Reportage

El Hierro : Un phare de l’énergie pour les îles

Posté le 5 juillet 2017
par Pierre Thouverez
dans Innovations sectorielles

L’île d’El Hierro aux Canaries est passée en quelques années d’un système énergétique basé sur les hydrocarbures à un modèle visant à terme le 100% renouvelable. Une performance permise par une prise de conscience locale, une utilisation intelligente du terrain et une ingénierie de précision. Reportage.

Isolé sur l’océan Atlantique, au large de la Mauritanie, El Hierro appartient à l’archipel espagnol des Canaries. Battu par les vents, l’îlot volcanique n’abritait selon le dernier recensement que 11 000 personnes, alimentées depuis des années en électricité par une centrale thermique fonctionnant au diesel et opérée par l’électricien historique Endesa. C’est cela que les autorités ont décidé de changer.

Solution éolien/hydro

crédits : Romain Chicheportiche

La Société Gorona del Viento a été créée en 2007, détenue à 77% par des acteurs locaux (Cabildo, région, ITC) et 23% par Endesa, pour créer un parc éolien et un barrage hydroélectrique. Le parc éolien comprend 5 aérogénérateurs de 2,3 MW, soit 11,5 MW au total. Il est couplé à une centrale hydroélectrique (6 MW) qui tire profit du dénivelé rapide de l’île volcanique. En effet, deux bassins de rétention d’eau ont été creusés (380 000 m3 et 150 000 m3) pour alimenter la centrale hydro. Le réservoir amont est rempli grâce à des pompes qui remontent l’eau de l’aval. C’est un système de Station de transfert d’énergie par pompage (STEP), bien connu en France.

L’innovation de Gorona del Viento réside dans le couplage des systèmes éoliens et hydroélectriques. « Les deux installations s’équilibrent mutuellement. Nous surveillons en permanence la production du parc éolien, par définition variable, et adaptons l’activité de pompage en fonction », explique José, ingénieur en salle de contrôle. Et pour cause, totalement isolée dans l’Atlantique, l‘île ne bénéficie d’aucune interconnexion électrique pour compenser une baisse de la production électrique locale. El Hierro ne peut compter que sur elle-même. « Le réseau a été depuis le début notre principale préoccupation », se remémore Juan Pedro Sanchez, ingénieur en chef des études. Celui qui est également vice-président du Cabildo (autorité publique de l’île) poursuit : « Notre objectif est d’élever autant que possible la part de l’éolien dans notre mix électrique tout en assurant la stabilité du réseau, notre priorité ».

Optimisation du système

Mise en service en 2014 pour test, puis en opération commerciale il y a seulement 2 ans, la contribution de Gorona del Viento a atteint 42% en 2016 et vise les 70% cette année. L’île n’est donc pas 100% renouvelable comme il a pu être lu ici ou là, mais y avance à grand pas. En juin 2017, pour la première fois depuis sa mise en fonctionnement, la centrale de Gorona del Viento a alimenté à elle seule en électricité toute l’île pendant 6 jours consécutifs. Une performance que les équipes d’ingénieurs souhaitent surpasser.Dans l’ordre de priorité, l’éolien arrive toujours le premier. C’est sa production et surtout sa variation qui sont scrutées en temps réel par les équipes de la salle de contrôle. La fréquence sur le réseau, mise à mal par les variations inhérentes à l’éolien, est équilibrée grâce aux pompes (6×500 kW et 2x 1 500 kW) de la STEP qui remontent l’eau du bassin aval vers l’amont. Là encore, plusieurs systèmes complémentaires sont à l’œuvre : les pompes peuvent être mises en marche/à l’arrêt en cas de hausse ou de baisse sensible de la production du parc éolien. En cas de variations plus fines (les plus fréquentes) chaque pompe est équipée d’un volant d’inertie, opérationnel en quelques secondes.

crédit : Romain Chicheportiche

Depuis la mise en service de la centrale, Juan Pedro Sanchez cherche à optimiser l’apport de l’éolien. Sa production est aujourd’hui injectée à hauteur de 60% directement sur le réseau, le solde (40%) faisant fonctionner les pompes. « Notre but est de consommer directement le plus d’électricité éolienne possible ». Pour cela, les autorités locales ont développé une approche globale de l’équilibre offre/demande.

Vision globale

Si Gorona del Viento répond à la problématique de la production d’électricité sur l’île, la question de la demande a également été étudiée. Une partie sensible de la consommation électrique de l’île est dédiée à l’usine de dessalement qui alimente en eau potable la population. Une activité importante puisqu’elle représente à elle seule près de 45% de la consommation totale ! L’usine s’est mise au diapason du réseau électrique et grâce aux modèles de prévisions fournis par Red Electrica de Espana, le gestionnaire du réseau, son activité est coordonnée avec les épisodes les plus venteux et se concentre la nuit. Cela permet de réduire considérablement la pointe électrique et de flexibiliser un peu plus le réseau.

crédit : Romain Chicheportiche

La vision d’El Hierro ne s’arrête pas pour autant là. Décidées à bannir pour de bon les hydrocarbures, les autorités locales veulent désormais remplacer tous les véhicules thermiques de l’île par une version électrique. Un appel d’offres a été lancé pour l’installation d’une centaine de bornes de recharges publiques d’ici la fin de l’année. Un premier véhicule électrique est déjà opérationnel sur l’île.

Interrogé sur l’objectif d’atteindre 100% d’énergies renouvelables, Juan Pedro Sanchez admet qu’il sera difficile à atteindre dans les conditions actuelles, car il y a des périodes de l’année, notamment avril-mai où les vents sont faibles, très faibles, et la centrale thermique indispensable. Le bassin amont n’offre en effet qu’une autonomie de 3 jours à la centrale hydroélectrique. « Une solution pourrait consister à creuser un second bassin de stockage en amont. Mais il ne s’agit là que d’un projet », indique le vice-président. Un investissement important pour une île qui affronte un autre défi d’envergure : la baisse de sa population. De 11 000 habitants, El Hierro serait passé aujourd’hui à 8 000 âmes. Une baisse liée à la faible activité économique et au manque de perspectives pour la jeunesse. Un paradoxe pour cette île qui attire des délégations du monde entier, sans pour autant parvenir à retenir les siens…

Romain Chicheportiche


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