La municipalité a annoncé en octobre dernier débuter une expérimentation consistant à équiper quatre caméras de vidéosurveillance de micros détecteurs de sons « anormaux ». Pour la Quadrature du Net, c’est illégal et une atteinte à la vie privée. L’association vient de déposer un recours devant le tribunal administratif d’Orléans et une plainte devant la CNIL.
De plus en plus de municipalités décident de déployer des systèmes de vidéosurveillance. « Entre la fin de l’année 2013 et le début de l’année 2020, le nombre de caméras de vidéosurveillance dans les 50 villes les plus peuplées de France a été multiplié par 2,4, passant de près de 4 800 caméras à plus de 11 400 », selon un classement réalisé par la Gazette des communes.
Une nouvelle étape pourrait être franchie : le couplage entre vidéosurveillance et détection sonore. Première expérience en 2019 ? La métropole stéphanoise avait tenté de déployer un dispositif, appelé SOFT (Système d’Observation des Fréquences du Territoire), de l’entreprise Serenicity. Deux ans plus tard, c’est au tour de la ville d’Orléans de faire de même avec le système Urban Soundscape.
Développé par Sensivic*, société créée en 2015 à Sophia Antipolis et installée à Orléans, au sein de Lab’O, un accélérateur de start-up numériques, il s’agit d’un « système de détection automatique de bruits anormaux ». « Grâce à ce système de détection original, ces détecteurs d’événements sonores intelligents analysent en permanence l’activité sonore habituelle du site où ils ont été placés. Les produits SENSIVIC sont les seuls détecteurs qui s’adaptent automatiquement au contexte grâce à leur système d’intelligence artificielle », peut-on lire sur le site de l’entreprise.
Des pouvoirs régaliens par une entreprise privée
« Si cela fonctionne, cela pourrait être un formidable outil d’aide à la décision pour les téléopérateurs, explique Florent Montillot à France Bleu, l’adjoint au maire d’Orléans chargé de la sécurité. L’idée, c’est que si un son anormal est détecté, comme un coup de feu, un bris de glace, un cri de détresse, immédiatement une alerte avertirait l’agent qui surveille les écrans au CSO ; celui-ci pourrait aussitôt regarder et identifier le lieu où cela s’est passé, et donc envoyer une équipe. » Le CSO est le centre de sécurité orléanais.
Mais que désigne-t-on exactement par sons « anormaux » ? « Nous ne savons pas précisément ce qu’il y a derrière ce terme, précise Bastien Le Querrec, du Groupe contentieux de La Quadrature du Net. Ce que nous savons, c’est que dans ces sons “anormaux”, Sensivic cherche à détecter certaines catégories de sons : des coups de feu, des cris de peur, des bris de glace, des incivilités comme une hausse rapide du ton de la voix comme si une personne crie sur une autre. Mais c’est cette entreprise privée qui décide ou non de ce qu’est un son “anormal”, alors que cela devrait être aux pouvoirs publics d’en décider puisqu’il s’agit d’une mission régalienne de s’assurer de la tranquillité et de l’ordre public ».
Mais pour cette association de défense et de promotion des droits et liberté sur Internet, fondée en 2008, ce dispositif est illégal et n’est pas conforme au RGPD et à la Directive police-justice de 2016.
« Concernant la protection de la vie, les arguments de Sensivic ne tiennent pas juridiquement,note Bastien Le Querrec. Elle indique qu’elle n’enregistre pas de sons, mais dans l’audit technique qu’elle nous a envoyé et que nous avons étudié de près, c’est bien indiqué qu’il y a des tranches de sons (une dizaine de millisecondes) enregistrées pour être analysées. Et l’enregistrement n’est de toute façon pas une condition nécessaire à la présence d’un traitement de données ».
Or, ce type d’enregistrement est soumis aux lois européennes et à la Loi informatique et Libertés de 1978. À partir du moment où il y a un traitement sur des données personnelles, une entreprise est soumise aux lois et réglementations sur ce type de données.
Des détecteurs sonores aux JO 2024
« Sensivic dit qu’il s’agit juste d’un très court enregistrement d’un paysage sonore, mais le problème est que ses capteurs sont couplés à des caméras de vidéosurveillance. D’ailleurs, dans une récente vidéo promotionnelle de Sensivic, on voit une caméra bouger en direction de l’endroit où le son s’est produit. Ce dispositif peut donc identifier indirectement une personne ; il s’agit donc de données personnelles dont les traitements doivent respecter notamment la Loi Informatique et Libertés », assure Bastien Le Querrec.
La CNIL ne s’étant pas auto-saisie du cas d’Orléans, La Quadrature du Net l’a donc saisie d’une plainte par lettre recommandée envoyée ce mardi 14 décembre. « Notre recours repose sur l’interprétation de la CNIL en 2019 à propos du cas de Saint-Étienne », explique Bastien Le Querrec.
En novembre 2019, la CNIL avait averti Saint-Étienne de l’illégalité de son dispositif SOFT, considérant qu’il s’agissait d’un « traitement illicite de données à caractère personnel ». L’instance réagira-t-elle de la même façon pour Orléans ?
Récemment, Sensivic a indiqué que ses détecteurs ont été retenus par le Comité Stratégique de Filière Industries de Sécurité́, parmi les solutions de confiance sélectionnées pour la sécurisation des grands événements, dont les Jeux olympiques de 2024.
*Contacté, Sensivic ne nous a pas répondu pour l’instant.
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