Au sud de Lyon, le GIE (Groupement d’intérêt économique) Osiris assure la gestion des utilités de la plateforme chimique Les-Roches-Roussillon sur laquelle sont fabriqués des composés de base à destination de nombreuses entreprises chimiques de la région. Des oléfines (éthylène, propylène et butène) sont produites sur place à partir du méthanol, lui-même produit à partir de gaz naturel, et donc d’origine fossile. Au sein d’un projet baptisé Catvic (Catalytic valorization of industrial carbon), le CEA et l’Institut Max-Planck en Allemagne développent de nouvelles technologies dans le but de décarboner les activités de ce site industriel.
Le méthanol est actuellement importé sur le site et est issu du syngaz, un gaz de synthèse constitué principalement d’hydrogène (H2) et de monoxyde de carbone (CO). Les chercheurs ont l’intention de le produire sur place à partir du CO2 issu des fumées émises par les différentes installations de la plateforme chimique et d’hydrogène vert. Ce procédé est bien connu et consiste à mettre en œuvre cette réaction : CO2 + 3 H2 → CH3OH + H2O. « L’Institut Max-Plank maîtrise bien cette technique qui n’existe pas à ma connaissance sur le plan industriel, mais uniquement sous la forme de démonstrateurs d’assez grande taille, précise Alban Chappaz, ingénieur-chercheur au CEA. Nous allons étudier quel est l’impact des polluants présents avec le CO2 sur la réaction de synthèse de méthanol. Nous analyserons aussi comment les catalyseurs métalliques à base de cuivre vieilliront dans le temps. »
Produire des oléfines grâce à un seul catalyseur
L’axe de recherche le plus innovant du projet Catvic consiste à valoriser le CO2 et l’hydrogène directement en oléfines. Deux étapes sont normalement nécessaires pour fabriquer ces composés carbonés : celle de synthèse de méthanol puis sa déshydratation. Elles nécessitent l’emploi de deux catalyseurs de manière séparée et dans des conditions d’utilisation différentes. Les scientifiques veulent réaliser la synthèse de méthanol puis sa déshydratation en une seule étape en utilisant un seul catalyseur dans un seul réacteur et dans des conditions préférentielles afin d’obtenir des performances de synthèse d’oléfines les plus élevées possible. « Nous allons utiliser des catalyseurs fabriqués à partir d’autres métaux que le cuivre et pouvant résister à des températures plus hautes car la réaction de synthèse a lieu à environ 250 degrés et celle de déshydratation entre 400 à 500 degrés, ajoute le chercheur. Plusieurs catalyseurs acides sont en cours d’étude, le but étant d’obtenir des catalyseurs bifonctionnels, avec un métal supporté par exemple sur une silice-alumine acide ou une zéolithe acide. »
L’intérêt de regrouper ces deux étapes se situe au niveau de la gestion de l’eau. Lors de la réaction chimique, une molécule d’eau est produite en même temps qu’une molécule de méthanol et la purification de ce mélange est une étape assez coûteuse en énergie. Ces deux molécules sont en effet difficiles à séparer l’une de l’autre, car elles ont des températures d’ébullition assez proches.
Cette séparation est beaucoup plus facile à réaliser lors de la synthèse directe des oléfines, car ces dernières sont dans un état gazeux dans des conditions normales de température et de pression alors que l’eau est liquide. Le regroupement des deux étapes présente aussi l’avantage de diminuer le coût des installations industrielles puisqu’il permet d’éviter de multiplier le nombre de réacteurs ainsi que le nombre de connexions entre eux.
Réduire la consommation électrique de l’électrolyseur
Pour aller jusqu’au bout de la défossilisation des procédés de synthèse de méthanol et d’oléfines, le projet Catvic vise aussi à produire l’hydrogène nécessaire aux réactions chimiques de manière décarbonée. Les scientifiques développent une technologie d’électrolyse à haute température, entre 700 et 800 degrés. Comparée à des électrolyseurs conventionnels, elle permet d’obtenir des rendements électriques plus élevés, comme l’explique Élise Le Goff, chercheuse au CEA et coordinatrice de ce projet de recherche : « Nous visons à terme une consommation comprise entre 40 et 43 kWh par kg d’hydrogène produit alors que les électrolyseurs à basse température consomment environ 50 kWh. Toute la difficulté est de réussir à maintenir la durée de vie des cellules électrolytiques suffisamment longtemps afin de ne pas perdre ce qu’on a gagné en performances. »
Le projet Catvic comporte un dernier volet de recherche qui consiste à réaliser l’étude techno-économique des différents concepts technologiques développés pour des applications réelles sur le site de la plateforme lyonnaise. Il s’agit ici d’estimer notamment leurs coûts, leurs performances vis-à-vis de l’environnement ainsi que le rendement global du système. « Ce projet de recherche a débuté il y a deux ans et doit se terminer fin 2022. En fonction des avancées technologiques réalisées, une seconde phase pourrait ensuite voir le jour dans le but de fabriquer un démonstrateur industriel pour la synthèse du méthanol », conclut la chercheuse.
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