Entre 1948 et aujourd’hui, la France a perdu environ la moitié de ses lignes ferroviaires de desserte fine du territoire. La faute au modèle économique de ces « petites lignes », comme on les appelle plus couramment. Le scénario est quasiment toujours le même : étant donné qu’elles coûtent cher à exploiter, la fréquence de passage des trains et leur amplitude horaire sont peu à peu réduites, et provoquent une baisse du nombre de voyageurs transportés. Ce cercle vicieux se termine par la fermeture progressive de ces lignes, jugées pas assez rentables. En 2018, plusieurs acteurs¹ de la région Occitanie ont décidé de redynamiser ces lignes abandonnées. Leur idée principale : utiliser des innovations technologiques pour refaire fonctionner ces voies ferrées à moindre coût. En 2022, ce projet, baptisé Ecotrain, a trouvé un nouvel élan en recevant le soutien du plan France 2030. Il regroupe à présent un large consortium² constitué d’instituts de recherche et d’entreprises.
La première solution retenue est d’alléger les trains. Alors que ceux de conception classique pèsent environ 50 tonnes, le poids des futures navettes sera limité à une quinzaine de tonnes. Le bas de la caisse restera métallique, tandis que le haut sera conçu à l’aide d’un matériau composite en fibres de lin pour alléger la structure, mais aussi préparer sa déconstruction lors de sa fin de vie. « Cet atout permettra de limiter le coût d’investissement de remise en état des lignes, explique Norbert Féraud, directeur adjoint de la recherche et de l’innovation à l’IMT Mines Albi. Les ouvrages d’art comme les ponts et les trémies ne sont plus capables de supporter les poids des trains de conception classique, mais cette difficulté sera levée avec ces nouvelles navettes plus légères. Une solution de rails en composite va aussi être étudiée afin de rénover les voies déjà existantes, notamment celles qui ne possèdent plus de rails ni de traverses. Il sera ainsi inutile de refaire tout le génie civil, car on pourra profiter des tabliers existants. »
Une autre innovation va consister à rendre autonomes ces navettes. Elles fonctionneront sans conducteur dans le but de réduire leurs coûts d’exploitation. Pour cela, des technologies conçues au départ pour les voitures autonomes vont être transférées vers le ferroviaire. Il est notamment prévu d’utiliser des capteurs pour identifier les éventuels obstacles sur les voies (personnes humaines, animaux, arbres…), ainsi que sécuriser les passages à niveau. D’autres technologies utilisées sur des tramways et des métros seront aussi transférées, notamment celles permettant le positionnement très précis des trains, à l’aide de solutions de type GMSS (Global Mobile Satellite System).
Des microcentrales photovoltaïques pour l’alimentation en électricité
À l’image des trains actuellement en service, ces navettes fonctionneront à l’électricité. Par contre, elles ne seront pas alimentées grâce à des caténaires. Cette solution technique nécessite en effet de trop lourds investissements et se révèle également fragile, notamment face aux intempéries, ce qui induit des coûts d’entretien élevés. Ces navettes, dotées d’une motorisation d’environ 90 kW, seront équipées de batteries qui seront rechargées en électricité à l’aide de microcentrales photovoltaïques installées dans certaines stations. « L’idée serait que la capacité des batteries soit suffisante pour une journée, confie Norbert Féraud. Sinon, elles retourneront se charger à une microcentrale photovoltaïque. Les lignes que nous envisageons d’exploiter font en moyenne 50 km, avec des écarts allant de 10 à 100 km. Étant donné que les microcentrales produiront du courant en continu, alors que les navettes ont un besoin discontinu, le surplus d’énergie sera dirigé vers une autoconsommation locale, notamment pour alimenter des infrastructures collectives, voire des particuliers. »
Un autre aspect innovant du projet se situe au niveau de la solution digitale retenue pour faire face au flux des voyageurs. Dans ce projet, chaque navette pourra accueillir une trentaine de passagers. Jusqu’à présent, lorsqu’il est nécessaire d’augmenter la capacité de transport des voyageurs, les trains sont reliés entre eux à l’aide d’un attelage mécanique. Compte tenu des solutions de positionnement très précis et des logiciels de pilotage employés, la technique ici consistera à réaliser un attelage virtuel. « On appelle cela du platooning, les deux navettes seront synchronisées et communiqueront entre elles pendant la durée du trajet, mais sans connexion physique, complète Norbert Féraud. Cette technologie vient de l’automobile ; ces systèmes de communication sécurisée sont appelés V to X. Le V pour Véhicule et le X pour véhicule ou infrastructure. » Autre particularité : chaque navette étant compacte et légère, il sera possible de les transporter par la route, à l’aide d’un poids lourd, et ainsi les acheminer vers certaines lignes ferrées, en cas de besoin.
De la maintenance prédictive pour réduire les coûts d’entretien
La digitalisation va aussi permettre de réaliser une nouvelle approche de la maintenance. Elle ne sera plus préventive, ni curative, mais prédictive afin de réduire le coût d’entretien des machines. Le modèle actuel nécessite de mobiliser des équipes pour diagnostiquer et détecter d’éventuelles anomalies et certaines interventions sont réalisées de manière systématique à intervalles réguliers. Dans le futur, la navette communiquera des informations et, grâce à l’utilisation d’un programme numérique basé sur l’apprentissage automatique, l’intervention des agents chargés d’assurer la maintenance sera effectuée en fonction de l’état d’usure du système ou des pièces.
Cet important programme de recherche a été découpé en « sous-projets » afin de sécuriser les financements et les livrables : navettes, microcentrales photovoltaïques, conduite autonome… En plus du transport des voyageurs, il inclut aussi le micro-fret pour les marchandises. « La solution que nous développons ne vient pas en compétition avec le TGV ou le TER, mais au contraire, permettra de drainer du flux de voyageurs vers ceux-ci, précise Norbert Féraud. Pour limiter les risques, nous essayons au maximum d’utiliser des technologies déjà ou presque matures. Nous avons aussi fait le choix de travailler avec des entreprises françaises. Un pré-démonstrateur de navette est prévu en 2025. Ensuite, une phase d’expérimentation devrait avoir lieu sur une ligne fermée en Occitanie. La première exploitation est prévue à l’horizon 2030, là encore en Occitanie, car cette région est impliquée dans ce projet depuis quasiment le début. »
¹ À l’origine, ce projet a été initié par Philippe Bourguignon (consultant et ancien directeur de programme chez Engie), Michel Colombié (Vice-président industrie de la CCI du Tarn) et Norbert Féraud (directeur adjoint de la recherche et de l’innovation à l’IMT Mines Albi), ainsi que les entreprises Socofer, Syntony et le Groupe Stratiforme-Compreforme.
² En plus des acteurs historiques, le consortium regroupe à présent, entre autres, les Instituts de recherche IMT Mines Albi, IMT Mines Alès, IMT Nord-Europe, UTC Compiègne, IRT M2P, INSA Toulouse, ISAE SupAero et les entreprises Clearsy, Amarenco, Arcadis, Groupe La Poste, Leadtech, NGE Eugénie, NGE TSO, CQFD Composite.
Dans l'actualité
- ADDITIVE4RAIL : un consortium dédié au développement de la fabrication additive pour la maintenance des trains
- nu glass : en finir avec les zones blanches à bord des trains
- Le fret ferroviaire ne décolle pas en France
- Ecomobilité : Ce que l’Europe prévoit pour décarboner les transports
- Le Grand Prix National de l’Ingénierie 2022 récompense le projet « Un quartier bas-carbone, village des Athlètes en 2024 » d’Ingérop
- Climat : le train reste beaucoup plus cher que l’avion en Europe
Dans les ressources documentaires