Interview

HoloSolis : une gigafactory mosellane pour faire rayonner le photovoltaïque européen

Posté le 19 février 2025
par Benoît CRÉPIN
dans Énergie

Créée en 2021 sous l’impulsion d’un consortium d’investisseurs, la société européenne HoloSolis s’attelle depuis lors au développement d’un projet qui devrait aboutir, à l’horizon 2026-2027, à l’ouverture à Hambach, en Moselle, de la plus grande usine de production de cellules et panneaux photovoltaïques d’Europe.

Après qu’HoloSolis a annoncé, en janvier dernier, avoir obtenu le permis de construire et l’autorisation d’exploitation de cette future gigafactory, l’entreprise travaille désormais activement à l’élaboration de l’avant-projet détaillé, passage obligé avant que les partenaires du consortium n’actent leur décision finale d’investissement. Prévue pour l’année prochaine, elle constituera alors le signal de départ de la construction de pas moins de 18 ha de bâtiments, qui seront ensuite progressivement équipés, jusqu’en 2028, de plusieurs lignes de production dernier cri. Une condition en effet nécessaire pour assurer, face à la concurrence chinoise, la compétitivité de cette future usine, comme nous l’explique le président d’HoloSolis, Jan Jacob Boom-Wichers.

Techniques de l’Ingénieur : Quelles sont les origines de ce projet de gigafactory d’Hambach, et du consortium qui le porte, HoloSolis ?

Jan Jacob Boom-Wichers préside HoloSolis depuis décembre 2022. © HoloSolis

Jan Jacob Boom-Wichers : La société HoloSolis a été créée par trois investisseurs : EIT InnoEnergy[1], groupe européen public-privé visant à accélérer la transition énergétique européenne par la réindustrialisation ; TSE[2], développeur de centrales photovoltaïques ; et le Groupe IDEC[3], acteur majeur de la construction. Après la pandémie, et à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine, nous avons collectivement pris conscience du niveau de désindustrialisation de la France et de l’Europe, et de sa dépendance aux énergies fossiles… Cela a ainsi notamment conduit InnoEnergy à redoubler d’efforts pour contribuer à la souveraineté énergétique européenne, en s’engageant dans des projets de construction de gigafactories. D’abord dans le domaine des batteries électriques, aux côtés d’entreprises telles que Verkor ou Northvolt, puis dans le secteur de l’hydrogène et de la production d’acier décarboné ; mais aussi, enfin, dans la filière photovoltaïque (PV). InnoEnergy a ainsi cherché à contribuer au rapatriement d’usines de fabrication de panneaux PV.

Cette perspective s’inscrit en effet dans le contexte de l’adoption du règlement pour une industrie « zéro net », ou Net-Zero Industry Act (NZIA), qui vise notamment à ce que 40 % des panneaux PV installés en Europe d’ici à 2030 soient fabriqués au sein de l’Union. C’est donc dans cette optique que le groupe s’est engagé dans des projets de construction d’usines de fabrication de panneaux, dont la future gigafactory d’Hambach, portée par HoloSolis, entreprise créée en 2021, et que je préside depuis décembre 2022.

Comment votre choix s’est-il porté vers ce site d’Hambach, en Moselle ?

HoloSolis a choisi Hambach notamment pour sa situation géographique privilégiée. © HoloSolis

Épaulé par l’une de mes premières collègues, Élise Bruhat, j’ai rapidement commencé à chercher le site qui pourrait accueillir au mieux cette future usine… Nous avons ainsi étudié et comparé pas moins d’une quarantaine de sites, répartis dans six pays européens, avant, finalement, de choisir Hambach, près de Sarreguemines en Moselle, en avril 2023. La commune s’est en effet avérée réunir tous nos critères : elle comporte tout d’abord un terrain suffisamment grand – de l’ordre d’une cinquantaine d’hectares – et viabilisé ; elle est située dans une zone caractérisée par une population active locale habituée au travail en usine, a fortiori en 3×8, mais aussi par un soutien administratif fort – tant de la part de la Région, que de la Communauté d’agglomération, que de la commune – ainsi que par, enfin, un important soutien financier. Outre son électricité peu carbonée et relativement bon marché, la France a en effet été l’un des pays les plus volontaires sur le plan des aides financières susceptibles d’être apportées au projet. Enfin, la position géographique de la commune s’est également révélée décisive : située à quelques kilomètres de la frontière allemande, Hambach va nous permettre d’atteindre en une journée de route, 85 % du marché PV européen (France, Allemagne, Benelux, nord de l’Italie, Pologne…).

C’est ainsi que le président Emmanuel Macron a publiquement annoncé le projet en mai 2023, dans le cadre du Sommet Choose France.

Combien d’emplois ce projet devrait-il permettre de créer ?

Nous misions au départ sur l’embauche d’environ 1 700 personnes, chiffre qui a depuis été revu à la hausse et se situera sans doute, finalement, autour des 1 900 salariés. Le projet, au moment de son annonce, s’est ainsi révélé le plus pourvoyeur d’emplois en France.

Quelles installations prévoyez-vous d’implanter sur ce site d’une cinquantaine d’hectares que vous évoquiez ?

Le site accueillera pas moins de 18 hectares de bâtiments. © HoloSolis

Ce site de cinquante hectares comportera 18 hectares de bâtiments… Des bâtiments colossaux : l’un d’eux – destiné à la production des cellules photovoltaïques – mesurera plus de 500 mètres de long, sur 150 mètres de large, pour une hauteur de 12 à 13 mètres… Un autre – dans lequel seront notamment fabriqués les panneaux PV, et qui comportera également un transstockeur – mesurera quant à lui près de 350 mètres de long.

Dans son ensemble, le site constituera ainsi la plus grande installation européenne de production de cellules et de panneaux PV. Une partie de l’électricité sera, en outre, produite sur place, grâce aux panneaux photovoltaïques dont seront couverts les bâtiments, et aux ombrières photovoltaïques qui équiperont les parkings.

Quelle sera la technologie des cellules que vous comptez produire au sein de cette gigafactory d’Hambach ?

Nous avons décidé de miser sur la technologie TOPCon [pour Tunnel Oxide Passivated Contact, n.d.l.r.] de type N. Il s’agit en effet de la technologie actuellement la plus répandue et la plus aboutie du secteur. Il s’avère également que notre directeur technique Oliver Schultz-Wittmann est l’un des co-inventeurs de cette technologie…

Une technologie de cellules avancée… Comme le seront d’ailleurs également vos outils de production, n’est-ce pas ?

Nos moyens de production seront, en effet, eux aussi à la pointe de la technologie. En outre, l’usine fera la part belle à l’intelligence artificielle. Nous visons la production, à terme, de l’équivalent de 5 GW de panneaux par an, soit environ 10 millions d’unités, issues de la fabrication de 550 millions de cellules PV… La production d’un tel volume va ainsi nous permettre d’engranger d’énormes quantités de données. Avant de devenir une cellule PV, chaque plaquette de silicium passera en effet par une quinzaine d’étapes de production, au cours de chacune desquelles une centaine de mesures environ seront réalisées. Cela va donc représenter pas moins de 1 500 mesures par cellule, multipliées par les quelque 3 millions d’entre elles que nous comptons produire chaque jour, soit près de 4,5 milliards de points de données collectés quotidiennement ! L’IA va donc nous permettre d’analyser cette masse considérable de données, en nous apportant ainsi, notamment, des informations clés sur la qualité des cellules, et en nous permettant d’identifier les paramètres à réunir pour produire les cellules les plus performantes possible. En parallèle, un jumeau numérique de l’usine nous permettra de réaliser des simulations, et de progresser. Tout cela n’a pour l’heure jamais été mis en œuvre dans notre industrie. Nous avons donc la volonté d’être précurseurs dans ce domaine.

Sans doute cela est-il également l’une des conditions nécessaires pour assurer votre compétitivité face aux producteurs chinois, qui plus est après les échecs rencontrés par certains de vos prédécesseurs en France, tels que Systovi[4], ou plus récemment Photowatt[5]… ?

Les exemples que vous mentionnez sont tragiques, car il s’agit de sociétés qui se sont véritablement battues pour essayer de survivre… Quant à nous, notre objectif est effectivement de miser sur ces technologies de production de pointe pour parvenir à produire à très, très grande échelle. C’est uniquement en produisant en masse que nous parviendrons à atteindre des coûts de production compétitifs. Cela ne pourra se faire sans atteindre des cadences très élevées – grâce, notamment à un haut niveau d’automatisation – ainsi que des processus de contrôle qualité extrêmement rigoureux, dans le but d’accroître au maximum l’efficacité de notre future usine.

Où en est justement, aujourd’hui, le développement de ce projet de gigafactory d’Hambach ?

Nous avons franchi le 24 janvier dernier une étape décisive, en obtenant le permis de construire de nos futurs bâtiments, ainsi que notre autorisation d’exploitation, à l’issue d’une étude approfondie de nos dossiers environnementaux par la DREAL[6], la Préfecture, etc. Cela a pu aboutir dans un délai très court grâce au travail en bonne intelligence que nous avons pu mener dès le départ avec les services de l’État.

Quelles seront alors les prochaines étapes du projet ?

Cette année 2025 va être l’année de l’élaboration de notre avant-projet détaillé. Quand il sera prêt, nous lancerons alors des appels d’offres pour l’ensemble des travaux prévus : construction des bâtiments, installation des lignes électriques, mise en place des équipements de production… Quand nous aurons sélectionné ces futurs acteurs, nos investisseurs émettront une décision finale d’investissement. Ce n’est qu’à ce moment-là que pourront véritablement débuter les travaux, en 2026. Nous espérons ainsi pouvoir installer les premiers équipements de production en fin d’année prochaine, pour lancer la production des premières cellules et des premiers panneaux PV début 2027. S’ensuivra une montée en puissance progressive, grâce à l’installation successive de plusieurs autres lignes de production, pour atteindre, à terme, en 2028, les 5 GW de capacité annuelle de production que j’évoquais.

Cette progressivité va nous permettre d’équiper l’usine avec, à chaque fois, des outils de production dernier cri, leurs technologies évoluant en effet très vite… À l’image d’ailleurs des technologies de cellules. Nous travaillons ainsi main dans la main avec plusieurs centres de recherche, tels que l’Institut Photovoltaïque d’Île-de-France (IPVF) ou l’Institut Fraunhofer, pour les aider à industrialiser les technologies d’avenir, notamment les cellules tandem. L’objectif étant bien entendu de privilégier les technologies les plus efficaces, certes, mais aussi et surtout en offrant les coûts les plus bas possibles.

Même si son montant exact n’a pas encore été défini, quel est l’ordre de grandeur de l’investissement nécessaire pour faire aboutir un tel projet ? Comment comptez-vous le financer ?

Le budget total du projet se situe aux alentours de 800 millions d’euros. Nous avons déjà reçu beaucoup de soutien de la France et de l’Europe, notamment un crédit d’impôt au titre des investissements dans l’industrie verte, ou C3IV, à hauteur de 200 millions d’euros, ainsi que des subventions de la Région Grand Est. Nous travaillons également aujourd’hui sur des levées de fonds successives : nous menons actuellement une levée en Série A, d’un montant de 20 M€. Nous lancerons prochainement une levée de fonds en Série B, de 200 M€, qui se cumulera à de la dette et aux subventions publiques que j’évoquais.

Les évènements politiques récents et le contexte d’instabilité que nous connaissons actuellement vous ont-ils éventuellement, à un moment ou un autre, amenés à remettre en cause la réalisation de ce projet en France ?

Cela n’est pas allé jusqu’à remettre en cause la réalisation du projet. Les lois telles que le NZIA, conjuguées à l’impérieuse nécessité de souveraineté énergétique en Europe, nous confortent en effet dans l’intérêt que nous voyons à ce projet. Il serait selon nous extrêmement dommageable pour la France et l’Europe qu’il ne se concrétise pas. D’autant que nous avons la principale matière première nécessaire – le quartz[7] – directement sous nos pieds… Il s’agit-là à la fois d’une question économique, sociale et géostratégique majeure.

Une fois cette gigafactory d’Hambach pleinement opérationnelle, serait-il éventuellement envisageable, pour vous, d’en ouvrir d’autres ailleurs en France ou en Europe ?

Absolument. Après l’ouverture de cette première gigafactory, qui sera alors la plus grande d’Europe, nous espérons effectivement lancer d’autres projets de même envergure. C’est en tout cas notre vision à moyen/long terme. Nous concentrons en effet évidemment, pour l’heure, tous nos efforts dans ce projet d’Hambach. Reste qu’avec un marché de panneaux PV installés estimés à 100 GW en 2030, l’Europe aura de toute façon besoin d’au moins huit autres usines comme la nôtre pour atteindre ses objectifs et assurer sa souveraineté, tant énergétique qu’industrielle.


[1] EIT InnoEnergy

[2] TSE

[3] Groupe IDEC

[4] Panneaux solaires : le fabricant français Systovi met la clé sous la porte et dénonce un « dumping chinois »

[5] Bourgoin-Jallieu : après plusieurs tentatives de reprise, l’usine de panneaux photovoltaïques Photowatt va fermer

[6] Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement

[7] Forme de silice (SiO2) dont est extrait le silicium constitutif des cellules PV.


Pour aller plus loin