Alors que les émissions de CO2 rejetées dans le monde entraîneraient une acidification de l'eau de mer, un projet de recherche européen a débuté afin d'améliorer une technique pour mesurer le pHT (pH Total) dans les océans. Son objectif est également d'étendre la mesure aux eaux côtières, profondes et continentales.
À l’image de la forêt amazonienne, qualifiée de poumon vert de la planète, les océans sont souvent décrits comme le poumon bleu. Ils sont capables d’absorber entre 25 et 30 % des émissions de CO2 rejetées chaque année dans le monde. Revers de la médaille, ce processus n’est pas sans impact sur la chimie des eaux de mer, et serait notamment responsable de l’acidification des océans. Pour évaluer plus précisément ce phénomène, un projet de recherche européen appelé SapHTies a débuté afin d’améliorer une norme internationale (ISO 18191:2015) utilisée pour mesurer le pHT (pH Total) dans l’eau de mer. Celui-ci est l’un des quatre paramètres permettant de déterminer l’acidité, au côté de l’alcalinité totale, de la pression partielle du CO2 et du carbone inorganique dissous. Ce projet regroupe un consortium de cinq instituts nationaux de métrologie représentant la France, l’Allemagne, le Portugal et le Danemark ainsi que deux instituts océanographiques (français et allemand).
« Aujourd’hui, les évolutions de pHT que l’on observe dans certains océans sont de l’ordre de quelques millièmes à l’échelle d’une année, explique Florence Salvetat, responsable du laboratoire de métrologie à l’Ifremer. Cette variation est à la fois très importante sur le plan environnemental, mais aussi très petite à mesurer. Autant il est facile de mesurer une température avec une précision de trois chiffres après la virgule, autant pour le pHT, la mesure est beaucoup plus difficile à réaliser de manière fiable ».
Il existe différentes façons de mesurer le pHT dans l’eau de mer. La technique la plus employée par les océanographes et décrite par la norme internationale fait appel à la spectrophotométrie. Il s’agit d’une méthode optique qui consiste à mesurer l’absorbance d’une solution pour plusieurs longueurs d’onde données. L’eau de mer étant transparente, il est nécessaire de lui ajouter un indicateur coloré, le pourpre de m-crésol, dont le rôle est d’absorber la lumière. Ce dernier n’a pas été choisi par hasard, car lorsqu’il se dissocie, il provoque l’apparition de deux pics dans la solution, l’un correspondant à l’acidité et l’autre à la basicité. C’est en mesurant le ratio d’absorbance entre ces deux pics que le pHT est déterminé.
Établir un mode opératoire scrupuleux et des consignes claires
Actuellement, cette technique est jugée robuste, dans le sens où les résultats obtenus sont répétables. Sauf qu’elle n’a jamais été validée en utilisant les concepts de la métrologie, la science de la mesure. Celle-ci repose sur trois piliers, à savoir : la traçabilité du résultat, la validation de la méthode et la détermination des incertitudes de mesure. « Pour l’instant, les incertitudes de cette méthode n’ont jamais été établies avec la rigueur d’un institut de métrologie, analyse Daniela Stoica, ingénieur de recherche au LNE (Laboratoire national de métrologie et d’essais). Or, si on veut comparer des valeurs obtenues par différents laboratoires, à différents moments dans le temps et dans différents endroits géographiques, il faut s’assurer que les résultats sont justes et que les incertitudes soient connues. Il est donc important que le monde de la métrologie travaille avec celui de l’océanographie. »
Les scientifiques veulent établir un mode opératoire scrupuleux et des consignes claires d’utilisation de cette technique spectrophotométrique afin de garantir une qualité de résultat nécessaire pour suivre les évolutions de l’acidité dans le temps. Pour y parvenir, ils ont notamment l’intention de préciser le degré de purification de l’indicateur coloré à utiliser, ainsi qu’améliorer la technique de délivrance, c’est-à-dire la manière dont il doit être incorporé dans l’eau de mer. « D’autres pistes de travail sont aussi envisagées comme la définition de la qualité des instruments spectrophotométriques à employer, ainsi que revoir les équations et les calculs utilisés pour parvenir au résultat », complète Florence Salvetat.
Ce projet a aussi pour objectif d’étendre la norme à de plus grandes variations de niveau de salinité de l’eau. Actuellement, elle est limitée à des valeurs comprises entre 20 et 40*. Or, certaines mers ont un gradient de salinité plus large. C’est le cas de la mer Baltique, située dans le nord de l’Europe, et dont la salinité peut varier entre 5 et 40*. Un autre aspect concerne la qualité des eaux. La méthode a été conçue pour être utilisée dans les eaux du large et n’est pas adaptée pour mesurer le pHT des eaux près des côtes. Celles-ci sont réputées moins stables car le milieu y est plus perturbé : variations du niveau de salinité et des températures, pollution et turbidité de l’eau. « Il faut que la mesure soit valide à tous les endroits des océans, que ce soit près des côtes, mais aussi dans les eaux froides situées près des pôles, ainsi que dans les eaux profondes, ajoute Daniela Stoica. Il est également important qu’il y ait une continuité dans la façon de réaliser la mesure entre les eaux continentales et les eaux océaniques. »
Face au progrès technologique et à l’évolution des techniques de mesure, la mise à jour de normes de mesure internationales est un travail régulier à mener. Au-delà d’améliorer la qualité de la mesure du pHT à un instant T, ce travail de recherche doit aussi permettre d’augmenter la fiabilité des prédictions réalisées à partir de ces données. Le projet SapHTies, débuté il y a un an, doit se terminer en mai 2024.
*Pas d’unité de mesure pour la salinité de l’eau de mer
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