Denis Ferrand, directeur général de l’institut d’analyse économique Rexecode, décortique les impacts de la crise économique sur l’industrie française.
Avec la reprise de l’activité, la crise économique prend le pas sur la crise sanitaire et impacte l’industrie française. Les entreprises doivent réagir rapidement pour survivre mais également pour préparer l’avenir. Au mois d’avril, Denis Ferrand, le directeur général de l’institut d’analyse économique Rexecode et le président de la Société d’Economie Politique, avait animé un Webinar pour Techniques de l’Ingénieur sur l’impact du Covid-19 sur les perspectives économiques mondiales. Aujourd’hui, il revient sur l’impact de la crise sur l’industrie française et analyse les défis que cette dernière devra relever.
Techniques de l’Ingénieur : Comment peut-on évaluer les impacts de la crise sur les entreprises de l’industrie française ?
Denis Ferrand : Pour mieux comprendre les impacts de cette crise, deux choses sont à appréhender. Tout d’abord, il faut prendre en compte la situation avant le Covid-19, qui était marquée par de grosses difficultés de recrutement. Depuis 3 ans, la pénurie de main d’œuvre est ce qui bloque la croissance. Elle est principalement due à une pénurie de compétences spécifiques. Nous remarquons un problème d’adéquation des compétences, qui vaut pour tous les métiers, tous les secteurs et dans presque toutes les régions. Ces difficultés étaient mises en sommeil pendant le confinement, mais avec la reprise de l’activité elles vont revenir en effet boomerang. Le deuxième point à prendre en compte est le tarissement de la demande. Les entreprises vont donc devoir revoir leurs choix d’investissement et de recrutement à la baisse.
Quel impact la crise a-t-elle eu sur l’emploi durant le confinement ?
Les entreprises ont évité au maximum le licenciement de personnels qu’elles ont probablement eu du mal à recruter et ont privilégié le chômage partiel. D’ailleurs, lorsque nous regardons les chiffres de Pôle Emploi, les entrées pour cause de licenciement ont chuté pendant le confinement. Ces chiffres révèlent aussi qu’en mars et avril, 1 100 000 demandeurs d’emploi supplémentaires ont été comptabilisés en catégorie A [absence d’activité professionnelle, NDLR]. Mais c’est principalement car les demandeurs d’emploi des catégories B et C [en activité partielle, NDLR] sont passés en catégorie A. C’est le cas des travailleurs dans la restauration, la vente, ou les personnes en contrat court. Par ailleurs, si les chiffres augmentent, c’est également car les demandeurs d’emploi le restent plus longtemps. Il est donc primordial de regarder les dynamiques de flux et non uniquement le nombre de demandeurs d’emploi pour bien comprendre la situation actuelle.
Qu’en est-il de l’impact sur l’emploi dans les mois à venir ?
Le phénomène exactement inverse va se produire avec le redémarrage des restaurants et commerces, donc les demandeurs d’emploi en catégorie A vont retrouver une activité partielle. D’autre part, il va y avoir un tarissement de l’emploi, non pas à cause de licenciements mais parce que les entreprises vont moins embaucher. Avec BPI France, nous avons interrogé des PME pour comprendre les conséquences de la crise du Covid-19 sur elles. 80% d’entre elles avaient des projets de recrutement avant la crise, et les 2/3 d’entre elles ont décidé soit de reporter, soit d’annuler leurs projets d’embauche. Même si ces PME n’étaient pas des industriels, l’effet est le même pour tous. Nous assistons à un gel d’embauche car, tout comme les investissements, c’est une variable sur laquelle les entrepreneurs peuvent jouer quand ils font face à un effondrement de leur chiffre d’affaire.
Des faillites sont-elles à prévoir ?
Avec le redémarrage de l’activité, nous entrons dans la deuxième phase de crise qui est la plus dangereuse pour les entreprises. En effet, elles doivent se remettre à produire, à payer des salaires, à acheter la matière première, sans qu’aucun argent ne soit encore rentré. Nous avons toujours vu des pics de faillites lors des sorties de récession.
La question à se poser maintenant est : est-ce que toutes les entreprises doivent être sauvées ? La réponse est complexe car il faut déterminer des critères de choix. Il s’agit donc d’identifier les entreprises qui ont assez de solidité pour redémarrer et celles qui auraient dû disparaître dans tous les cas, même sans la crise. Rappelons que chaque année, entre 45 000 et 50 000 d’entreprises disparaissent donc c’est un processus normal. La crise du Covid-19 peut l’amplifier mais il faut surtout s’assurer que des entreprises ne disparaissent pas pour de mauvaises raisons, alors qu’elles avaient de bonnes conditions de viabilité.
Quels secteurs industriels vont être les plus touchés ?
L’automobile a particulièrement souffert durant le confinement avec 90% d’immatriculations en moins, tout comme l’aérien. Cela dit, en septembre 2001, tout le monde pensait que l’aérien allait s’effondrer or il est reparti encore plus fort. Réaliser des prévisions définitives s’avère compliqué. Certaines activités ont totalement été arrêtées quand d’autres ont progressé donc il n’y a pas les mêmes solutions à apporter selon les secteurs.
Les entreprises fragilisées vont devoir faire des économies pour survivre, les investissements pour l’innovation et la R&D vont-ils être impactés ?
Les entreprises qui vont ressortir renforcées de cette crise seront celles qui auront réalisé des investissements et notamment en innovation. Ces temps de crise sont des accélérateurs de transformation. On le voit dans la rapidité d’adoption de certaines technologies que nous n’utilisions pas avant. Donc les entreprises qui se seront adaptées le plus rapidement seront gagnantes. La R&D serait dans l’absolu le dernier investissement à sacrifier, mais c’est aussi un des premiers postes sur lesquels les entreprises peuvent le plus facilement arbitrer. Ce qui crée une forte tension entre le court terme et le long terme. A court terme, les entreprises doivent survivre et répondre aux échéances de paiement donc elles doivent ménager la trésorerie et couper dans les investissements, notamment en R&D. Pourtant, cette décision les place en mauvaise posture à moyen terme.
Que pensez-vous de la relocalisation des entreprises françaises ?
Je suis assez partagé. Deux facteurs me semblent indispensables pour relocaliser. D’abord, sommes-nous capables d’avoir un rapatriement dans des conditions de coût qui soient identiques à celles de la localisation éloignée ? La relocalisation n’est possible que si les conditions de compétitivité et d’attractivité sur notre territoire sont équivalentes à ce qu’elles étaient auparavant. Ensuite, est-ce que les demandeurs vont durablement accepter de payer plus cher pour le même produit ? Clairement, je ne pense pas. Par le passé, ça ne s’est jamais vérifié. Peut-être avons-nous totalement changé d’état d’esprit aujourd’hui mais jusqu’à présent, nous nous précipitons toujours vers l’achat le moins cher.
Plus que relocaliser, je pense qu’il faut davantage envisager le local. Il y a du côté des entreprises une tendance à penser régional, donc à travers les pays voisins. Par exemple, pour approvisionner les Etats-Unis, une entreprise va choisir de produire au Mexique plutôt qu’en Asie. Ainsi, le Made in Europe serait à privilégier sur le Made in France concernant des questions stratégiques car l’échelle nationale risque d’être associée à un marché trop étroit. Cela pourrait concerner les produits sanitaires, de défense, d’alimentation. C’est un processus que les entreprises doivent entreprendre d’elles-mêmes, sans attendre de décisions politiques.
Les entreprises déjà fragilisées vont-elles avoir les ressources nécessaires pour initier de tels changements ?
C’est une fois de plus la tension du court et du long terme. Pour survivre, les entreprises doivent être agiles. D’ailleurs, outre la régionalisation qui me semble nécessaire, elles doivent aussi prendre en compte la transition écologique. Celles qui réalisent dès maintenant des choix écologiques draconiens auront plus de chances de s’en sortir par la suite. Or en ce moment elles ont moins de ressources, et en parallèle, le prix du pétrole s’est effondré donc spontanément, les entreprises se tourneront vers l’énergie la moins chère à savoir l’énergie carbonée. L’important aujourd’hui est de réévaluer toutes les décisions prises avant le Covid-19 et de déterminer si elles doivent être abandonnées, modifiées ou accélérées.
Comment va se dérouler la reprise à l’échelle du pays ?
Maintenant, il va y avoir du rattrapage de l’activité. Nous pouvons envisager une perte de 10% du PIB en 2020, puis un rattrapage de ce que nous avons perdu en 2020 à partir de 2021. Dans tous les cas, nous risquons de rester dans un niveau d’activité plus faible que ce que nous avions en 2019, donc les prévisions des entreprises à 2021 ne seront plus exactes. Cette baisse d’activité va se répartir entre une baisse des emplois, moins de progression de salaire, moins de marge des entreprises et un déficit public plus élevé.
Si une crise sanitaire devait à nouveau survenir, comment l’industrie française pourrait réagir à une nouvelle phase de confinement ?
Le confinement n’est clairement pas la bonne option. S’il a eu lieu, c’est parce que nous n’étions pas préparés et nous n’avions pas les dispositifs pour faire face à un besoin sanitaire urgent. Du point de vue économique, nous remarquons des écarts majeurs entre les Etats en fonction de la durée et dureté du confinement. La force économique de l’Allemagne sera donc multipliée par rapport à la France. Il faudrait davantage s’inspirer de la Corée du Sud qui n’a pas été confinée et qui a mis en place des tests de traçage et l’isolement des personnes malades seulement et non de toute la population.
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