Le psychothérapeute et aventurier Bertrand Piccard ne cesse de le répéter : « Solar Impulse n’est pas un avion. C’est un message : toutes les technologies que nous avons à bord peuvent être utilisées dans la vie de tous les jours ». Et c’est exactement ce que fait Organic Transit, qui vient de remporter le 12 mars 2015 le « People & Planet Award » de l’ONG Green America.
Le modèle ELF standard est équipé d’une batterie lithium phosphate de 540 Watt-heures (11.25 Ah x 48V) fabriquée par le Coréen Samsung et dont la durée de vie est d’environ 7 ans, avec un système de gestion (BMS) de technologie allemande. Ainsi que d’un panneau solaire flexible Sunpower de 100 Watts faisant intégralement partie de la structure du toit et permettant de collecter l’équivalent d’environ 20 kilomètres par jour avec l’insolation moyenne annuelle française. Davantage plus au sud. La batterie stocke assez d’énergie pour effectuer 29,5 km sur plat, moins sur terrain accidenté. L’assistance musculaire (pédalage assis sur un fauteuil confortable) permet de presque doubler cette autonomie.
Compte-tenu de l’intérêt de cette technologie dans la perspective du développement durable, Techniques de l’ingénieur a voulu en savoir plus et a posé quelques questions à Rob Cotter, le fondateur d’Organic Transit, qui a d’abord travaillé dans le domaine des voitures de course chez Porsche et BMW. Fasciné dès 1977 par le Gossamer Condor, un avion ultraléger à propulsion musculaire, Rob Cotter a développé une véritable passion pour les véhicules à très haute efficacité énergétique. Vice-président de la Human Powered Vehicle Association dans les années 80, il a dirigé la première course de voitures solaires aux USA.
Techniques de l’Ingénieur : Pourquoi le nom “ELF” ? Y-a-t-il une signification ?
- Rob Cotter (fondateur d’Organic Transit) : Ce nom m’est venu à l’esprit il y a 30 ans. Ce sont les initiales de Electrique, Léger et Fun (Electric, Light and Fun ndlr). J’aime beaucoup la façon dont ces trois lettres se combinent. J’ai aussi le sentiment qu’ELF représente un petit collaborateur efficace qui travaille dur (les Elfes sont des petites fées de la mythologie nordique ndlr).
TI : Le nom de l’entreprise, « Organic Transit », semble lié à la nourriture bio (« organic food »), n’est-ce pas ?
- RC : Oui, la partie bio (organique) de notre véhicule c’est l’être humain qui aide à la propulsion du véhicule. Ajoutons que de nombreux matériaux qui constituent l’ELF sont d’origine biologique. Nous avons construit certains modèles avec du tissu à base de chanvre et utilisons des matériaux recyclables. Nous avons aussi effectué des essais avec du bambou et d’autres matières d’origine végétale dont le chardon. Nous allons par ailleurs commencer l’expérimentation de fibres de carbone recyclées et de fibres de bois. Utiliser du bioplastique est également possible. Nous ne faisons pas de peintures, évitant ainsi un processus toxique. La couleur de la carrosserie est directement imprégnée. Nous utilisons aussi de l’acier inoxydable, ce qui évite de peindre. Le cadre du véhicule est constitué d’aluminium à 40% recyclé. Il s’agit d’aluminium brut.
TI : ELF est un véhicule à très haute efficacité énergétique: pouvez-vous nous en donner les raisons principales ?
- RC : L’automobile trouve ses racines dans les systèmes de traction par les chevaux. ELF est au contraire conçu à partir de technologies dérivant des bicyclettes, des avions et des bateaux légers (dont les kayaks). C’est donc une autre façon de concevoir les transports terrestres. L’efficacité découle fondamentalement du fait que le véhicule est ultra-léger et qu’il y a très peu de résistances de roulements. ELF pèse seulement 70 kilos, dont 20 kilos pour la carrosserie qui protège de la pluie et du soleil (Contre par exemple 445 à 473 kg pour la Renault Twizy et plus de deux tonnes pour la Tesla Model S ndlr). Il en résulte une cascade d’effets positifs. Grâce à la légèreté, moins de batteries sont nécessaires. Et comme moins de batteries sont nécessaires, alors les panneaux solaires peuvent jouer un rôle majeur.
TI : Quelle est la consommation kilométrique moyenne d’un ELF ? Par exemple la Renault Twizy consomme 50 Wh/km. La consommation d’une Nissan Leaf s’élève à 137 Wh/km. Et à 440 Wh/km pour un véhicule thermique qui consomme 4 litres de carburant d’origine fossile aux 100 km.
- RC : Nous sommes parvenus à 18,3 Wh/km. Et cette consommation moyenne peut être presque divisée par deux lorsque le conducteur pédale.
TI : ELF est vendu a un prix attractif (à partir de 5500 $). Comment êtes-vous parvenus à un prix aussi bas ?
- RC : A nouveau c’est lié à notre focus sur la technologie des vélos et non sur celle des automobiles. ELF a une masse 20 fois plus faible que celle d’une voiture. Le coût de la chaîne globale va refléter le fait que le temps de montage, les frais d’expédition, les frais généraux et le coût de la formation du personnel sont considérablement réduits.
TI : Pouvez-vous nous dire combien d’ELF ont été vendus depuis sa commercialisation en 2013 ?
- RC : En deux ans nous avons délivré 450 unités dans 8 pays.
TI : Combien d’ELF pouvez-vous produire chaque mois ?
- RC : Nous pouvons produire 10 ELF par semaine. Mais nous sommes actuellement en train de réaliser des prototypes pour de nouveaux modèles, ceci dans la même usine. Donc notre cadence de production n’est pas à son maximum. Nous devrions pouvoir atteindre 1200 à 1500 unités par an dans le cadre d’une production décentralisée et optimisée. Cela sera complémenté par la production à l’étranger: nous cherchons à nous installer en Nouvelle-Zélande, en Belgique et peut-être en Hollande cette année. Ceci tout autant pour la production que pour la distribution.
TI : Quand les exportations vers les Pays-Bas et l’Allemagne ont-elles commencé ?
- RC : Nous avons livré quelques unités pour chacun de ces pays mais nous cherchons à passer à une autre échelle, ce qui va nécessiter des usines d’assemblage en Europe.
TI : Est-il possible d’acheter un ELF en France ?
- RC : Oui !
TI : Organic Transit s’intéresse-t-il également aux pays en voie de développement ?
- RC : Dans ces pays des études culturelles doivent être réalisées pour s’assurer d’un succès à long-terme. Comme pour les autres pays, une seule taille et une seule configuration ne convient pas à tous. Dans certaines régions de l’acier sera utilisé à la place de l’aluminium pour la fabrication du cadre. Ou de l’osier à la place du plastique. Nous focalisons sur les régions où les routes sont en mauvais état. Nous sommes en contact avec une ONG dont le projet est d’apporter de l’électricité solaire pour alimenter des ordinateurs. Donc nous allons équiper l’ELF (et un autre modèle baptisé OX) avec davantage de capteurs solaires photovoltaïques. D’autres seront conçus pour le transport d’eau douce ou pour des services d’ambulances. Les besoins dans ce domaine vont croissant. La seule chose que ces gens ont en commun c’est d’avoir peu de ressources financières et l’incapacité de payer des carburants fossiles. Et c’est là qu’intervient Organic Transit.
Rob Cotter à côté d’un ELF (Organic Transit)
Grâce à sa carrosserie (en forme d’œuf aérodynamique), ELF est bien visible sur la route, ce qui améliore la sécurité routière. Disposer de trois points d’appui (trois roues) au lieu de seulement deux pour le vélo est également un sérieux atout en matière de stabilité, notamment pour les personnes âgées.
La bimodalité électro-solaire / bio-musculaire permet de doser ses efforts et de monter les pentes sans se fatiguer. Et d’éviter d’arriver la chemise trempée de sueur au travail. Les collègues apprécieront. ELF possède deux sièges ainsi qu’un coffre d’environ 80 litres. Il peut embarquer une masse totale, passagers compris, de 180 kilos. Une remorque peut être fixée à l’arrière du véhicule afin de transporter des objets volumineux. Le moteur électrique délivre une puissance entre 750 et 1000 Watts selon le modèle, ce qui est suffisant pour les 550 Watts nécessaires pour rouler à 30 km/h en mode 100% électrique. Avec ses 70 kg ELF, qui peut embarquer deux adultes, pèse seulement 20 kg de plus que deux vélos (2 x 1 place) à assistance électrique (VAE). Surprenant pour un véhicule qui possède tous les avantages d’une petite voiture.
Différentes options sont disponibles, comme par exemple doubler ou tripler la capacité des batteries pour gagner en autonomie, augmenter la surface des panneaux solaires, ou encore, pour les frileux, installer des portes.
Organic Transit ne manque pas de créativité : la start-up étudie la possibilité d’intégrer différentes technologies de conduite autonome dans la perspective de développer des services d’autopartage et de livraison de marchandises. « Votre équipe a effectué un travail formidable » a déclaré Amory Lovins, fondateur du Rocky Mountain Institute, un organisme de référence à l’échelle mondiale dans le domaine des écotechnologies à haute efficacité énergétique et matérielle.
A Paris le taux d’occupation des voitures est d’1,4. La distance moyenne des trajets parcourus dans le cadre d’Autolib est de 9 kilomètres. Et la vitesse est limitée entre 30 et 50 kilomètres. Autrement dit ELF est parfaitement adapté pour la mobilité parisienne. ELF est d’un point de vue réglementaire classé dans la catégorie « vélo ». Le conduire ne nécessite ni assurance, ni permis de conduire. Terminées les factures d’essence et le sentiment de culpabilité en polluant l’air que les jeunes enfants respirent. Et finies les importations de pétrole en provenance de pays ne respectant pas les droits des Femmes.
Chacun peut aujourd’hui se déplacer dans la vie de tous les jours grâce à l’énergie solaire. Concrétisant ainsi la vision de Bertrand Piccard.
Olivier Daniélo
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