions de tonnes d’hydrogène sont aujourd’hui déjà consommées au niveau européen, principalement par les secteurs industriels du raffinage et de la chimie. Il s’agit presque exclusivement d’hydrogène produit à partir d’énergies fossiles. Pour ces secteurs, un frein important à la croissance de la demande en Europe de l’hydrogène bas carbone réside dans la crainte d’un manque de compétitivité par rapport aux énergies fossiles, en absence de taxe carbone élevée.
Alors que la chimie et le raffinage sont les utilisateurs « historiques » de l’hydrogène, la plupart des acteurs ne prévoient pas d’évolution majeure de leur appareil de production avant 2040. Et ce d’autant plus que l’avenir d’une partie des raffineries est désormais incertain, face aux enjeux de sortie des énergies fossiles. Si le secteur de la chimie sera soumis à des cibles d’incorporation d’hydrogène renouvelable dès 2030, « les acteurs interrogés soulignent l’absence en l’état de modèle économique viable », précise le rapport.
L’hydrogène fait partie des plans de décarbonation pour remplacer les énergies fossiles dans l’industrie et les transports lourds entre 2030 et 2050. Le plan de décarbonation de la sidérurgie prévoit notamment l’installation de fours DRI (Direct Reduction of Iron) utilisant de l’hydrogène. Et la réglementation européenne ReFuelEU Aviation prévoit de soumettre le transport aérien à des cibles d’incorporation d’e-kérosène dès 2030. « En l’état, la sidérurgie et le transport aérien seraient les secteurs les plus demandeurs en hydrogène électrolytique sur la période 2030-2040 », précise le CEA. Ces deux secteurs représenteraient près de 75 % de la demande en 2040.
Un manque d’électricité et d’infrastructures ?
Le manque de garanties concernant la disponibilité de quantités suffisantes d’électricité bas carbone et de planification de l’infrastructure associée participe aussi à la frilosité des industriels. Dans le cadre du scénario Sisyphe, pour produire les 2,5 millions de tonnes d’hydrogène bas carbone en 2030, le CEA estime qu’il faudrait déjà 120 térawattheures (TWh) d’électricité. Et il en faudrait 420 TWh en 2040 pour produire 9 millions de tonnes, soit l’équivalent de la consommation électrique française actuelle.
Le scénario implique par ailleurs d’installer au minimum entre 3 et 5 gigawatts (GW) d’électrolyseurs chaque année dès 2028, à condition d’avoir suffisamment d’électricité bas carbone disponible. Sinon, « il faudrait installer des capacités d’électrolyse encore plus importantes, ce qui pose la question de la disponibilité d’électrolyseurs de grande puissance dès la fin de la décennie », prévient le CEA.
À ces freins s’ajoute l’instabilité du cadre réglementaire combiné à des mécanismes de soutien « insuffisamment incitatifs », souligne le CEA. Pour remédier à cette retenue, le CEA appelle à « accélérer le développement de capacités de production d’électricité bas carbone (renouvelables et nucléaires) en Europe », à « assurer le passage à l’échelle des installations de production d’hydrogène et de molécules dérivées » et à « clarifier et stabiliser les mécanismes de support, avec des dotations financières en cohérence avec les objectifs ».
Crédit visuel à la une : image générée sur Adobe Firefly
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