Le groupe automobile Renault s’est lancé en 2021, aux côtés de l’équipementier Valeo, dans un projet de codéveloppement d’un moteur électrique de nouvelle génération, destiné à propulser plusieurs de ses futurs modèles dès 2027. Baptisé E7A, ce futur moteur électrique sans terres rares bénéficiera d'un rendement autoroutier optimal, mais aussi d’une empreinte environnementale réduite.
Avec une première génération mise sur le marché dès 2012, suivie d’une deuxième en 2022, Renault Group fait véritablement figure de pionnier du moteur électrique sans terres rares dans le secteur automobile. Précurseur, l’industriel n’en oublie pour autant pas les défis actuels – notamment celui de la recharge rapide et de l’autonomie autoroutière des véhicules à batteries – et planche désormais avec l’aide de son partenaire équipementier Valeo sur une troisième génération de moteur, toujours sans terres rares, car dépourvu d’aimant permanent. Un projet auquel chacun des deux acteurs apporte sa propre expertise : le rotor bobiné pour Renault Group et le stator dit « hairpin » pour Valeo.
Directeur des technologies et projets amont au sein de la filiale Ampere de Renault Group, Maxime Bayon de Noyer nous retrace les origines de ce projet et nous en décrit les grands objectifs. Le responsable lève aussi le voile sur d’autres axes de travail explorés par Renault via sa nouvelle filiale dédiée au véhicule électrique, créée en novembre dernier.
Techniques de l’Ingénieur : Quelles sont vos fonctions au sein de cette jeune filiale créée au sein de Renault Group, Ampere ?
Maxime Bayon de Noyer : Je suis directeur en charge des technologies et des projets amont liés aux véhicules électriques à batterie, mais aussi à pile à combustible hydrogène. Mon périmètre d’action couvre à la fois les technologies liées aux moteurs électriques en tant que tels, l’électronique de puissance, les batteries, leur chimie et leur intégration au sein des véhicules, ainsi que tous les aspects liés à la gestion thermique des voitures. Autant de technologies qui sont propres à l’électrique et qui nécessitent donc une approche différente de celle adoptée jusqu’à présent pour les véhicules thermiques.
Alors que nous misions sur des plateformes flexibles pour nos voitures thermiques, nous développons en effet désormais, pour le véhicule électrique, des plateformes qui sont en continuité avec le moteur et la batterie. Tout cela s’étudie donc d’une manière globale. C’est pour cette raison que Renault a décidé de réunir toutes ses forces dédiées à la voiture électrique au sein de cette nouvelle filiale, Ampere. C’est donc désormais dans ce cadre que nous menons le développement de notre nouvelle génération de moteur électrique E7A.
Un projet qui est antérieur à la création d’Ampere… Quelles en sont les origines ?
Depuis ses débuts sur le marché du véhicule électrique de grande série et le lancement de la Zoe, Renault fabrique ses propres moteurs électriques. Nous sommes donc motoristes pour une majeure partie de nos volumes de ventes. Dans ce contexte, nous nous sommes dès le départ souciés de deux facteurs importants. Le premier d’entre eux concerne l’empreinte carbone liée à la fabrication de ces moteurs. Le second est le rendement de ces mêmes moteurs. Pas tant le rendement sur un cycle WLTP d’ailleurs, mais le rendement sur autoroute. C’est bien, en effet, la consommation sur autoroute qui va conditionner le dimensionnement de nos batteries. Dans ce cadre-là, nous avons donc opté depuis le départ pour une technologie de moteur électrique en particulier, sur laquelle nous avons été véritablement pionniers : le moteur dit « EESM », pour Electrically Excited Synchronous Motor[1]. Il s’agit d’une technologie de moteur sans aimant permanent, et donc sans terres rares, doté d’un rotor bobiné. Ce bobinage se transforme en un électroaimant sous l’action d’un module d’excitation sans contact.
Nous avons opté pour cette technologie d’une part pour le bon bilan carbone qu’elle permet d’obtenir à la fabrication des moteurs, mais aussi d’autre part pour le rendement qu’elle offre à haute vitesse et faible couple, ce qui est typiquement le cas sur autoroute. En l’absence d’aimants permanents, la technologie EESM est aussi, évidemment, synonyme de non-recours aux terres rares…
D’autres constructeurs ont, eux, misé à leurs débuts sur d’autres technologies sans aimant : des machines asynchrones, en l’occurrence, dont le rendement se révèle un peu moins bon. Nous avons quant à nous trouvé, avec cette technologie EESM, une solution pour concilier rendement optimal et non-recours aux aimants permanents, et ce il y a plus de dix ans maintenant…
Après une première génération de moteurs sur la Zoe, nous avons développé une deuxième génération, que nous avons lancée avec la Megane E-Tech et que nous nous apprêtons aujourd’hui à décliner sous la forme d’un nouveau moteur d’une « demi-génération » d’écart sur l’un de nos nouveaux modèles, la Renault 5 électrique.
Au-delà de ça, nous cherchons désormais à pousser le rendement dans ses retranchements, mais aussi, par ailleurs, à accroître la vitesse de charge de nos futurs véhicules, en particulier de nos voitures du segment C, les grandes routières… Cette ambition va ainsi se traduire par le passage de nos véhicules à une architecture électrique 800 volts, ce qui a naturellement un impact direct sur le moteur en tant que tel. C’est comme cela que nous avons lancé, en 2021, ce nouveau projet baptisé E7A.
Alors que nous entamions nos réflexions amont sur le développement de ce moteur, nous avons échangé avec notre fournisseur historique Valeo et fini par nouer un partenariat « gagnant-gagnant » sur ce projet.
Quel rôle jouez-vous, l’un et l’autre, dans ce projet de codéveloppement ?
Nous apportons, de notre côté, notre technologie de rotor bobiné. Valeo apporte quant à lui une technologie en matière de stator baptisée « U-pin » ou « Hairpin » : en lieu et place d’un fil de cuivre bobiné, cette approche s’appuie sur des pièces de cuivre semblables à des barrettes à cheveux en forme de U. Insérées dans le stator puis soudées, ce sont elles qui vont permettre de générer le champ magnétique côté stator. Les avantages de cette technologie sont multiples : le rendement du moteur est meilleur et son isolation plus facile, même à 800 volts. Notre objectif commun est ainsi de parvenir à marier nos savoir-faire respectifs, pour tirer parti du meilleur des deux mondes et développer, in fine, une technologie commune.
Où en est, pour l’heure, le projet ? Quels sont vos objectifs, à terme ?
Le projet se situe encore en phase amont. Nous espérons passer ce cap dans le courant de cette année. Quant à nos objectifs finaux, nous espérons – au moment où ce moteur sortira – pouvoir nous positionner en tant que leaders du marché sur cette caractéristique précise qu’est le rendement sur autoroute. Le rendement en ville sera certainement lui aussi très bon, mais ça n’est pas notre objectif principal dans le cadre de ce projet. Nous visons en tout cas également un coût relativement modéré, évidemment, tout en continuant à produire en France.
Plus largement, nous espérons aussi obtenir un ensemble moteur – électronique de puissance plus compact.
Quelles seront, justement, les évolutions en matière d’électronique de puissance qui seront nécessaires pour accompagner le développement de ce nouveau moteur et de cette architecture électrique 800 volts ?
Pour la partie « onduleur », nous utilisons, pour l’heure, des transistors de puissance IGBT. Nous comptons, demain, passer sur des composants en carbure de silicium (SiC). En matière de recharge, nous allons mettre sur le marché cette année une première génération de chargeurs bidirectionnels dans le cadre de la sortie de la Renault 5 E-Tech electric. D’ici à la sortie du nouveau moteur que nous développons, nous allons encore améliorer les fonctions de bidirectionnalité de nos chargeurs, tout en augmentant leur puissance : notre objectif est de proposer, demain, une charge en seulement 15 minutes pour une autonomie de deux heures sur autoroute. Cela serait en effet en phase avec la préconisation en matière de sécurité routière… C’est donc vraiment ce qui nous guide aujourd’hui. Cela implique un travail important sur des aspects de gestion thermique de la batterie, notamment son pré-conditionnement.
L’évolution de la chimie des batteries fait-elle également partie de vos axes de travail ?
Nous travaillons effectivement sur cet aspect, mais nos travaux, à ce stade, visent essentiellement à réduire l’empreinte carbone, mais aussi le coût de nos batteries, qui représentent en effet pour l’heure jusqu’à 40 % du prix de fabrication d’une voiture. Ceci afin de rendre le véhicule électrique accessible à tous.
Comme beaucoup d’autres acteurs, nous étudions bien entendu aussi la possibilité de sortir de la technologie lithium pour passer au sodium. Pour nos citadines, peut-être, mais sans doute pas pour nos voitures autoroutières, les compromis en termes de densité énergétique s’annonçant en effet rédhibitoires…
Pour en revenir à ce projet de moteur E7A en tant que tel, à quelle échéance son industrialisation pourrait-elle intervenir ? Comment comptez-vous organiser sa production dans le cadre du partenariat que vous avez noué avec Valeo ?
Nous tablons sur 2027. La fabrication du moteur pourra alors être réalisée dans nos usines ou celles de notre partenaire Valeo. Nous fabriquerons chacun de notre côté des éléments, et l’assemblage final pourra être réalisé chez l’un, chez l’autre, ou chez chacun d’entre nous, en fonction de nos besoins.
Quelle(s) catégorie(s) de véhicules pourrait-il alors équiper ?
Ce moteur de la classe des 200 kW s’adressera aux voitures des segments C et D, ainsi qu’aux véhicules utilitaires. Nous pourrons, éventuellement, en développer une variante pour des véhicules plus petits, mais nous nous intéressons aussi à d’autres technologies de moteurs pour l’avenir, avec d’autres priorités que le seul rendement autoroutier, mais, bien entendu, toujours sans terres rares !
[1] Moteur synchrone à excitation externe.
Crédit visuel de une : Tom Radetzki sur Unsplash
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